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Le Ghana et le pétrole : mirage ou miracle ?

Publié le 16 janvier 2011 par Africahit

Le taux de croissance de la Gold Coast va bondir de 20% en 2011 grâce à l’or noir. Attention seulement au « syndrome hollandais », qui verrait un pays qui tourne aujourd’hui avec plusieurs moteurs (cacao, mines, services) se recentrer uniquement sur le secteur pétrolier. Analyse.

Le Ghana et le pétrole : mirage ou miracle ?

Dans quelques semaines, le Ghana va être pris dans la fièvre de l’or noir. Les premiers barils du Jubilee Field vont être exportés par le consortium Tullow-Kosmos-Anadarko-GNPC, probablement vers les Etats-Unis ou la Chine, sur des pétroliers stationnés en haute mer. Avec une production à terme de 250 000 barils par jour, le Ghana, connu auparavant pour être le deuxième producteur mondial d’or et de cacao, va alors entrer dans le club fermé des principaux producteurs de pétrole africains, à côté de pays tels le Nigeria (2 millions de barils/jour), l’Angola (1,7 million de barils/jour), la Guinée équatoriale (300 000 barils/jour), le Congo (275 000 barils/jour), le Gabon (225 000 barils/jour) ou la Côte d’Ivoire (57 000 barils/jour). Le taux de croissance du pays va alors bondir d’un niveau moyen de 4,5% sur les dix dernières années, à 20% en 2011, selon les prévisions du FMI d’avril 2010.

Même si une quantité substantielle d’emplois sera créée dans les secteurs périphériques tels la construction et l’artisanat, l’impact du pétrole sur l’emploi en général sera limité à cause de l’inadéquation entre l’offre et la demande et du manque de préparation et de formation de la main-d’œuvre.

Perspectives attrayantes

Grâce aux réformes fiscales et monétaires mises en place depuis 2008, les principaux indicateurs économiques du pays sont d’ores et déjà au beau fixe. L’inflation a significativement baissé depuis 2009 pour atteindre 10%, et le déficit public, naguère abyssal, se rapproche de 8,5% du PIB. La production du pétrole de Deepwater Tano et de West Cape Three Point, les principaux puits du Jubilee Field, va accentuer cette bonne trajectoire économique. Avec une production de départ de 120 000 barils par jour, le pays devrait générer sur la prochaine décennie des revenus additionnels de 1,2 milliard $ par an si le prix du pétrole reste autour d’une moyenne de 65 $/baril. Par rapport au PIB actuel, les revenus du pétrole vont représenter environ 7% de la richesse nationale. Dans le budget 2011, le gouvernement ghanéen estime pouvoir générer des revenus pétroliers de 584 millions GHS (408 millions $). Les chiffres actualisés seront probablement supérieurs. Face à cet état des lieux flatteur, il y a des risques à ne pas sous-estimer, des raisons d’espérer et des insuffisances à combler.

Risques et espoirs

Les risques sont connus. D’aucuns redoutent « le syndrome hollandais », qui verrait une économie qui tourne aujourd’hui avec plusieurs moteurs (cacao, mines, services) se recentrer uniquement sur le secteur pétrolier. Ce risque ne peut être écarté si on analyse les expériences du Nigeria, du Ghana ou du Gabon, qui sont aujourd’hui des économies qui tirent plus de 70% de leurs revenus du secteur pétrolier. Le risque d’une mauvaise utilisation de cette ressource ne peut pas non plus être exclu, si on considère les problèmes de mauvaise gestion qui ont anémié les secteurs de l’or et du cacao au Ghana à la fin des années 80. Nonobstant ces risques, il est aujourd’hui possible d’identifier plusieurs tendances positives dans un exercice de prévision sur l’impact du pétrole au Ghana.

Transparence

Premièrement, la gestion du secteur pétrolier sera probablement plus transparente que dans certains pays voisins. Le fait que le pays ait découvert le pétrole en 2007, dans un contexte où les institutions démocratiques fonctionnaient, a permis de mettre en place un cadre législatif qui mise sur la transparence. Les récents débats parlementaires sur l’utilisation des revenus pétroliers, l’insistance du gouvernement pour inclure les autorités locales des régions concernées dans les discussions et la forte demande de la société civile pour un accès illimité aux informations sur le secteur pétrolier confortent dans cette analyse et permettent d’espérer un haut niveau de transparence. De plus, le pays a pris le temps de considérer tous les mécanismes de gestion des revenus mis en place par des pays tels que la Norvège (fonds d’investissement pour les générations futures) et suggérés par les investisseurs internationaux (Initiative sur la transparence des industries extractives).

