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La légende de l'if

Par Mafalda

Dans une belle forêt remplie de chênes et de hêtres, vivaient deux de ces petits arbres qu'on nomme des ifs et dont le feuillage vert foncé ressemble à des épingles. L'un d'eux, mécontent de son sort, ne cessait d'envier les grands arbres avec leurs feuilles fraîches et leurs branches étendues.
"Que t'importent les chênes et les hêtres ! lui disait souvent son compagnon ; ne sommes-nous pas heureux ainsi ?
- Non certes ! je ne suis pas heureux quand je vois les belles feuilles arrondies et luisantes de nos voisins ! Les nôtres piquent comme des aiguilles ; jamais personne ne voudra nous caresser ; ah ! s'il m'était permis de faire un souhait, je demanderais un joli feuillage vert et tendre !"
Le vent du soir souffla pour endormir la forêt ; mais le lendemain aux premiers rayons du soleil, notre petit arbre en s'éveillant se vit couvert de feuilles vertes.
"Vois, quelle charmante parure ! dit-il à son frère dans un transport de joie ; si tu avais fait le même souhait, nous serions sans contredit aussi beaux que ces chênes orgueilleux !"
Toujours sage, l'autre petit arbre agita ses feuilles aiguës en signe de doute :
"L'expérience nous apprendra lequel de nous a eu raison", répondit-il simplement.
Comme il parlait encore, un pâtre vint à passer avec un troupeau de chèvres. A peine eurent-elles aperçu le jeune et frais feuillage, que, bondissant de joie, elles dépouillèrent avec un appétit glouton le petit arbre dont les soupirs n'éveillèrent point la pitié !"
"Pauvre frère ! dit alors l'arbre aux feuilles piquantes ; qu'as-tu gagné à changer de parure ?
- Me voilà en piteux état ! reprit la voix dolente de son compagnon ; mais que n'ai-je réfléchi plus tôt : j'aurais demandé des feuilles tout en or, et je ne craindrais plus même un troupeau de mille chèvres !"
La nuit venue, l'arbre dépouillé s'endort avec toute la forêt, mais le lendemain de bon matin, il s'éveille et se trouve chargé de feuilles de l'or le plus pur ! Vraiment magnifique dans sa nouvelle toilette, il se redresse en s'écriant :
"Maintenant il n'y a pas plus riche que moi dans la forêt !"
En vain son prudent compagnon lui murmure-t-il doucement : "La richesse ne fait pas le bonheur" ; l'orgueilleux se balance pour faire miroiter au soleil son feuillage resplendissant.
Par la forêt vint à passer un bohémien ; son oeil perçant reconnut sans peine le précieux métal.
"Oh ! oh ! dit-il avec un ricanement joyeux, voilà une rare aubaine ! Profitons-en au plus vite !"
Et sans perdre une seconde, il se mit à cueillir toutes les feuilles d'or, qu'il entassa dans son bissac.
Quand il ne resta plus au petit arbre que les branches dénudées, il recommença ses plaintes.
"Ne te l'avais-je pas dit, frère ? reprit son compagnon. La richesse est pleine de dangers !
- Si je regrette mes feuilles d'or, répartit l'incorrigible, ce n'est pas pour leur valeur ; mais elles me rendaient si beau ! Être admiré, briller, voilà le vrai bonheur ! J'aurais été plus avisé en souhaitant des feuilles de cristal. Celles-là n'auraient pas attiré les voleurs ! Qu'en pense mon meilleur ami ?
- Je pense, répondit l'If toujours prudent, que la beauté est trop fragile pour nous rendre longtemps heureux !"
Cependant, après le doux sommeil de la nuit, notre entêté se réveilla tout chargé de feuilles de cristal. Aux rayons du soleil levant, il jetait des feux éblouissants ; se voyant si beau, le petit arbre ne se possédait pas de joie.
"Enfin, me voilà satisfait ! s'écriait-il. Il n'y a pas au monde un arbre qui scintille comme moi !"
Mais l'automne est venu ; un ouragan s'élève et traverse furieux la forêt. Chênes et hêtres se laissent arracher sans regret leur feuillage jauni, qui sera remplacé au printemps prochain ; mais les feuilles de cristal tombent toutes et se brisent au sol !
Alors le petit arbre se mit à réfléchir :
"Frère, dit-il à son compagon, tu as été plus sage que moi ! Pour être heureux il faut se contenter de peu ! Ah ! si je pouvais avoir encore une fois des feuilles comme les tiennes, je ne demanderais plus rien !"
Le soleil se couche et le petit arbre s'endort tristement. Le lendemain, à peine s'est-il regardé, que joyeux, il se met à rire de toutes ses forces ! Les grands arbres voisins font de même et se moquent des petites feuilles semblables à des épingles qui lui sont repoussées pendant son sommeil.
"Riez à votre aise ! s'écrie le compagnon du petit arbre, je suis fort content que mon ami soit devenu raisonnable ! Notre feuillage est plus durable que le vôtre, et... prenez garde, car il pique bien !"

Anne MOUANS


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