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Haiti: il faut changer le mode de gouvernance actuel!

Publié le 19 janvier 2011 par Jean-Olthène Tanisma

Jadis dénommée la Perle des Antilles, la république d’Haïti a basculé en moins d’un demi-siècle dans un marasme socio économique et environnemental  effroyable au point  que bon nombre d’experts et d’observateurs du monde entier se demandent aujourd’hui si elle pourra s’en sortir. Meurtrie par une dictature duvaliérienne pendant environ trois décennies, de 1957 à 1986, qui a laissé de profondes cicatrices au sein des différentes strates socioéconomiques du pays, désillusionnée par une succession de gouvernements éphémères qui, force est de le  constater, ont échoué lamentablement dans leurs desseins de vouloir raccommoder ce tissu  lacéré de toutes parts, la population haïtienne a été de surcroît frappée à l’aube du 21siècle par un enchainement de calamités naturelles meurtrières qui viennent de saper les faibles espoirs d’un renouveau durable. 
Entre-temps, la communauté internationale et les survivants du gouvernement haïtien au séisme apocalyptique du 12 janvier 2010 s’arrachent les cheveux, multiplient les études et les rapports stratégiques, improvisent des réunions partout dans l’hémisphère en vue de trouver la panacée au relèvement.
Parallèlement, les communautés d’immigrants haïtiens d’outre-mer, identifiées sous l’épithète de diaspora, s’évertuent à leur tour à concocter moult solutions stratégiques issues de leurs forums élitistes depuis cette date fatidique pour souligner leur ras-le-bol de cette descente aux enfers et du même coup projeter au monde entier leurs rêves idéalisés d’une Haïti plus dynamique, plus prospère, plus inclusive et surtout moins corrompue. Bien que ces initiatives de regroupement et de convergence de la part de ces élites arrivent tardivement, à la faveur d’une catastrophe, elles offrent tout de même un contrepoids significatif au statu quo et ouvrent d’autres pistes de réflexions sur le décollage durable du pays.
Cependant, malgré la rigueur et le réalisme des solutions qui émergeront de ces multiples démarches, il serait extrêmement surprenant, à moins d’un miracle, que leurs résultats se concrétisent sur le terrain. Un terrain jalonné par une multitude de partis politiques pour la plupart improvisés, dénués d’une direction idéologique, de programmes de développement socioéconomique intelligible et réaliste, à la veille de ce scrutin de tous les espoirs. Un territoire occupé par une multitude d’acteurs disparates et antagonistes qui ont réussi totalement à occuper l’espace de gouvernance laissé  l’abandon par l’État haïtien et par ses institutions depuis des décennies. Enfin, un non-lieu ou les lois et les règles les plus élémentaires balisant les rapports civiques sont transgressées, vilipendées quotidiennement au  grand dam des citoyens épris de justice et d’équité.  
Entre-temps, Haïti a  fait l’objet au cours des trente dernières années d’un nombre incalculable de rapports diagnostics divers et d’études sérieuses issues autant des organismes internationaux que des centres de recherches universitaires locaux et étrangers. Il a aussi  servi de laboratoire à l’application de différents modèles de développement. Pourtant, ni le Cadre de Contrôle Intérimaire (CCI, 2004-2008), ni sa version actualisée, soit le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP, 2008-2010), pas plus que le Cash For Work, ou d’autres initiatives socioéconomiques improvisées présentement à l’essai sur le terrain, ne semblent avoir des effets tangibles et catalyseurs sur le relèvement tant souhaité. Rien ne va plus. 
Faudra t-il imputer ad nauseam ces échecs récurrents, ces résistances du pays au décollage,  à la corruption et au manque de leadership des gouvernants ou plutôt à une configuration inappropriée et désuète du cadre politique de gouvernance à travers  lequel ces derniers  ont tous évolué depuis 1804, à part quelques rares exceptions. 

La décentralisation politique des régions 

Si le scrutin du 28 novembre parvient à introniser sans équivoque un nouveau gouvernement, celui-ci aura d’abord l’incommensurable tâche immédiate de gérer une crise socio-économique et humanitaire sans précédent dans l’histoire de ce pays. Parmi les défis que comporte cette conjoncture alarmante, soulignons entre autres, la relocalisation sécuritaire et permanente des sinistrés, la reconstruction des institutions étatiques ainsi que des quartiers détruits, la gestion de l’environnement, l’amélioration des conditions économiques des couches défavorisées, l’instauration de la sécurité, la réunification des clivages sociaux et politiques engendrés, au nom de la démocratie, par la prolifération à outrance de partis politiques et enfin la canalisation stratégique des ressources humaines et matérielles des nombreuses organisations internationales installées dans le pays. Cet agenda occupera sans aucun doute le mandat du prochain gouvernement en espérant, bien sur, que d’autres calamités  en sus de la présente épidémie de choléra, ne surviennent pas entre-temps.
Cependant, l’une des initiatives suprêmes que le prochain gouvernement doit amorcer pour consolider l’essor durable de la nation consistera  à amender en profondeur la constitution afin de créer de nouveaux gouvernements régionaux à l’instar des états comme le Mexique, le Brésil, le Venezuela, l’Argentine, le Soudan, les Comores,  et plus près de nous, du Canada et des États-Unis. Cette refondation essentielle de l’état se basera sur le redécoupage du pays en quatre grandes régions sociogéographiques, en l’occurrence le Nord, l’Artibonite, l’Ouest et le sud. Le gouvernement de chacune des entités régionales sera élu par les citoyens habitant à l’intérieur des limites de ladite région. Chaque gouvernement élaborera un programme quinquennal d’aménagement et de développement des ressources naturelles et humaines de son territoire assorti d’un budget auquel contribuera l’état central. Les avantages seront innombrables pour Haïti. Mentionnons entre autres :

