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Zeitung : les travaux et les jours d'Anne Teresa de Keersmaeker

Publié le 21 janvier 2008 par Jérôme Delatour

Zeitung (journal), Anne Teresa de Keersmaeker aurait pu tout aussi bien appeler sa pièce Tagebuch (journal intime). Zeitung donne l'illusion d'être immergé dans l'intimité de son travail quotidien. Les fidèles d'Anne Teresa de Keersmaeker ne seront pas dépaysés : nous avons affaire à l'essence même de la danse keersmaekerienne. Pas de décor, un plateau nu, ouvert autant que possible, une piste de danse, quelques chaises pour souffler. Exit les beaux costumes, des vêtements de tous les jours, dont on enlèvera quelques pièces au fur et à mesure de l'échauffement. On est là pour danser, point final. C'est à prendre ou à laisser.

Et puis la musique, essentielle dans l'oeuvre d'Anne Teresa de Keersmaeker, dont la présence est ici soulignée. A contre-courant de la musique d'ameublement, Anne Teresa de Keersmaeker accorde à la musique ses propres solos. Bach alterne avec Webern et Shönberg. Sans transition, le passage est raide - comme l'éclairage, très simple et très fort, qui lance de temps à autre des flashs noirs sur le plateau. Bach, témoin du dernier siècle de l'Ancien Monde, empreint d'une prégnante mélancolie, comme une hâte à retrouver Dieu. Webern, Shönberg, inquiétude, insomnie, angoisse d'un siècle menaçant.

Dans chacun de ses interprètes, c'est Anne Teresa de Keersmaeker que l'on voit danser, son corps chalouper au moindre accident. Comme toujours, les bras, membres supérieurs, membres de la volonté mènent la danse, tendus et main plate ou tirant le corps vers le sol ; port et tête altiers, insolence juvénile, la jeunesse flirte avec l'éternité, le mouvement perpétuellement recommencé snobe la mort. Cette liberté fière, provocante, c'est tout l'érotisme subtil, inimitable, d'Anne Teresa de Keersmaeker.
Zeitung me conforte dans l'idée que le langage d'Anne Teresa de Keersmaeker est inadapté à la morphologie masculine. Troublant avec les corps féminins menus, tout élégance et rondeur, il devient presque grotesque avec les hommes, qui semblent agiter leur bras comme de grands battoirs. Il faut dire qu'Anne Teresa de Keersmaeker en rajoute en choisissant, curieusement, des danseurs de grande taille.
Comme dans Eight Lines (2007), Anne Teresa de Keersmaeker remet sa danse sur le métier, la cisèle encore, mais ne s'arrête pas là. Elle cherche toujours. Au lieu de tourner le dos à son langage, elle le pousse toujours plus avant, amenant le corps dans des états plus étranges, plus inconfortables, plus écartelés, déliés jusqu'à la limite de la dislocation. L'âme n'est pas en repos. Jusqu'où ira-t-elle ? L'aventure continue, palpitante.
♥♥ Zeitung, d'Anne Teresa de Keersmaeker, a été créé au Théâtre de la Ville du 11 au 19 janvier 2008.


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