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Le livre maudit

Publié le 21 janvier 2011 par Luxyukiiste

Le livre maudit
Si je vous parle d’un puits, d’une cassette maudite et d’une longue tignasse noire, il est probable que cela vous dise quelque chose. Pour les trois distraits du fond et ceux qui ne suivent pas ce blog depuis toujours, je suis fan des films de fantômes japonais modernes, ceux nés du succès de Ring d’Hideo Nakata, en 1998. Très logiquement, le Ring en question est mon favori, et j’ai presque vu tout ce qui s’y rapporte : suites officielles et non-officielles, remakes américains, coréens… Mais avant de proliférer au cinéma, le virus Ring stagnait dans les bibliothèques des amateurs d’épouvante et de science-fiction – un virus concocté par un certain Koji Suzuki. Il me restait précisément à lire les romans qui ont tout déclenché, trois tomes pour être exact ; je m’en tiendrais ici aux deux premiers que je viens d’achever.
Le livre maudit
Comme vous n’avez pas le temps de lire cet énorme pavé, voici un bref rappel du contexte : en Janvier 1998 arrive sur les écrans nippons l’adaptation du roman Ringu de Koji Suzuki, paru en 1991. Une histoire déjà connue de certains spectateurs, car déjà adaptée en 1995, le succès en moins. Très vite, le film enchaîne les entrées et les ventes du livre explosent. La même année sort la vraie suite de Ring, Rasen, adaptation du second bouquin de la trilogie, Double Hélice, film dont le flop poussera Hideo Nakata à réaliser son Ring 2 en s’éloignant de l’histoire originale (bien mal lui en a pris). En 2002, Hollywood remake Ring en collaboration avec Suzuki, mais l’histoire devient trop différente pour être encore rattachée à ses livres. Même chose pour Le Cercle 2, et j’ai peu d’espoir que The Ring 3D garde un quelconque lien avec l’oeuvre originale…
Le succès des remakes aidant, sa trilogie Ring a été traduite en anglais, ainsi que les recueils de nouvelles Badusei (Birthday, Ring Zéro en français) et Honogurai mizu no soko kara (Dark Water). Deux films ont été tirés de ces recueils, Ring 0 du premier et Dark Water du second, ainsi qu’un épisode de la seconde saison des Masters of Horror. Petite anecdote, le roi du zombie George A. Romero devait réaliser une adaptation de la nouvelle Solitary Isle (L’île déserte), mais le projet est semble t’il tombé à l’eau… sans jeu de mot. Reste que l’oeuvre de Suzuki est désormais célèbre, dans son pays (10 millions d’exemplaires de son oeuvre vendus en 2004), et dans le monde, ce qui a poussé les journalistes a lui poser quelques questions.
Le livre maudit
Tout comme Hideo Nakata, Koji Suzuki n’est pas intéressé par l’horreur et le paranormal. Voilà qui paraît étrange – mais en lisant ses interviews, on comprend qu’il en a surtout une vision personnelle et, comme il le dit lui-même, plus japonaise qu’occidentale. Une vision respectée par les adaptations de Ring, parfois à sa demande.
J’aime la version américaine de Ring. J’ai lu le script et j’ai fait quelques commentaires dessus. Premièrement : pas de giclées de sang. On n’est pas dans un slasher. Je n’aime pas le sang parce qu’il détruit l’importance de l’imagination.
Suzuki est loin d’être un amateur de films d’horreur, surtout les plus graphiques et gratuits. A titre d’exemple, il cite Vendredi 13. Ca tombe bien, car la J-Horror est justement un genre plaisant pour son économie visuelle et sa dimension psychologique. De l’épouvante sans goutte de sang, c’est aussi ce qui m’a attiré vers ces films à l’époque, moi, le jeune lycéen sensible pas très porté sur les charcutages.
Pour moi, les films gores sont pour les plus jeunes. Ce genre de choses les impressionnent. Mais la peur, la base de tout, doit stimuler l’imagination adulte. Beaucoup de films d’horreur américains et européens montrent l’extermination d’esprits maléfiques. Chez les japonais, le film se termine avec l’idée que l’esprit est encore là quelque part.
Ce qui fait peur à Koji Suzuki, au lieu des monstres ou des zombies, serait de perdre sa femme et ses deux filles. Une peur qu’il communique à ses personnages, dans Ring comme dans Double Hélice.
Je n’aime pas les romans d’horreur. J’ai déjà lu du Stephen King, mais sans plus. Je ne regarde pas la télé, et pas plus de films d’horeur. Je suis surtout influencé par mes expériences – et plus que tout, par mes filles. (…) Ring parle vraiment de l’amour que j’ai pour elles.
