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La Shoah des rêveurs : un cauchemar de Ludovic Huart

Par Bscnews

La Shoah des rêveurs : un cauchemar de Ludovic HuartPar Julie Cadilhac- Bscnews.fr / Après sa monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petit fille vraiment très laide, Ludovic Huart nous invite dans un cauchemar encore plus effrayant. Une époque où l'on fait naître des enfants-bourriquots qui travaillent en pyjamas rayés au fond des mines, une époque où l'on est condamné à se nourrir de charbon-chocolat . Un lieu aussi noir que la suie au nom repoussant de" Skeleton", un quartier aussi malheureux que les pierres, aussi affamé que désespéré dans lequel surgit un dictateur effrayant: un "mange-feu" qui prône la déportation des peluches des enfants rêveurs et qui interdit toute liberté et tout loisir. De quoi vous glacer le dos!

Sous prétexte que "rêver ne rend pas libre", dans ce pays-là, le roi de l'épouvante s'acharne sur les enfants qu'ils jugent responsables des malheurs que le pays supporte. Gribouille, petit garçon peu traditionnel, un "enfant-chiffon" dont le " corps [est] en toile piquée - rempli de paille de la tête aux pieds" et qui porte " du matin au soir[...] un pyjama rayé à poils ras, raccommodé par endroits avec des morceaux de fourrure usée- sur lequel il avait cousu une longue corde-queue de rat" ,devant tant de maux, préfère s'enfermer dans un placard aux balais et rêver d'un monde plus clément. Et puis, un jour, au milieu d'une foule effrayée qui piétine sur le pavé, il rencontre Loup qui s'est caché dans une valise lors du grand chambardement....Loup qui écrit des lettres à Gribouille lorsque ce dernier disparaît dans son ventre. Loup qui rêve qu'il suce ses doigts maculés de chocolat pour tromper la faim et qui, surtout, surtout, ne doit pas sortir de sa cachette de peur de mourir d'effroi.

La funeste nuit des enfants est une métaphore troublante de la Shoah. La suppression froide et calculée des peluches du pays du Mange-Feu est une monstruosité que perçoivent tous les enfants de cette terre et qui provoque des réminiscences historiques fort désagréables auprès des adultes. Dans ce récit -cauchemar, les mots de Ludovic Huart, à la fois accessibles et extrêmement poétiques par leur formulation enfantine et le choix de métaphores parlantes, sont justes. Son phrasé, porté par une oralité qu'il hérite de son expérience de metteur en scène, ajoute à l'efficacité du texte et facilite la mémorisation de certains détails essentiels ( " de la tête aux pieds") .

Les dessins sombres de Frank Dion créent un univers oppressant où la lumière est bannie. Dans une narration où l'espoir ne tient qu'à un maigre fil qui s'effiloche dangereusement, l'illustrateur brosse un monde gris où la vie se meurt. et où les chimères "s'en donnent à coeur terreur". Seule la dernière planche, porte sur l'avenir, irradie d'espoir.

Un livre qui ne peut pas laisser indifférent et qui, en choisissant d'évoquer le pire cauchemar d'un enfant, rappelle avec plus de vivacité encore aux adultes toute l'horreur de la déportation. Un livre intelligent.

" A l'intérieur, serrés comme ils étaient, les animaux en peluche pouvaient à peine respirer, mais aucun d'entre eux ne se plaignait. ils se consolaient en pensant que bientôt ils pourraient enfin s'amuser comme avant, mais le voyage étaie interminable. Après de longues heures de route à travers les campagnes, le train fantôme s'enfonçait lentement dans la forêt et continuait inlassablement son chemin, roulant toute la nuit, pendant longtemps, et plusieurs nuits. Au bout de quelques jours enfin, les wagons s'arrêtaient dans un bruit de ferraille tout en s'entrechoquant à l'entrée du camp maudit. Brusquement, les portes s'entrouvraient et dans un désordre confus, tous les animaux en peluche se regroupaient dans la cour de récréation. Privés de tous leurs bagages [...] et prétextant une invasion de puces et de poux, ils étaient rasés - de la tête aux pieds- et avec les poils et la fourrure, on s'en servait pour tricoter des chaussettes et des couvertures [... ]." ( Ludovic Huart)

Titre: La funeste nuit des enfants et d'un loup en peluche qui ne devait plus murmurer à l'oreille

Auteur: Ludovic Huart

Illustrateur: Frank Dion

Ouvrage publié avec le soutien de la fondation d'Auschwitz

Editeur: L'album des vilains gamins.

Prix: 16,50 euros.


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