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La révolution de la dignité: chroniques de liberté 1/3

Publié le 26 janvier 2011 par Tnlavie

La révolution tunisienne

Elyes Slim Ghedira, tunisien, jeune confrère et ami, chronique pour nous ce moment singulier de l’Histoire où, entre crainte et catharsis, tout un peuple se meut pour reconquérir sa liberté.

Dans un triptyque ardent, il nous livre son analyse du point de bascule d’un régime autocratique mettant en avant son bilan économique et politique pour mieux museler le peuple et s’approprier ses richesses avec l’aval bienveillant des pays frontaliers comme des puissances occidentales.

Eveil de tout une nation, l’immolation par le feu d’un jeune tunisien prit la valeur d’un symbole relayé par la puissance de liberté du web et des réseaux sociaux, levant le peuple en un mouvement spontané de résistance.

Mal couverts par les médias occidentaux, nous sommes heureux de pouvoir accueillir sur ce blog une lecture authentique de ces évènements.

Eclairage et parti pris

« Lorsqu’un jour, le peuple aspire à vivre
Le destin se doit de répondre !
Les ténèbres se dissiperont !
Et les chaînes se briseront ! »*

* extrait de « Les défenseurs de la patrie », hymne national tunisien

Ben Ali comme on le voit était vraiement l'ami de tout le monde, rien ne présagait une chute aussi soudaine

Ben Ali comme on le voit était vraiement l'ami de tout le monde, rien ne présagait une chute aussi soudaine

C’est par la mélodie de ce remarquable couplet poétique, entonné de tout son coeur et de toute son âme par la foule que je fus accueilli, quand mon ami décrocha le téléphone, en ce Dimanche matin 09 Janvier 2011. Depuis la quiétude du faubourg parisien où je réside, j’essayais de joindre un ami tunisien, sur place à Kasserine en Tunisie, pour vérifier les informations et les contre-informations qui se relayaient avec frénésie sur Facebook ces derniers jours. Les premières phrases furent presque inaudibles, couvertes par le vacarme et les chants patriotiques qui fusaient autour de mon interlocuteur. « Attends quelques secondes Elyes, le temps que je sorte du cortège funéraire, .. ». De prime abord, je fus très surpris : depuis quand au sein des cortèges funéraires, entonne-t-on « les défenseurs de la patrie », l’hymne officiel tunisien ?? Mon ami me rappela tout de suite, je décrochai les mains tremblantes, et depuis une atmosphère moins bruyante cette fois j’entendis : « oui, Je suis dans un cortège Funéraire Elyes, nous enterrons les morts de la veille, tombés sous les balles de la « police », il y a deux décès dans ce cortège-ci, d’autres familles enterrent leur « martyrs » en ce moment … ». Je ne pouvais plus prononcer un mot, tant je fus consterné par la nouvelle, mon ami alors m’ajouta paniqué : « Attends attends Elyes, … je préfère raccrocher, on nous tire dessus, je comprends plus rien, nous ne sommes quand même pas entrain de manifester, on ne fait que enterrer les morts !!! J’entends des balles fuser, je te rappelle … ».
J’ai raccroché.

Une heure de silence.
Une heure à regarder fixement un pot en céramique, sans vraiment le voir.
Une heure devant un écran de télé où la principale info était : « Xavi, Messi, ou Iniesta : qui allait remporter le ballon d’or FIFA 2011 ? »
Une heure avec dans la tête, comme un disque rengaine, le beat house de la dernière soirée clubbing tunisoise mi-décembre, quelques semaines auparavant, … où rien ne laissait présager d’un tel soulèvement massif …
Une heure pendant laquelle je me suis rappelé ce que voulait dire « dictature », car comme une bonne partie de la jeunesse tunisienne, on avait oublié par intermittence qu’on vivait sous une des tyrannies les plus implacables et imperturbables du Monde Arabe, et une des plus insaisissable.

Une heure de totale déréalisation, entre euphorie et stupeur. Le régime tombe.

