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Zoli

Par Liliba

coeurcoeur

Zoli
Présentation de l'éditeur

Des plaines de Bohême à la France, en passant par l'Autriche et l'Italie, des années trente à nos jours, une magnifique histoire d'amour, de trahison et d'exil, le portrait tout en nuances d'une femme insaisissable. Porté par l'écriture étincelante de Colum McCann, Zoli nous offre un regard unique sur l'univers des Tziganes, avec pour toile de fond les bouleversements politiques dans l'Europe du XXe siècle.

Tchécoslovaquie, 1930. Sur un lac gelé, un bataillon fasciste a rassemblé une communauté tzigane. La glace craque, les roulottes s'enfoncent dans l'eau. Seuls en réchappent Zoli, six ans, et son grand-père, Stanislaus.

Quelques années plus tard, Zoli s'est découvert des talents d'écriture. C'est le poète communiste Martin Stránský qui va la remarquer et tenter d'en faire une icône du parti. Mais c'est sa rencontre avec Stephen Swann, Anglais exilé, traducteur déraciné, qui va sceller son destin. Subjugué par le talent de cette jeune femme, fasciné par sa fougue et son audace, Swann veut l'aimer, la posséder. Mais Zoli est libre comme le vent.

Alors, parce qu'il ne peut l'avoir, Swann va commettre la pire des trahisons...

Voici dans ce roman un magnifique portrait de femme. Zoli la tsigane, devenue poétesse et emblème de tout un peuple avant d'être rejetée par ceux qui l'ont adulée, Zoli la belle, Zoli la rebelle, Zoli libre de penser et d'agir, Zoli qui fait s'enflammer les coeurs parce que son grand-père a accepté de lui apprendre à lire et à écrire, connaissances totalement interdites aux femmes tziganes.

Mais Zoli n'appartient plus à personne, plus tant que ça à son peuple, pas non plus à l'anglais amoureux d'elle. Elle n'est d'aucun pays et est à tous. Elle n'est d'aucun parti, elle est libre comme le vent, comme l'eau du fleuve, elle est Zoli et elle raconte... Ce qui fera son malheur...

Au gré des cahots de la roulotte, des rencontres du clan, des pauses dans l'errance et des départs précipités pour échapper à la vindicte populaire ou à la police, Zoli va conter, raconter en chantant l'histoire de son peuple, une histoire qui les décrit tels qu'ils sont : beaux et tristes, fiers et courageux, voleurs, menteurs, sales, mais aussi drôles, heureux dans le dénuement, respectueux des traditions... Tout un ensemble de qualité et de défauts parfois totalement contradictoires, mais qui les mettent cependant au ban de la société, eux, les tziganes...

Voici donc aussi un roman sur un peuple, un regard lucide mais tout empreint de tendresse, émouvant, passionnant. Amour, exil, trahison, vengeance... Une belle fresque sur les plaines de Bohême et sur l'univers des tziganes du début du siècle, souvent méconnu et incompris.

Un roman magnifique, prenant, envoûtant, à lire !

Quelques extraits :

