Magazine Culture
Ca démarre sur les chapeaux de roues. Alerte, vif, rapide. Un petit film de genre qui s’annonce d’emblée coriace, et qui déroule- avec une efficacité redoutable- les codes archi connus, mais maîtrisés, de la peur : la maison supposément hantée, la femme bizarrement cinglée, le couple forcément en danger. Claire (Valérie Bonneton à la folie comique jubilatoire) et Benoît (Charles Berling, au charisme indéniable) en nouveaux Jack & Wendy kubrickien, coincés dans une demeure inquiétante, hantés par un drame (le suicide du frère de l’épouse), et en proie à une angoisse contagieuse, plutôt bien menée par Hélène Angel dont c’est le troisième long métrage (Peau d’homme, cœur de bête et Rencontre avec le dragon). Bruits inquiétants, cauchemars terrifiants, et métaphores psychologiques (le souterrain et la cave … liaison possible entre monde des défunts et monde des vivants ? vecteurs effrayants des souvenirs et traumas enfouis ?), la cinéaste entretient l’effroi, la peur et le doute durant une première partie posée dans un cadre fantastique plaisant, clair, net, précis. Sauf qu’en plein milieu, Propriété Interdite prend un virage inattendu, implose de colère jusqu’ici retenue, fait entrer un nouveau personnage, et quitte l’univers fantasmé de l’horreur pour un autre plus réel, plus cruel encore : la réalité…sociale. Brusquement muée en relecture inversée et moderne de La Cérémonie de Chabrol, le film crache sa haine latente d’une bourgeoisie repliée sur elle-même, et confronte les démons des uns (l’impossible deuil à faire, les fardeaux venus tout droit de l’enfance) à ceux des autres (le sort des Roms et des sans papiers). Hélène Angel ancre son message durablement, par le sursaut incroyable qu’elle provoque, faisant virevolter son scénario avec une maestria tout aussi imprévue que déconcertante. Deux tableaux de l’horreur, psychique d’un côté, politique de l’autre, qui se complètent et se répondent, tout deux abandonnés sur une même pente, vertigineuse et virulente : celle de la folie humaine, invisible, sournoise, dérivé pervers d’un système qui ferme les yeux sur les souffrances d’autrui.