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Yasmina Khadra : « L'Olympe des infortunes. »

Par Manus

Yasmina Khadra : « L’Olympe des infortunes. »

Yasmina Khadra : « L’Olympe des infortunes. »

                                                    Photo du blog Nouvelobs.com

Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, entre, avec ce dernier roman « L’Olympe des infortunes » éd. Julliard, 2010, dans un registre totalement nouveau.  Le lecteur, habitué à ces romans traitant des conflits du Proche-Orient, se laissera surprendre non pas par son écriture fidèle à l’auteur – un style doux et poétique mené de main d’orfèvre – mais par le genre qu’il déploie : le conte.

D’entrée de jeu Khadra entraîne le lecteur dans un terrain vague, entre la mer et la ville, plutôt proche de la mer, voire sur la plage, où sévissent, où déambulent, où vivent même, des clochards, des marginaux, des hommes rejetés par la société, vomis par la ville, comme ses déchets que la mer rejette et qui abondent sur la plage à marée basse.

L’écrivain lève un pan de voile sur un monde de misère.  Cependant, et c’est là toute la force de cet écrivain, la description dont il fait usage n’entre en aucun cas dans le pathos.  Que du contraire.  Le regard qu’il pose sur ces hommes déchus est un regard de résurrection : êtres vêtus de haillons, aux ongles noires, aux visages crasseux, seront, sous sa plume, des hommes aux cœur tendres, à l’âme délicate, aux souffrances palpables tant l’auteur ponctue celle-ci de silence et de pudeur.

En clair : Khadra, au travers de la déchéance la plus radicale révèle l’homme dans ce qu’il a de plus pur et de plus profond. 

Et le lecteur, pourrait, lui aussi, se sentir clochard, alcoolique, débile, dépravé car in fine, ce sont les tribulations profondes de l’âme, tout comme les espoirs du cœur, que Khadra met au devant de la scène : un cœur unique, tout en étant universel, et quelque soit l’enveloppe dont il est vêtu nous est, avec patience et finesse, présenté.

Ce conte philosophique raconte l’histoire, la vie, d’une bande de clochards, d’une bande de copains, qui s’établissent dans un terrain vague.  Ach le Borgne, le poète et philosophe ; Junior, son ami d’infortune, le simplet ; d’autres encore, tels les jumeaux ; Négus qui se rêve général dictateur pourfendant l’ennemi ; Haroun le Sourd ; et surtout, le Pacha et sa clique.

Les personnages, évoluant par un dialogue fortement présent dans le conte, suscitent d’emblée tendresse et attachement auprès du lecteur.

Ces marginaux se retrouvent volontairement dans cette décharge : il s’agit bien là d’un choix, d’un acte voulu de vivre de la sorte, de tourner le dos à cette société qui, jadis, leur a si mal rendu leur appartenance.

Ils se disent libres.  Ils se sentent libres.  Ils sont libres chantent-ils, en posant leur regard sur les vagues qui vont et qui viennent.  Ils mangent quand il veulent.  Font ce qu’ils veulent.  La loi, sur la plage, est la leur.  Leurs codes, les leurs.  Ici, c’est le paradis.  Le paradis du pauvre.

« La vraie liberté est de ne rien devoir à personne »  « La vraie richesse et de ne rien attendre des autres »  (p38)

Khadra pose la question, par ce conte, de ce qu’est la liberté.  Est-ce être réellement libre que de fuir toute responsabilité ?  Est-ce là la vraie liberté que de ne pas vouloir assumer ses échecs et y faire face ?

Ce renoncement, que Khadra exprime par leur univers qu’ils se sont crées, cette illusion, est-elle vraiment source d’un sentiment de liberté ?

« C’est alors que j’ai compris : la gloire n’est que la preuve que nous restons les otages de nos vanités.  Nous dévastons les quiétudes en croyant bâtir des légendes.  Nous tombons bas tandis que nous pensons supplanter nos angoisses. »

Enfin, l’auteur, et l’écrivain le percevra rapidement, pose une question d’actualité par ce contraste qu’il offre : des clochards aux cœur d’or, conscients des valeurs, d’une sorte de morale initiale que tout homme respecte depuis des âges, et à l’opposé, la civilisation, telle que nous la vivons, avec ses codes et ses lois, mais où toute notion de valeur s’estompe, où toute notion d’amour semble se désagréger dans la course effréné de la recherche du pouvoir et de l’assouvissement du désir immédiat.

Si l’intervention de ce personnage, Ben Adam, un peu christique, un peu prophète, fait irruption dans le conte afin de mieux mettre en exergue les questionnements de khadra sur le sens de la société en y dénonçant son matérialisme et ses contradictions, je dirais que ce personnage là est peut-être le seul qui serait trop caricaturé, apportant un je ne sais quoi de lourd, alors que sans lui, le lecteur aurait pu tout aussi bien saisir cette dénonciation de la société contemporaine que l’auteur dessine en évoquant par contraste, avec une incroyable légèreté et une poésie raffinée, ses anti-héros.

Je terminerai par cet extrait :

« Et l’amour est la plus tuile qui puisse tomber sur quelqu’un.  Avant l’amour, y a pas grand-chose.  Après l’amour, il reste plus rien.  L’amour est l’essence de la vie, son sens et son salut.  S’il vient vers toi, garde-le et ne le lâche plus.  S’il te fuit, cours-lui après.  Si tu ne sais pas où le trouver, invente-le.  Sans lui, l’existence n’est qu’un gâchis, un passage à vide, une interminable chute libre. »

Voir vidéo de Yasmina Khadra sur France 24.

Savina de Jamblinne.


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