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Alphaville

Par Memoiredeurope @echternach

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« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende la recrée sous une forme qui lui permet de courir le monde. » égrène la voix métallique de l’ordinateur.

Je m’aperçois en revoyant le film de Jean-Luc Godard, pour la première fois depuis sa sortie en 1965, que je suis en train de me perdre dans cet espace focal où je sors de l’enfance pour entrer dans un début d’indépendance. L’indépendance du regard. 

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Je redécouvre ainsi en quelques jours « The Servant » de Joseph Losey (1964), là aussi pour la première fois depuis sa sortie, Alphaville (1965) et je reviens à Playtime de Jacques Tati (1967), cette fois pour la cinquantième fois, peut-être. 

Je me perds ainsi dans mon désir de souvenir.Où étais je donc, sinon dans la solitude, l’incertitude, l’espoir ? Dans l’incapacité de parler de ce qui devait advenir. Aujourd’hui je l’écris, même si c’est un peu tard !

Quelqu’un de jeune s’exclamait il y a quelques jours qu’elle aurait tellement aimé avoir vécu ces années là ; pour participer à cette avalanche de films complémentaires, oubliant ainsi qu’ils n’ont été inventés que pour nous, les enfants de la guerre, exactement au moment où nous les cherchions, où nous ne pouvions continuer de vivre sans eux. 

Il y a des cadeaux qui sont faits ainsi à une génération. Cela ne veut pas dire qu’ils ne prendront pas une valeur universelle, qu’ils ne deviendront pas des classiques. Mais leur exactitude imaginaire, leur adéquation sensible avec nous, tient à ce que nous avons vécu la même ambiance sonore et visuelle en parallèle et que les clefs qui en expliquent l’ambiance, cet indicible « complexe » qui ne peut trouver l’oralité, nous a traversé, en laissant une empreinte, comme on dit d’un animal qui reconnaîtra toute sa vie ce qu’il a aperçu en ouvrant les yeux.

J’ai vécu, par chance, l’ouverture de la Maison de la Radio et parcouru ses couloirs, en étant un peu perdu, comme Lemy Caution – Eddie Constantine que l’on va interroger. J’étais aussi celui qui ouvre les portes, que les pièces soient occupées ou libres. Je suis tellement reconnaissant à mon copain, dont le père était technicien à la radio, de m’y avoir traîné en contrebande, libre de tout contrôle. 

Cela tient aussi au fait que j’ai pris de plein fouet les fausses bagarres des films de Christian-Jaque, entre cigarettes, whisky et femmes fatales, comme une légende de notre temps. Je dis bien du notre, à l’exclusion de tous les autres ! Je suis donc resté fasciné de découvrir, totalement décalée, la silhouette « gabardinée » que Godard est allé extraire, pour coller son espion poète et halluciné, vecteur de l’amour, comme une citation littéraire, égale au reste des mots sauvages qu’il emprunte à Bergson ou à Céline.

L’amour qui sauve, l’amour qui fait vivre.

Il y a un univers où nous étions adolescents : celui des premiers grands immeubles du quartier de La Défense qui se glissaient comme des extra-terrestres au sein des rues d’avant-guerre, celui du premier voyage à Londres et de la découverte du contraste sublime entre les chapeaux melons et les intérieurs fleuris de la banlieue et celui, enfin, où nous récitions Eluard, tout en croyant encore qu’Aragon était sincère.

Je plonge dans les yeux d’Anna Karina, longuement. Je suis au cinéma, dans une vraie salle, quelque part rue Champollion et non devant mon écran portatif. Nous sommes tous de nouveaux étudiants et Godard est en train de tourner « A bout de souffle ». Un autre cadeau qu’il nous fait. A nous !

Et cependant, je suis un homme livre !

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