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Maurice Chappaz, Orphées noirs

Par Alain Bagnoud
Maurice Chappaz On pourrait se demander pourquoi Maurice Chappaz, pour ses 90 ans, avait choisi de recommenter les deux contes africains recueillis par Léo Frobenius et de faire publier le tout, contes, observations de 2006, et celles de 1955 qu'il avait fait paraître dans la revue Pays du Lac  dirigée par Jacques Chessex (voir le 20.11 et le 22.12).
A lire ces textes, la réponse est évidente. Les sujets évoqués par les contes relaient ses thèmes obsédants.
Dans Le luth de Gassire, le fils du roi sacrifie la ville de Wagadou et sa propre famille pour le chant des bardes, pour que son luth chante. Ce qui intéressait Chappaz en 55, c'était la naissance de la poésie et le prix à payer pour elle : « l'exil, le sang des proches, la disparition de la cité ».
En 2006, l'affaire est terminée. « Gassire me suggère aussi la disparition de la Suisse Romande avec quelques bouteilles à la mer lancées depuis Rousseau jusqu'à Ramuz. Quelques gouttes d'encre telles quelques gouttes de sang giclent encore par-ci, par-là entre la Venoge et la Dranse. » La civilisation paysanne chère à Chappaz est morte, c'est celle que son luth a chantée, qu'il ne pouvait chanter que parce qu'elle était en train de mourir.
Dans La chute de Kasch, qui se termine aussi par la fin de la ville, le morcellement de l'empire et son invasion par les peuples sauvages, c'est l'écroulement de l'église qui est mise en scène.
En 1955, Chappaz explique que ce conte « exalte une dictature cléricale, l'insertion de chacun dans l'ordre au monde et une révélation. » C'est une image du Valais catholique, des « gens de ces vallées avec qui on peut croire publiquement et en secret ».
En 2006, tout a changé. « La chute de Kasch dessine un rouage d'étoiles et de prêtres qui contrôlent, font tourner la cité et lui permettent de prospérer. Jusqu'au jour où l'aventure d'un nouvel et superbe amour se substituera à l'ordre social, astral. Comme dans un rêve, tous les prêtres sont tués. » La religion recule, on a perdu la vocation, dit Chappaz qui voit les bancs de l'église à moitié vides. Mais qui ne se rend pas :
« Je suis à l'extrémité de la vie, quelle saveur encore ! Est-ce que je suis sur le point d'assister à la catastrophe-résurrection que j'appréhende et j'espère ? Le chaos et le paradis pendent comme un fruit mûr, merveilleux, au bord d'une branche dans le jardin sous ma fenêtre.
« La nuit remue, c'est l'Eglise. »

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