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« La femme lion » de Erik Fosnes Hansen paru chez Gallimard (critique)

Par Sumba

Douleur du monstre



Le dernier roman du Norvégien Erik Fosnes Hansen a pour héroïne un de ces personnages de « monstre » qui parcourent et fascinent la littérature. Celle qu’il prénomme ironiquement Eva, une enfant qui naît et grandit couverte d’une toison, souffre d’une pathologie bien réelle du nom d’« hypertrychosis ». Mais qu’est-elle au juste ? Une petite fille ou un animal ? Et comment la taxer de monstre quand tout autour d’elle n’est que cruauté ? De ces questions très simples, l’auteur fait le point de départ d’une réflexion sur sa société, ou plutôt sur toute société.



« La femme lion » de Erik Fosnes Hansen paru chez Gallimard (critique)

Si l’intrigue prend place dans une province norvégienne au début du XX ème siècle, elle aurait sans doute pu se situer n’importe où. La vie de la jeune Eva semble en effet presque détachée de l’Histoire. Isolée des hommes dans un village lui-même enclavé, elle vit dans un monde à part, une sorte de microcosme dont elle occupe souvent le centre du fait de sa différence. Les croyances populaires et les langues de vipère locales se déchaînent, apparemment ignorantes de ce qui passe dehors, en Europe. Pourtant, on apprend au seuil du récit que la naissance déconcertante a lieu en 1912, donc à la veille de la Première Guerre Mondiale.



Et la même année que le naufrage du Titanic, qui a fait l’objet du romanœ le plus connu de Erik Fosnes Hansen, Cantique pour la fin du voyage. L’histoire d’Eva n’est d’ailleurs pas sans analogies avec celle des sept musiciens du paquebot naufragé imaginée dans le Cantique. Même solitude, même séparation des conflits en gestation… Et même intérêt pour une micro-société traversée par une tragédie. La neutralité de la Norvège dans les affrontements explique sans doute en partie ce trait commun, qui laisse deviner le regard critique de l’écrivain à l’égard de la politique de son pays.



Toujours est-il que grâce au flou spatio-temporel qui l’entoure, l’aventure de la petite fille au prénom biblique peut avoir des résonances universelles . Transformée en « bête de foire et en spectacle pour les anatomistes », de même que la Vénus hottentote Saartjie Baartman, elle est un révélateur des pires penchants humains. Si bien que c’est elle qui finit par apparaître comme étant la plus proche de ce que l’on appelle l’« humanité », si toutefois cette notion a encore un sens. La construction polyphonique du roman est aussi pour beaucoup dans cette mise en question des valeurs : dans un récit-cadre à la troisième personne, sont inclus des passages de monologue intérieur qui rendent compte des réflexions d’Eva, ainsi que des passages de son journal intime.



L’héroïne est alors la seule à être dotée d’une véritable épaisseur psychologique. Grâce à une expression toute en sobriété, les incidents qui ponctuent la vie de la pauvre enfant ne suscitent pas la pitié. Et si les mots paraissent parfois trop doux, on entrevoit dans leurs interstices toute la douleur du cœur malchanceux. Et aussi sa beauté teintée d’étrangeté, qui n’est autre que celle de la différence.



La femme lion, Erik Fosnes Hansen, Gallimard, 451p., 23,50


Article paru dans Témoignage chrétien le 12/01/2011


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