  • L’allègement immédiat du lourd fardeau socio-économique et environnemental séculaire de la république de Port-au-Prince;
  • Le contrôle et la réduction systématique des risques de corruption;
  • La diminution des centres et des intervenants décisionnels;
  • Une organisation du territoire mieux structurée qui permettra rapidement l’exploitation des nombreuses et diverses ressources naturelles particulières des régions:
  • Le ralentissement substantiel de l’exode des populations rurales vers la capitale avec, à court terme,
  • Le retour progressif des migrants désillusionnés de l’aventure port-au-princienne, vers leurs villages  d'origine;
  • Une gestion plus rationnelle des budgets affectés aux équipements et aux services publics, notamment  lors des désastres naturel;
  •  Une utilisation plus productive des ressources financières et matérielles de la diaspora pour appuyer et stimuler le développement régional. Ce dernier aspect demeure capital dans le processus de régionalisation dans la mesure où la presque totalité des membres de cette diaspora nourrit un attachement profond, voire viscéral à leur département de naissance. Cette situation s’observe davantage au recensement du nombre des associations régionales disséminées à travers les villes d’accueil. Ainsi, à Montréal, on relève plus d’une dizaine d’associations régionales (alliance gonaïvienne, association capoise, alliance de Hinche, association régionale des Cayes, etc.). Idem pour New-York, Paris, Boston, Miami. Nourries par ce sentiment d’appartenance, les différentes régions d’Haïti pourraient atteindre un niveau de dynamisme socio-économique remarquable grâce aux investissements massifs issus des membres de la diaspora envers leurs lieux d’origine. Il y aura entre les régions une forte tendance d’émulation et de compétition qui sera saine et stimulante si elle est rigoureusement et intelligemment exploitée.
  • Le ralentissement des actes criminels (banditisme, viol, kidnapping) grâce à un système judiciaire moins confus, plus transparent et mieux adapté aux réalités quotidiennes des régions.
  • La canalisation et la convergence des multitudes aspirants-présidents et des partis politiques qui inondent le paysage électoral depuis les vingt dernières années, vers des responsabilités régionales où leur patriotisme a plus de chance de servir la nation. Cette nouvelle perspective démocratique leur fera surtout comprendre le sens de ces paroles de  Jules César, traversant un village barbare dans les Alpes : « Il est préférable d’être premier  ici que second à Rome».

La tâche peut paraître gigantesque à priori mais elle est loin d’être irréaliste si le prochain gouvernement, les constitutionnalistes haïtiens, les sociétés civiles, les progressistes de la diaspora et la communauté internationale s’entendent pour créer une nouvelle Haïti moderne, performante, gérable et fière de s’inscrire dans la liste des états qui ont choisi la voie fédérative régionale pour s’émanciper. Aux tenants du statu quo  et à ceux qui croient aux vertus de la République  centralisée, rappelons que ce pays a été un territoire ou une forme de régionalisme politique, bien avant de nombreux états modernes, s’est exercée avec succès.

L’île d’Haïti, dénommée alors Hispaniola, était divisée avant l’arrivée des espagnols en 5 caciquats ou royaumes qui avaient été délimités en fonction des barrières géographiques et des ressources naturelles lesquelles assuraient ainsi aux Caciques, leurs chefs,  autonomie et prospérité. Le territoire actuel d’Haïti  était divisé en deux grands Caciques, en l’occurrence le Marien et le Xaragua, les plus prospères de l’Île. Il y avait donc déjà un embryon de régionalisme.
Environ trois siècles plus tard, quelque temps après l’indépendance, le général Henry Christophe a institué son royaume dans le nord, alors que l’ouest et le sud demeuraient sous le gouvernement du général Alexandre Pétion. Bien que ces moments de l’histoire furent parsemés de guerres intestines fratricides, instiguées notamment par la menace continuelle des armées colonialistes, le royaume du nord s’est doté sous la gouvernance de son chef, du plus grand  monument de l’histoire de ce pays, la citadelle Laferrière. Haïti n’aurait jamais bénéficié d’une initiative de développement de cette envergure sous le dictat d’un quelconque gouvernement centralisé. 
Le moment et donc venu de se défaire du carcan qu’impose ce mode de gouvernance séculaire impraticable pour remettre le pays dans les sillons qui le conduiront vers le développement socioéconomique durable et la stabilité politique.  La décentralisation politique de pouvoirs spécifiques à caractère exécutif, législatif et judiciaire aux régions offre définitivement, après 206 ans de tâtonnements et d’errements, une alternative viable et réaliste, sous la gouverne d’un pouvoir central fort, rassembleur et visionnaire. Nous avons la chance d’avoir été exemptés des douloureux conflits de langues, de religions et de castes qui compromettent très souvent l’union fédérative.  Il reviendra surtout au prochain leader d’exploiter ces acquis et de brandir énergiquement  la sonnette pour annoncer la fin de la récréation. Car, ce dont Haïti a besoin aujourd’hui et demain n’est pas un messie, celui que l’on attend depuis la mort de Dessalines, mais bien de…douze apôtres ou plus solidement ancrés dans les réalités de leurs régions et prêts à écrire le nouvel évangile de l’unité nationale qui corroborerait alors pleinement le sens de la devise supportant les armoiries du drapeau national : l’union fait la force!

Jean-Olthène Tanisma 
Consultant en Aménagement et en Urbanisme
B.A, Design de l’environnement M.Urb.
Membre de l’Association des Urbanistes et des Aménagistes  Municipaux du Québec   (AUAMQ)  
Montréal le 18 novembre 2010


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