Il y a bien longtemps que nous, citoyens de France, nous n'avons pas eu à vivre avec la peur au ventre, à cause de la police, publique ou secrète, avec l'impossibilité de nous exprimer librement, avec la mort partout autour de nous. C'est ce que nos grands-parents ont connu entre 1940 et 1944. Depuis des années, nous savions pour vous : que l'Etat tunisien était fondé sur une police omniprésente, que vous risquiez votre vie si vous parliez haut et fort, que vous étiez rackettés. Pendant toutes ces années, nous avons, ici, entendu certains de nos "leaders politiques" et bien sur, pour la plupart à droite, nous expliquer à quel point M. Ben Ali avait contribué à faire faire des progrès économiques et sociaux à la Tunie, nous vanter votre pays pour "le tourisme" - comme si des citoyens ayant toute leur raison pouvaient se rendre dans un pays sans regarder ni entendre les souffrances et les drames de tout un peuple... (mais nous savons que nos publicitaires du tourisme mondialisé et aveugle savent parfaitement vivre dans des bulles, et, tels les fameux singes, ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire). Mais les Tunisiens qui vivaient en France racontaient les souffrances, les drames d'un peuple tenu par la violence, par les violences. Il y aurait eu fatalité, d'autant plus que les islamistes menaçaient. Mais nous, nous savions que vous souffriez, que vous perdiez des amis, et que des pressions internationales fortes auraient obligé M. Ben Ali et ses soutiens à de la modération et des concessions. La "real politik" de nos diplomates prêts à tout l'emportait - le respect des "droits de l'Homme" pourtant affiché haut et fort par un élu de 2007 était renvoyé aux calendes grecques. Seuls, vous avez relevé la tête et secouer l'Etat tunisien, avec ses policiers criminels, et vous voilà désormais libres du dictateur. Toutes nos pensées vont vers vous, et nous vous rendons hommage, à genoux et en applaudissant, car déjà trop de citoyens sont morts. Une extraordinaire période s'ouvre. Elle demande l'implication de tous les citoyens qui le peuvent, parce que vous avez l'opportunité de reconstruire un Etat sur des règles et des moyens démocratiques qui empêcheront toute dérive autoritaire, tout retour de la dictature. Les moyens de l'époque en matière de communication et de médiatisation doivent vous permettre de parler, de tout, et notamment de ces règles constitutionnelles qui vous protègeront, avec des hommes et des femmes choisis pour cela. Sachez que, en France, nous en rêvons aussi, et que, si nous ne souffrons pas d'une dictature policière criminelle, nous ployons sous la force d'un Etat dont la constitution monarchiste gaullienne nous empêche AUSSI de vivre dans une véritable démocratie; dont les grands médias sont AUSSI aux ordres des plus puissants et des proches du pouvoir politique, et qu'ils nous empêchent aussi d'avoir une parole publique libre, un dialogue civique constructif (sachez que les grandes chaînes de télévision française ne font quasiment pas de direct, trient sur le volet les citoyens qui peuvent s'exprimer, leur laissent très peu de temps pour le faire). Tant de démocraties sont si formelles, étouffées par un petit nombre. Il en va ainsi aussi de la France, et vous avez l'opportunité et de vous être débarassé d'un infâme et de vivre dans une démocratie plus rigoureuse et sérieuse que la nôtre. Car chez vous, la corruption a sévi pendant des décennies en enrichissant des familles proches du pouvoir. Chez nous, l'argent public, même sous la surveillance d'institutions, la Cour des Comptes, le Trésor Public, le Ministère de l'Economie et des Finances, sert aussi un train de vie de nos dirigeants, et une dette colossale s'accumule - qu'ils osent mettre sur le dos de nos "acquis sociaux". Il y a belle lurette que "la grande nation" n'est plus. Les dirigeants actuels de l'Etat français n'ont eu aucune considération pour vous, comme ils n'en ont aucune pour nous. Nous vous souhaitons un printemps joyeux et constructif, avec un peuple qui s'empare de ses moyens de vivre et de parler. Sachez que nous nous en souhaitons autant, et que nous avons, aurons, à apprendre aussi de vous. Et si nous pouvions travailler, citoyens, associations, mouvements de citoyens - ensemble ?