Le Sud-Africain David Goldblatt pourrait n’être qu’un (très bon) photographe réaliste, documentaire, décrivant l’apartheid dans son pays depuis 1948 et les clivages économiques post-apartheid, réalisant des portraits des dominants et des dominés, avec un oeil inquisiteur et toujours à l’affût, démontrant aussi son inventivité en créant un nouveau genre, celui des condamnés photographiés sur les lieux de leur crime (la prison réhabilite-t-elle ? message d’espoir. Taryn Simon était plus à l’aise avec les condamnés par erreur), et ce serait déjà une belle exposition. Mais ce qui m’a fasciné dans cette exposition (à la Fondation Cartier-Bresson jusqu’au 17 avril; Goldblatt est le lauréat du prix HCB 2009), ce qui la sort de l’ordinaire de la photographie sociale documentaire, c’est la manière dont le photographe sait traduire l’oppression en termes d’espace, de territoire, d’occupation et de déplacement. C’est là une constante de toute démarche coloniale (voir, par exemple, le travail de la jeune Virginie Terrasse) et montrer la terre et les maisons occupées peut être plus violent que montrer les hommes dominés. Goldblatt décrit ainsi la ‘typographie fracturée’, fragmentée de Johannesbourg, où les Blancs occupent peu à peu le territoire, expulsant de leur terre les habitants, détruisant leurs maisons, les repoussant comme des sous-hommes (oui, il y a des similitudes…). Voici (en 1977) la chambre conjugale de Monsieur et Madame Docrat dans leur maison de Fietas, quartier désormais interdit aux ‘Coloured’ : pour laisser la place à des Blancs, ils doivent quitter leur maison, qui va être détruite (encore aujourd’hui, il en subsiste un bout de ruine en béton renforcé, les toilettes et le réservoir d’eau, indestructibles) et aller vivre à Lenasia, à 40 kms de là. Leur nouvelle maison est plus petite, ces beaux lits jumeaux n’y tiendront pas, il faudra les raccourcir de 15 centimètres et faire avec. Oh, ce n’est pas un meurtre, pas un crime de guerre, pas un génocide; non, c’est une manifestation ordinaire du racisme et Goldblatt sait fort bien, avec cette photographie toute simple et sa légende de deux lignes, faire éclater à nos yeux toute l’horreur de ce système, sans doute avec plus de force, plus d’horreur contenue, que dans ses photos de domestiques noires dans les rues de Joburg.
Comment résister face au pouvoir ? Peut-on s’indigner, comme nous y invite Stéphane Hessel aujourd’hui (face aux tenants de la domination) ? La résistance, ici, tient dans deux photos superposées :


Après la fin de l’apartheid, Goldblatt obtient l’autorisation de photographier la prison de Johannesbourg et, le 1er janvier 2000, en guise de réveillon, il réalise ces 27 photos des cellules de punition, le long

Si les clivages raciaux sont abolis juridiquement, mais pas socialement ni culturellement, depuis 1994, s’y ajoutent aujourd’hui des ségrégations sociales et économiques; une photographie du quartier chic de Houghton montre la profusion de moyens de protection, caméras de surveillance, barbelés et pointes acérées sur les poteaux téléphoniques. Dans une vitrine de la Fondation, Goldblatt expose quatre photographies aériennes de paysages urbains, du bidonville de Diepsloot à une zone de maisonnettes classe moyenne du nord-ouest de la ville, bien ordonnées, toutes identiques, comme un rêve

J’ai choisi de vous montrer quatre photographies sans personnages : non point que les gens ne figurent pas de manière éminente dans le travail de David Goldblatt, mais j’ai préféré parler de son travail (et des émotions résonnant en moi, qui connais si peu cette ville) en privilégiant une approche indirecte, subtile, complexe de la photographie du territoire, plutôt que le côté descriptif, certes éloquent mais plus évident, de ses portraits.


Photos 1, 2 et 3 courtoisie de la Fondation HCB. Photos 6 et 7 courtoisie de la Galerie Marian Goodman. Toutes photos ©David Goldblatt.
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posté le 06 février à 20:51
Vous pouvez trouver un article sur l'exposition de David Goldblatt à la galerie Marian Goodman sur http://blog.paris3e.fr/post/2011/02/05/David-Goldblatt-TJ-marian-goodman