Investissement dans les infrastructures

Deuxièmement, les revenus pétroliers vont permettre d’améliorer considérablement les infrastructures d’un pays qui en a besoin. Les initiatives telles que le Fonds pour le développement accéléré de la Région des Savanes/Nord du Pays illustrent la volonté d’investir les revenus du pétrole dans les infrastructures. L’objectif de ce fonds est de combler le déficit en routes des trois régions septentrionales du pays. Il est aussi prévu d’utiliser une partie des revenus du pétrole pour financer le projet de construction de logements accordé à la société coréenne STX Korea pour 10 milliards $. Enfin, plusieurs projets sont en cours d’exécution pour améliorer les infrastructures (routes et chemins de fer) des régions avoisinantes aux champs pétroliers. Le développement des infrastructures sera probablement l’impact le plus concret de l’arrivée du pétrole dans le pays.

Stabilité monétaire

Troisièmement, les flux liés au pétrole vont stabiliser sur plusieurs années une monnaie, le Ghana cedi, qui est connue pour une volatilité excessive. Les revenus pétroliers vont venir gonfler les réserves en devises étrangères au-delà du niveau requis de couverture (trois mois d’importations). L’afflux croissant des investissements directs, couplé à la création prévue d’un fonds de stabilisation pour faire face aux chocs économiques exogènes, devrait permettre une relative stabilité de la monnaie. En plus de cette stabilité, les pressions inflationnistes devraient diminuer, si on exclut les risques de pénurie alimentaire ou de hausse vertigineuse du prix du pétrole. Ainsi, les taux d’intérêt resteraient orientés à la baisse, créant un environnement économique stimulant pour l’investissement privé ou la consommation.

Le Ghana, connu auparavant pour être le deuxième producteur mondial d’or et de cacao, va entrer dans le club fermé des principaux producteurs de pétrole africains.

Le Ghana, connu auparavant pour être le deuxième producteur mondial d’or et de cacao, va entrer dans le club fermé des principaux producteurs de pétrole africains.

Retombées limitées par des insuffisances

S’il est permis d’être optimiste, il est aussi nécessaire de garder une prudence mesurée tant le pays recèle encore d’insuffisances structurelles notoires. De toute évidence, les attentes de la rue quant à une baisse significative du prix du pétrole à la pompe, parce que produit localement, seront déçues. Le pays ne dispose ni des infrastructures de raffinement nécessaires, ni des capacités financières pour se permettre d’acheter massivement le pétrole local et de le raffiner. Il est donc fort probable qu’une bonne partie du pétrole à la pompe à Accra ou Koumassi restera un pétrole importé et subventionné aux frais du contribuable. Pour se permettre une baisse du prix à la pompe, il aurait fallu anticiper en modernisant la seule raffinerie du pays, à Tema, et probablement en construire une seconde.

Le marché de l’emploi ne devrait pas non plus s’améliorer significativement à cause du pétrole. Les emplois offerts dans les secteurs de l’exploration, de la production et des services pétroliers ne seront pas occupés par des Ghanéens, car le pays dispose de peu de main-d’œuvre qualifiée. Même si une quantité substantielle d’emplois sera créée dans les secteurs périphériques tels la construction et l’artisanat, l’impact du pétrole sur l’emploi en général sera limité à cause de l’inadéquation entre l’offre et la demande et du manque de préparation et de formation de la main-d’œuvre.

Enfin, le secteur des services, en particulier les banques et les assurances, qui aurait pu profiter de ce boom pétrolier, a, quand on y regarde de plus près, des marges de manœuvre limitées. Aucune des compagnies d’assurances ghanéennes n’a la capacité financière nécessaire pour assurer les opérations d’exploration et de production du pétrole. Leurs bases de capital étant trop faibles. De même, les bilans limités des banques ne leur permettent pas d’offrir les financements requis pour des activités d’exploration et de production de pétrole. Les principaux prêts sont pourvus par des banques étrangères qui disposent de liquidités considérables accessibles aujourd’hui à un coût faible. Pour un besoin de financement de 200 millions $, il est quasiment impossible à une banque ghanéenne de lever une telle masse à un taux d’intérêt inférieur à 10%, alors qu’une banque étrangère a aujourd’hui la capacité de se financer à des taux avoisinant les 5%. Tous ces déficits structurels étaient connus ; et pourtant peu de mesures concrètes ont été prises en amont pour renforcer les entreprises de ces deux secteurs cruciaux pour le secteur pétrolier.

Il n’est pas trop tard pour combler ces insuffisances. Le pays en a les moyens. Les raisons d’espérer l’émergence du Ghana et une bonne utilisation de la manne pétrolière sont nombreuses. Ce nouveau pays pétrolier est en effet plus proche du miracle économique que du mirage. A condition évidemment de faire les bons choix.

PAR PAUL-HARRY AITHNARD, DIRECTEUR DE LA RECHERCHE À ECOBANK


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