"Il longe le lit du ruisseau et un immonde paysage se révèle peu à peu, les seaux renversés dans un coude plus loin, le landau cassé dans les mauvaises herbes, le baril de pétrole qui tire une langue rouillée, la carcasse d'un frigo dans les ronces.
Le chien qui vient renifler le devant de la voiture a comme la peau recousue sur les os. Encore une seconde, et les gamins déboulent, se massent contre les vitres. D'un coude qu'il voudrait nonchalant, il abaisse les clenches aux angles des portières. Il y a un môme assez agile pour sauter sans un bruit, empoigner les deux essuie-glaces et s'étaler sur le capot. Deux autres s'accrochent au pare-chocs arrière et se laissent traîner, pieds nus dans la gadoue. Les filles courent de chaque côté, le nombril à l'air dans leurs jeans taille basse. L'une d'elles tend un doigt en riant, puis s'arrête, net, muette. Le gamin du capot glisse par terre, les patineurs lâchent le pare-chocs, et la rivière est soudain là, boueuse, rapide, inattendue. Un coup de volant brutal, les mûriers grattent les vitres, le chiendent craque sous les essieux, mais la voiture retrouve le chemin. Les enfants rappliquent à toutes jambes en poussant des cris.
Courbées sur la rive opposée, deux vieilles femmes se redressent avec un sourire en coin, hochent la tête et recommencent à frotter sur les galets des draps gorgés de lessive.
Un autre virage serré, une haie d'arbres comme un mur aveugle, un cageot à salades crevé dans l'herbe haute, et là, de l'autre côté d'une passerelle branlante, une ruine, se trouve le camp des Gitans, rejeté sur une île au milieu de la rivière : on dirait qu'elle préfère la contourner. Des baraques, des cabanes sans fenêtres. Tuyaux dentelés, bois disparates, des foulards de fumée au-dessus des cheminées, des toits rapiécés en tôle ondulée, grêlés d'antennes satellite. Dans les branches d'un arbre, au fond, un manteau bleu claque au vent.
Il gare la voiture hors du chemin, tire le frein à main, fait semblant, un instant, de chercher quelque chose dans la boîte à gants, fouille bien alors qu'il n'y a rien, rien là qu'une seconde de répit. Derrière les vitres, les visages des gamins. En ouvrant la portière, il entend brusquement la dizaine de radios qui, de l'autre côté, gueulent simultanément des chansons slovaques, tchèques, américaines.
Aussitôt les mômes lui tâtent les manches, lui auscultent les côtes, lui palpent les poches. Il a l'impression d'être lui-même une douzaine de mains. Il les repousse d'un geste, crie :
- Ouste !
La voiture oscille en cadence : encore un gosse qui saute sur le pare-chocs. Il gueule :
- Ça suffit, maintenant !
Les garçons haussent les épaules dans leurs vestes en cuir. Les filles aux chemisiers ouverts reculent en ricanant - leurs dents immaculées, le vif-argent dans leurs pupilles. En débardeur, le plus grand des garçons s'avance.
- Robo, dit celui-ci en bombant le torse.
Poignée de main, il prend le jeune homme à part, lui murmure quelques mots à l'oreille.
Il aimerait ignorer cette odeur forte de laine mouillée et de tabac brun. Trente secondes pour conclure un marché : cinquante couronnes, Robo l'emmène voir les aînés, et, pendant ce temps-là, qu'on ne touche pas à la voiture.
L'adolescent met en garde sa petite bande, file une taloche au gamin du pare-chocs arrière. Puis ils s'en vont vers la passerelle. De nouveaux enfants arrivent le long de la rivière, certains tout nus, certains en couche-culotte, une fille en tongs sous des lambeaux de robe rose, et c'est la même qui semble finalement être partout, belle, ébouriffée, les yeux noirs comme du charbon. Seules leurs chaussures sont différentes."

L’hiver, la solitude et le regret distillent leur parfum au fil des pages du nouveau roman de Colum McCann. Il décrit avec sincérité l’univers des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale et la montée du communisme dans les vastes plaines et forêts de l’Europe de l’Est. Sans tabous, ni fioritures, les mots décrivent un univers fait de solidarités, de confréries, d’amour, mais aussi de trahison, de reniement, de solitude, d’incompréhension. Zoli, farouche héroïne de ce roman, séduit de sa voix chaude, de son tempérament de feu et de sa volonté impitoyable. Mais dans un monde où la révolution communiste prend toute son ampleur, même le plus puissant feu ardent se givre et devient glace… Quand deux mondes se rencontrent, s’attirent et se détruisent, la même question s’insinue, toujours plus pernicieuse : pourquoi ? Femme au destin lourd de conséquences, Zoli porte en son coeur les stigmates de son amour des mots et de la culture. A trop vouloir aider les siens, à trop vouloir croire en un avenir meilleur, elle finira bannie mais deviendra légende. Sur les pas de l’indomptable Tzigane, l’oeil du lecteur s’envole dans le ciel. Dans une mélancolique poésie, Colum McCann plante une histoire aux accents slaves où nostalgie et espoir se battent pour mieux s’étreindre.

