A propos de Le Quattro Volte de Michelangelo Frammartino 3 out of 5 stars
En Calabre, un vieux berger mal rasé et en chemise à carreaux mène son troupeau paître quotidiennement. Mais il ne se doute pas qu’il va bientôt mourir. Le portrait du vieil homme est prétexte à un tableau d’ensemble très contemplatif de la région du Sud de l’Italie, en quatre parties. Où il est question de nature, d’animaux, mais aussi de traditions, de coutumes, de mythes, et plus si affinités…
Le Quattro Volte, littéralement « Quatre fois » en italien pourrait autant désigner les quatre saisons au cours desquelles le film a été tourné que les quatre sujets choisis par Michelangelo Frammartino pour évoquer la Calabre et les croyances des habitants d’un petit village médiéval perché en haut d’une colline.
Le berger que l’on voit pendant les premières minutes du film est l’objet de toutes les attentions du réalisateur qui le suit à la façon d’un documentaire. Rapidement, ce vieux berger meurt, sans doute parce qu’il a perdu la poudre de poussière que lui donnait une vieille femme à l’église contre une bouteille de lait et qui soignait « miraculeusement » ses poumons malades. Entre temps, Michelangelo Frammartino a eu le temps d’en fait un portrait assez distant, pudique et émouvant.
Pendant une bonne moitié du film, ce sont les chèvres du vieux berger qui vont être filmées comme des personnages à part entière, et la nature calabraise devenir la véritable protagoniste du film. Frammartino filme les animaux et les chèvres comme des acteurs à part entière. Un veau qui s’est retrouvé coincé dans un fossé et isolé du reste du troupeau semble avoir répété la scène, tout comme cette brebis debout sur la table de cuisine du vieux berger et qui renverse son plat d’escargots. Il n’y a ni voix off, ni musique et très peu de dialogues dans le film. La caméra de Frammartino alterne longs plans fixes et silencieux sur la campagne italienne à travers ses différentes saisons et plans séquences lents et virtuoses comme dans cette scène prodigieuse où au milieu du film et en l’espace de dix minutes, un chien provoque un accident en retirant une pierre qui bloque la roue d’un camion tandis que des Italiens déguisés en Christ et en soldats romains rejouent les derniers heures du Christ sur son chemin de croix, avant sa crucifixion !…
Dans Le Quattro Volte, il est beaucoup questions de traditions, de coutumes, et ces rites ont souvent un fond catholique, comme dans le cérémonial de la « Pita », qui constitue l’un des quatre tableaux du film et que Frammartino décrit en détails. Le film fait penser à cet égard à Ce cher mois d’août de Miguel Gomes.
Mais au-delà des traditions dépeintes dans la vie des habitants de Calabre, tout le film est comme imprégné de magie et de surnaturel. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est un système où les êtres vivants (hommes comme animaux) sont intimement liés entre eux et à la nature (aux arbres notamment), à la terre comme au ciel et à tous les éléments organiques, minéraux qui les entourent. En cela, le réalisateur italien tisse des liens ténus entre le chamanisme et lle christianisme, les croyances catholiques des habitants de cette région la plus pauvre d’Italie.
Mais ce qui intrigue le plus dans le film, c’est la répétition dans deux scènes du son d’un cœur qui continue à battre après la mort. Après qu’on ait enfermé les cendres du berger dans une urne dans un caveau mural, mais aussi après que des morceaux de bois d’un arbre énorme aient été recouverts de terre et condamnés à devenir charbons. Comme une croyance en la vie après la mort et une renaissance du vivant et de l’organique en général qui irait au-delà des préceptes de la religion catholique La présence de forces surnaturelles et d’un au-delà imprègnent tout le film, l’idée d’une transcendance de l’âme qui surprendrait peut-être les habitants du village eux-mêmes.
L’igloo de bois, de boue et de terre que des Italiens construisent et à l’intérieur duquel se consume du bois qui deviendra charbon a un côté très plastique avec cette fumée qui s’en échappe. Référence à Mario Merz ou à l’Arte Povera. C’est la première image du film. C’est aussi l’une des dernières et l’on se méprend au début de Le Quattro Volte lorsque l’on pense aux déchets toxiques que la mafia calabraise enterre sans vergogne et au détriment de la santé des habitants. Mais si le film de Frammartino est du côté de l’enchantement et du lyrisme, les crimes commis par La `Ndrangheta sur la terre (et la mer) en Calabre sont une horreur bien réelle dont il ne parle pas.
www.youtube.com/watch?v=kwkBOFx9McE