C’est cette optique intime qui permet à Ring de se hisser au-dessus des films d’épouvante traditionnels, en allant sur le terrain de la famille et de la peur de la perte. Dans le film, Reiko Asakawa est une mère divorcée, qui va renouer avec son ex-mari pendant l’enquête sur la vidéo. Dans le livre, Kazuyuki Asakawa est cet enquêteur, qui tente comme il peut de ne pas exposer son foyer à la rage de Sadako. Et dans Double Hélice, Mitsuo Ando a perdu son fils, noyé sous ses yeux. Suzuki ne pouvait rêver mieux qu’Hideo Nakata pour porter son histoire à l’écran, son minimalisme servant à merveille les intentions de l’écrivain. Il n’y a sûrement pas à chercher plus loin pour comprendre l’incompréhension de certains occidentaux, peu passionnés par cette J-Horror trop « lente » et trop « molle » – alors qu’elle est juste plus mentale, et ainsi, plus profondément marquante que grossièrement choquante.
Le livre maudit
Revenons-en aux bouquins. En France, les oeuvres de Koji Suzuki sont sorties chez Pocket, en 2002 et 2003, puis rééditées chez Fleuve Noir. Les trois tomes de Ring, ainsi que Ring Zéro et Dark Water. Et malheureusement, après lecture de deux des cinq ouvrages, force est de constater que cette édition fait peine à voir. Il est difficile d’accepter que de telles traductions aient pu se retrouver en vente telles quelles. En effet, la langue de Ring est horriblement plate et sans saveur, et comme si ça ne suffisait pas, on remarque des fautes et des mots oubliés ! Même topo pour Double Hélice, même si le traducteur à changé, rendant la lecture plus agréable. Buter sur des phrases car des mots sont répétés ou oubliés est intolérable. De plus, sur cinq bouquins, on a quatre traducteurs différents, un gage évident de continuité. Bref, découvrir Ring en français passe par pas mal d’énervement, mais une fois calmé, on se concentre sur le fond.
Le livre maudit
Avant d’écrire Ring, Suzuki réfléchissait à l’idée d’un virus. C’est alors que son regard s’est posé sur une cassette vidéo qui traînait par là. Bonne idée : et si le virus se transmettait par les images ? Et si une personne avait la force d’imprimer des données sur une bande vidéo ? Car le grand changement du film Ring, c’est d’avoir zappé le fait que la vidéo maudite transmet un virus lorsqu’on la regarde. Les victimes du film meurent de crise cardiaque après avoir rencontré l’oeil de Sadako. Dans le livre, elles attrapent un virus dérivé d’une maladie rare et disparue…
L’idée de la prolifération est en tous cas très prenante, et c’est un vrai plaisir de retrouver les étapes de l’enquête qu’on connaît, avec tous les détails qu’un livre peut amener. Ring est d’ailleurs plus un livre d’enquête qu’un livre effrayant – même si les premières morts sont très réussies. C’est le film qui s’est voulu plus angoissant, mais le livre est une course contre la montre d’un père qui veut sauver sa famille. Certes, il y a de l’occulte et du paranormal, mais l’angoisse est plutôt à chercher dans le tome suivant, Double Hélice. De plus, le travail sur la vidéo est moindre, alors que Ryuji la retournait dans tous les sens dans le film, cherchant les messages cachés en passant le son à l’envers. Logiquement, les idées les plus visuelles n’appartiennent qu’au film, comme Sadako émergeant du poste de télé. L’enquête du livre est la même, mais elle élimine l’analyse en banc de montage au profit de la recherche sur le terrain.
Mais c’est peut-être le côté bien plus « masculin » du livre qui est le plus gros changement : Asakawa est un homme, et il passe le plus clair de son temps à enquêter avec Ryuji, un ami à l’humour tordu. La femme d’Asakawa n’est pas un personnage très profond, et dans l’ensemble, les femmes n’ont pas un rôle très important. Ni très reluisant, d’ailleurs, ce qui est gênant parfois, les hommes n’étant pas très tendres avec ces dames, ni en actes ni en pensées. La Reiko du film apportait une douceur et une sensibilité bienvenue, qui manque un peu au livre, à moins peut-être d’être père soi-même. Le livre laisse aussi moins de place aux adolescents, alors que c’est certainement leur présence dans le film qui a entraîné le succès qu’on connaît. Un exemple parlant : la jeune morte du prologue est seule chez elle, alors que dans le film, ce sont deux copines qui passent une soirée, et jouent à se faire peur. Une séquence qui a sûrement inspiré les jeunes avides de sensations fortes, pressés de faire des Ring-o-blagues à leurs meilleurs amis…
Le livre maudit
Pour être vraiment honnête, j’attendais surtout de lire Double Hélice après Ring, car je connais déjà l’histoire de Ring par coeur, même modifiée de-ci de-là. En revanche, je n’ai vu qu’une seule fois Rasen, la suite maudite de Ring, sortie quelques mois plus tard dans l’optique de faire d’une pierre deux coups, mais totalement éclipsée par le monstre de Nakata. Et pourtant, c’est celle qui colle le mieux à l’histoire de Suzuki, contrairement à Ring 2 qui part dans tous les sens et côtoie le ridicule. J’avais donc plus à découvrir sur cette partie de l’histoire, ce qui accentuait mon impatience. Et je n’ai pas été déçu, le roman se suit avec plaisir et la fin est vraiment stupéfiante.