"Grand-Père disait que nous étions faits pour le ciel, pas pour les plafonds."

"Il y a des choses qu'on peut voir et entendre - encore aujourd' hui, longtemps après : les fosses qu'on creusait, la terre qui tremblait, les oiseaux qui ne volent plus au-dessus de Belsen, ce qui est arrivé à nos frères de Tchéquie, soeurs de Pologne, cousins de Hongrie, quand nous autres Slovaques avons survécu, bien qu'ils nous aient frappés, torturés, jetés en prison. Ils nous ont volé notre musique, nous ont bouclés en camp de travail, Hodonin et lety et Petic, les couvre-feux impossibles, les couvre-feux à l'intérieur des couvre-feux, et les crachats dans la rue. On parlera des écussons cousus sur les manches, du Z qui nous coupait le bras en deux, des brassards rouge et blanc - des chiens bien gras autour des camps, des morts aux poils brunis par le Zyklon B, des pantoufles tissées avec nos cheveux, des fanions de peau d'homme sur les fils barbelés. On peut savoir tout ça et plus. Ce qui est arrivé à un seul d'entre nous est arrivé à tous les autres, mais rien n'est plus présent dans ma mémoire que ce jour où Grand-Père, Stanislaus, a été arrêté dans les ruelles grises de BratislavaBratislava par un grand soldat blond."
'En repensant à cet après-midi-là, je retrouve le goût de ce à quoi nous avions cru : la révolution, l'égalité, la poésie. Assis autour de la table, nous avons laissé les heures s'écouler. Zoli gardait la tête légèrement inclinée, sans jamais toucher à son verre. Elle débita à toute allure quelques couplets des vieux chants. C'était du slovaque, avec une ferveur rêche, indomptée : elle n'avait pas l'habitude de 'réciter'. Ces choses-là, elle les chantait. Certains vers étaient répétés plusieurs fois, à des moments choisis, ce qui créait un style particulier, déclamatoire, empreint finalement de tristesse. C'étaient d'amers récits de trahison, aux couplets récurrents - comme des feuilles d'automne qui forment des couchent les unes sur les autres. Une fois terminé, elle a croisé les doigts en regardant droit devant elle."

"Ils prétendaient qu'elle s'évertuait à vivre un mètre au-dessus du sol. Il restait inconcevable qu'elle puisse être vue avec un livre au bras : on ne peut aller contre certaines idées reçues. Avant de repartir chez les siens, elle cousait des pages sous la doublure de son manteau, dans les poches de ses robes. Elle avait un faible pour un vieux recueil de Neruda, traduit en slovaque, qu'elle s'était acheté elle-même, d'occasion. Elle se promenait avec ses chants d'amour collés aux hanches, et j'ai appris par coeur des poèmes entiers pour les lui réciter à voix basse lorsqu'on prenait le risque d'un moment entre nous. Elle conservait dans diverses autres poches des ouvrages de Krasko, Lorca, Whitman, Seifert, et même un Tatarka récent. Quand elle posait son manteau à l'imprimerie, elle faisait tout de suite plus mince."

"Comme cela semble étranger, maintenant, les colonnes, les piliers, les plantes en plastique sous les fenêtres. On applaudissait quand j'apparaissais dans les salons. Ils calaient leurs cigarettes entre leurs lèvres, plissaient les yeux. Les femmes au visages lisses hochaient la tête en chuchotant. Ils m'observaient et pourtant j'avais l'impression qu'ils ne me voyaient pas, qu'ils regardaient autre chose, qu'ils voulaient rester entre eux. La façon dont ils fumaient, fausse, toujours empruntée. Ce bruit terrible quand mes pas quittaient les tapis pour le sol carrelé. Mon coeur qui galopait. Je cherchais Swann, son visage familier. Il arrivait en avance de plusieurs heures, pour m'épargner l'angoisse. Il m'attendait en faisant gentiment rebondir son chapeau contre sa cuisse, un exemplaire de Ruedé Pravo roulé dans la poche."

Lu par Le blog des livres, qui a ensuite posé 10 questions à l'auteur. Lu également par Caro(line), Yueyin, Bluegrey...

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