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Shutter Island

Publié le 17 janvier 2011 par Flow

Shutter Island.

(réalisé par Martin Scorsese)

L'enfer, c'est les autres...enfin il paraît.

 

 

Shutter Island. Certainement un film qui a compté en 2010. Je n'ai pu le voir que maintenant mais je dois avouer qu'il ne m'a pas laissé indifférent. Entre hommage au génial Kafka et fantastique anxiogène, on peut dire qu'il est prenant. Si vous n'avez pas vu le film ou lu le livre, fuyez cette critique immédiatement.

 

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Il y a des réalisateurs (à mon avis) dont il n'est pas facile de critiquer les films. Pour Martin Scorsese, c'est ce que je ressens. Si je peux dire que son âge d'or est derrière lui, je ne peux pas vous donner les raisons. C'est juste que Casino, Les Affranchis sont mieux qu'Aviator et les Infiltrés. Je vais donc juger ce film comme s'il était son premier.

Maintenant que j'ai posé les limites de mes capacités, on peut se tourner vers ce curieux objet qu'est Shutter Island. 1954. Un Marshall des États-Unis vient enquêter sur la disparition d'une patiente d'un hôpital psychiatrique perdu sur une île et nommé Shutter Island. Son enquête deviendra peu à peu identitaire...

Ambiance.

La première chose qui parvient à nous convaincre, dans ce film, c'est l'ambiance. Scorsese a fait un travail solide sur cette dernière. Un brin académique certainement, mais le savoir-faire du bonhomme n'est plus à démontrer. On suit l'arrivée de Teddy Daniels (Leonardo Dicaprio) sur l'île qui semble vraiment menaçante. On sent bien que le personnage n'en ressortira pas indemne. Puis commence une enquête policière des plus banales. La grisaille, puis la tempête, soutenues par les locaux, très mystérieux finissent de faire glisser le film vers le fantastique. Que se passe t'il sur Shutter Island? Que représente réellement cet endroit? On reste scotché. L'utilisation de plusieurs genres et la constante réévaluation des enjeux permet d'éviter les temps morts et l'ennui. L'enquête policière laisse place à une quête personnelle, puis à une quête identitaire qui nous conduit aux limites de l'esprit et de la perception. Il reprend avec succès les codes de chaque genre (policier, drame psychologique, fantastique).

Ce travail est soutenu par une solide interprétation. Les acteurs sont au diapason et Leonardo Dicaprio est comme à son habitude, parfait de bout en bout. Certes, son rôle (et donc son jeu) est proche de celui d'Inception mais ce n'est pas si dérangeant.

Kafkaïen.

Les personnages des romans de Franz Kafka sont des névrosés à la limite de la folie. Quoique, ils sont tellement aliénés qu'on peut parler de folie. Ils ne comprennent pas le monde et les gens qui les entourent. Ils ont l'impression de vivre dans un cauchemar éveillé. Ils affrontent (aux limites du fantastique) des forces mystérieuses et inconnues. C'est exactement ce qui se passe dans Shutter Island. Le Marshall se débat dans un monde mystérieux régi par des forces invisibles -on parle d'un commandement abstrait sur le continent- qu'il est impossible de combattre. On peut voir ce que l'on veut dans ces forces absurdes et arbitraires: Dieu, le destin, le hasard. L'absurde, justement, est au cœur de Shutter Island. Le combat entre le frêle et solitaire Marshall et cet univers écrasant et inhospitalier est totalement vain car il ne peut pas gagner. Il court partout, fait des rencontres pittoresques (dans le bâtiment C, dans les grottes, le militaire dans la Jeep...). Il n'y a qu'à lire Le Procès de Kafka pour s'en rendre compte, l'hommage n'en est que plus saisissant.

“L'enfer, c'est les autres disait Jean Paul Sartre, et c'est le point de vue qui semble, au premier abord, adopté dans ce film. D'autant plus que l'auteur met en avant une théorie intéressante sur les rapports sociaux. Son postulat établit la violence comme seul moteur de ces derniers. Interagir avec un autre être humain c'est lui imposer toute sa violence afin d'écraser la sienne. Pour le mettre en image, il fait de son personnage principal un vétéran de la seconde guerre mondiale ayant participé au massacre des soldats allemands à la libération des camps de concentration. L'Homme impose sa vision du monde à son voisin avec toute la violence nécessaire pour qu'il ne se révolte pas. Et cette théorie s'applique à tous les niveaux, de l'individu aux nations. Cette vision pessimiste sous-entend que l'être humain est contraint de vivre en société mais ne peut s'y épanouir qu'en écrasant les autres.

Pourtant, et comme dans toute œuvre kafkaïenne, si les personnages ne parviennent pas à exister dans la société humaine, qu'ils se sentent aliénés et écrasés ce n'est pas à cause de leurs rapports à l'autre. Non, ceci n'est qu'une conséquence. Leur dysfonctionnement est intérieur. Ils sont perdus dans le labyrinthe de la vie, ils ne peuvent accepter la condition humaine (la douleur, la mort). La violence des rapports sociaux vient de la violence animant l'être, du combat perpétuel régissant chaque individu. C'est la force des livres de Kafka et c'est la force de Shutter Island.

Au final, on peut voir l'île comme un microcosme social (à la manière de celle de Lost) où s'exerce la violence des rapports sociaux et l'individu qui perd le combat est refaçonné à l'image de l'autre (“zombifié”). Ou alors comme une métaphore de l'esprit du Marshall, un labyrinthe (le bloc C) qu'il essaie d'appréhender, de comprendre mais qui reste hélas difficile d'accès car c'est propre à sa condition. Les deux propositions sont dans le film.

Dénouement.

Je trouve le dénouement prévisible et je pense que c'est le plus gros défaut du film. Il nous refait le coup de Sixième Sens et on s'y attendait. Alors certes, la révélation colle parfaitement au cheminement de l'intrigue psychologique que j'ai évoqué dans le paragraphe précédent. Seulement, il manque à ce dernier une dose d'absurde et de mystère qui collerait plus à la thématique kafkaïenne. En l'état, la conclusion est trop concrète: le Marshall préfère rejeter sa condition d'être humain (faillible et soumis à des sentiments tels que le doute, la douleur ou la culpabilité) et choisit la mort. De même, l'île dans la scène finale perd tout son côté mystique pour devenir un endroit ensoleillé et paisible (certes sa quête identitaire est terminée mais quand même). Dommage.

En conclusion, Shutter Island est un bon film. Je ne saurais le commenter par rapport au reste de la filmographie de Scorsese ou du livre dont il est l'adaptation mais tel est mon ressenti. Et cela même si le dénouement l'empêche d'être excellent. J'attendais plus de surprise.

Les+ :

- Ambiance.

- Interprétation solide.

- Kafkaïen.

Les- :

- Musique balourde.

- Final décevant.

Note:

2


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