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Les élèves chez le juge ?

Publié le 21 janvier 2008 par Willy
Un juge, un avocat et un prof passent au crible le projet de signalement à la justice de toutes les incivilités à l'école.

élèves chez juge
Dans un collège catholique privé de Colmar, en 2003 (Olivier Culmann/TF)

Mercredi, Rachida Dati et Xavier Darcos annonçaient à la Sorbonne que tous les établissements secondaires seraient bientôt soumis à un unique "code de la paix scolaire national", qui unifiera "les règles et les sanctions".

Jusque-là, chaque établissement disposait de sa propre charte de discipline et le renvoi des élèves vers la police ou la justice restait exceptionnel. Cela devrait changer: un dispositif déjà testé depuis un an par l'académie de Paris sera étendu par circulaire au niveau national avant la fin du mois, a précisé cette semaine la garde des Sceaux aux côtés de son homologue de l'Education nationale.

Ce dispositif vise une plus étroite coopération entre les établissements du secondaire et la justice. A Paris, où il est déjà en vigueur depuis l'an dernier, le parquet a ainsi reçu 1233 signalements entre février et novembre 2007, précise le rectorat, qui se félicite de cette avancée. Parmi eux, 125 ont donné lieu à une fiche, qui sera conservée par le rectorat, la police et le parquet.

Toute une série d'atteintes peuvent déclencher le processus, y compris les injures et les outrages... "Même le fait de faire du tapage avec une chaise", précise-t-on dans les services du recteur de Paris, où l'on estime qu'il faudrait étendre l'opération "dès le premier degré".

Via l'association Initidroit, des avocats seront par ailleurs appelés à intervenir bénévolement dans les établissements scolaires dans toute la France. Francis Lec, bâtonnier d'Amiens et auteur d'un ouvrage sur la violence à l'école, applaudit l'initiative. Socialiste, conseiller régional et conseiller général d'Amiens, il approuve le choix de Rachida Dati de "prendre enfin une position ferme". Il n'estime pas excessif qu'on renvoie un élève de 6e devant le juge ou la police pour avoir insulté son enseignant:

"Rachida Dati l'a dit fort justement: même en cas d'insultes, un professeur ne doit pas hésiter à porter plainte, et à y aller avec son avocat. Il faut une vraie réponse judiciaire aux incivilités et surtout pas un classement sans suite. Pour les insultes graves, je suis partisan d'une réponse pénale et pas seulement d'un rappel à la loi ou d'une médiation. Les enseignants vous diront tous qu'ils n'attendaient que ça!"

"Attention à la juridiciarisation de l'école!"

Rue89 a choisi de faire réagir trois de ses experts-chroniqueurs. Avocate, magistrat ou prof au collège, ils sont tous trois concernés par le dispositif mais se montrent, pourtant, infiniment plus réservés que Me Lec sur cette irruption du judiciaire dans les établissements scolaires.

élèves chez jugeZacharia Dosseur
Professeur de collège en ZEP
L'ardoise

"Ce n'est jamais bon de durcir les sanctions au moment où les tensions sont les plus fortes. Poignarder un prof, ça doit bien sûr être puni par la loi. Mais il faut garder à l'idée pourquoi il est poignardé: c'est évidemment pour ce qu'il représente, et parce que 'l'école, c'est chiant!'. Pas pour lui-même. Surtout, si on veut que les choses s'arrangent, il ne faut pas admettre les insultes... mais pas non plus les renvoyer devant le tribunal.

"Discuter est bien plus adapté et souvent on voit que les choses évoluent, même avec des élèves difficiles. Souvent, ce sont des insultes qui sortent tout simplement parce qu'ils n'ont pas tous les mots. On oublie trop que les ados, c'est encore des mômes: ils ne sont pas encore dans le respect un peu bête de la règle."

élèves chez jugeMe Laure Heinich-Luijer
Avocate au barreau de Paris, ancienne première secrétaire de la conférence Derrière le barreau

"Les tribunaux ont autre chose à faire que de traîter des insultes. Il faut vraiment qu'il y ait injure publique et préjudice important pour que la justice s'y intéresse en temps normal. Mais là, ça me semble une très mauvaise idée pour l'école! Les choses se règlent bien mieux à l'école entre l'élève, le prof et le proviseur et, si besoin, le rectorat, que devant le juge. Si les enseignants se sentaient assez soutenus par leur hiérarchie, ça ne devrait pas passer par le tribunal.

"Sans compter qu'inciter les établissements à faire ce signalement, c'est carrément de la délation. On change le rôle de l'enseignant à force de faire rentrer la police, puis maintenant la justice, dans les établissements scolaires. C'est révélateur des dérives du moment!"

élèves chez jugeJean de Maillard
Vice-président du tribunal de grande instance d'Orléans
La plume et la balance

"Il faut regarder cette question au plan des principes. On assiste à un déplacement des réactions sociales puisqu'on passe du disciplinaire au judiciaire. L'institution scolaire a abdiqué son rôle d'institution, qui tient justement à sa capacité à instaurer un processus disciplinaire interne. En clair, une institution doit pouvoir faire elle-même sa propre police, avec ses propres règles de fonctionnement.

"Or on constate une contractualisation des rapports sociaux dans laquelle l'adulte, l'éducateur, l'enseignant ne sont plus en position d'autorité. Ils dispensent seulement des services dans le cadre d'une relation de consommation, au lieu d'incarner une figure sociale. En perdant leur statut, ils ont perdu leur légitimité à faire valoir une autorité.

"Symboliquement, c'est dramatique pour notre société: on demande au policier et au juge de s'intercaler entre consommateur et producteur de la relation éducative. C'est l'échec d'une société à transmettre les règles de socialisation. Aujourd'hui, la seule réponse qui reste est de pénaliser tous les comportements déviants que provoque l'effondrement des institutions."

â–ş A lire: "Histoires vraies des violences à l'école", Francis Lec et Claude Lelièvre, Fayard, septembre 2007, 321 pages, 20 euros.

Par Chloé Leprince - http://rue89.com/


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