Soyons clairs : je vais spoiler la fin de Ring pour introduire ce second tome. Ca ne devrait pas être trop gênant, car les fans du film doivent représenter le plus gros des lecteurs français de Suzuki. Certes, comme les personnages changent un peu, quelques détails diffèrent : Ryuji est toujours mort, mais Asakawa est dans le coma suite à un accident de voiture qui a coûté la vie à sa femme et sa fille. Double Hélice commence quand un ancien ami de Ryuji, Mitsuo Ando, entre en scène et à la lourde tâche d’autopsier le corps de son vieux camarade. C’est alors que le virus Ring revient, pour amener la saga sur le chemin de la science-fiction médicale. De quoi sont vraiment mortes les victimes de Sadako ? De quoi est composé ce virus ? Pourquoi certains sont encore en vie ? Et, surtout, qu’est devenue la vidéo ?
Très vite, un véritable jeu de piste commence lorsqu’Ando trouve un morceau de papier dans le corps de Ryuji ; il contient une suite de chiffres qu’il devra décrypter… Le décryptage, c’est bien le coeur de ce second tome, où les messages se cachent aussi dans les séquences d’ADN. Ici, le duo est complété par Miyashita, un collègue de Ryuji qui l’aidera dans ses recherches, et acceptera de croire aux choses incroyables qui se présentent à eux. En parallèle, Ando s’entiche de Mai Takano, ancienne élève et amante de Ryuji, venue lui parler des circonstances de sa mort. Quand elle disparaît, Suzuki se laisse enfin aller à l’angoisse, comme dans un tribut à la vague qu’il a inconsciemment engendrée. La conclusion de cette histoire, laissez-moi vous le dire, n’est pas belle à voir…
Le livre maudit
Lire Double Hélice en 2011 est particulièrement amusant, car, sans le dire, le thème du virus fait écho à l’énorme succès de l’histoire de Suzuki. Adaptée au cinéma, vendue par millions, refaite aux States, et copiée plus ou moins bien par des hordes de rélisateurs japonais et coréens… Finalement, même si nous sommes toujours vivants, Sadako a réussi à faire de nous des zombies accrocs à ces yurei flicks. Je ne peux en dire plus – un spoil est si vite arrivé. Mais Double Hélice est vraiment réussi, prenant, et laisse sur une idée terrifiante une fois refermé. Dommage que quelques passages souffrent d’une certaine lourdeur consécutive à la répétition de nombreuses hypothèses. Il aurait été bon d’élaguer un peu, car Ando passe trop de temps à se poser des questions. Il est parfois difficile de savoir si l’on doit s’en prendre au traducteur ou à Suzuki lui-même… Je mentirais en disant que l’exécution littéraire est parfaite, mais le fan de Ring sera sûrement conquis par cette suite de qualité.
Je vais laisser Ring pour l’instant et lire Dark Water, car le pitch du tome trois m’a l’air bien trop délirant pour tenir debout. Je le lirai sans faute, mais pas tout de suite. En repensant à tout ça, je me rends compte de l’immense force qu’a le cinéma sur moi. Je ne peux résister à la rencontre de l’image, du son et de l’ambiance, ce cocktail qui, pour moi en tous cas, dépasse la littérature. Et pourtant, j’adore les mots : mais je ne suis jamais autant marqué que par une scène émouvante, bien réalisée et joué par des acteurs touchants sur une musique mémorable. C’est ce qu’est Ring à mes yeux, et ce qu’est aussi Dark Water. Pour autant, malgré mes préférences, j’ai aimé lire l’histoire de Ring, en découvrir les secrets et une partie de l’aboutissement. Avec un regret persistant : que l’édition française soit si nulle…

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