On rapporta par la suite, par voie officielle, que les morts de la veille étaient justement de cinq à Kasserine et ce parmi la douzaine de tués dans le triangle Kasserine-Thala-Regueb. Car oui, désormais on parle de triangle, comme il en existe bien d’autres … Baqubah-Ramadi-Fallouja … Autres lieux autre luttes…

Cinq jour après, s’en était fini du régime de Ben Ali
Le monde stupéfait découvrit la « révolution de la dignité », relayée en « révolution du jasmin » par la presse étrangère, une dénomination qui fait «carte postale» (la tunisie, son thé à la menthe, ses plages, et sa révolution de jasmin…) et majoritairement refusée par les tunisiens.
Une gifle sans précédent.

LA TUNISIE SOUS BEN ALI : CORRUPTION ET MAFIA BLASEE SOUS COUVERT DE STABILITE SOCIALE ET ECONOMIQUE

karthago Airlines, un des symboles de la puissance économique des Trabelsi

karthago Airlines, un des symboles de la puissance économique des Trabelsi

Nombre de mes collègues et amis français, au cours des discussions récentes, dans les self de l’APHP ou sur le zinc de certains lounge, me posent désormais les mêmes questions « mais on ne savait pas qu’il y avait une dictature en Tunisie … on est quand même étonnés !!! », « Mais pourquoi avoir tenu alors 23 ans avec ce régime, si il vous a été aussi rapide de vous en débarrasser ». « J’y suis allé l’année dernière en Tunisie, pour mes vacances, tu es sur que c’est une dictature ?? on ne dirait quand même pas : tout le monde a été gentil avec nous !!! »

Certes Ben Ali, en venant au pouvoir a fermement repris en main une Tunisie fébrile, qui tanguait dangereusement vers l’islamisme, péril qui fini par emporter l’Algérie. Certes Ben Ali, a refusé de remettre en cause l’héritage du Bourguiba, sauvegardant ainsi les droits de la Femme Tunisienne. Certes Ben Ali, fut un rempart contre les mouvances terroristes qui ont surgi de toute part au début du millénaire, notamment à travers les événements de Slimane et Hammam Chatt en 2006. Certes Ben Ali, a sauvegardé la gratuité pour tous, de l’éducation primaire, secondaire et universitaire d’un bon niveau académique. Certes Ben Ali, nous permettait nous la jeunesse de vivre une quiétude peu fréquente dans le Monde Arabe. Certes grâce à Ben Ali on peut  siroter du Rosé frais des meilleurs cépages, en admirant la plastique superbe de jeunes demoiselles décontractées en Bikini sur la plage, avec le chant du Muezzin de la mosquée en fond …

Oui, Mais voilà, il y avait comme un problème !!!

Pas tellement la dictature, … C’est après tout une règle tacite qu’on finit par accepter tant bien que mal dans le Monde Arabe, y compris l’oppression des opposants politiques, et le verrouillage de la presse. Pour une majorité des Tunisiens, la liberté d’expression et la démocratie relevaient d’un luxe dont seuls les occidentaux pouvaient jouir pour l’instant, en espérant que notre temps viendra un jour …

Leila Trabelsi Ben Ali, vraie régente interne, prenait de plus en plus certains airs de chef d'état international

Leila Trabelsi Ben Ali, vraie régente interne, prenait de plus en plus certains airs de chef d'état international

En fait, Le réel mécontentement avait pour source le sentiment d’impunité totale dont jouissait « sa famille », et à travers lequel ils pouvaient opérer comme une vraie Mafia organisée. Les Ben Ali neveux du président, et les Trabelsi sa belle famille, y compris et surtout Leila Trabelsi, la propre épouse du président qu’on annonçait comme son successeur pour 2014, se sont accaparés en 20 ans avec des manières des moins honnêtes, environ 30% à 40% de la richesse économique du Pays.
Ceci va, de grandes banques nationales, passant par des chaines de radio et télévision, compagnies aériennes, jusqu’aux petits parkings de marchés et certains petits commerces de proximité … leur avidité ne faiblissait pas : toujours plus, encore plus !!!
C’est là que je me rappelle de ma ville, Monastir … station balnéaire et portrait typique de cette carte postale douce et chatoyante, qui était dans ses coulisses prise en Hold-up par le neveu du président, se permettant de poser en Caïd de la ville, et ce bien sur en toute impunité (trafics de voitures volées, bien municipaux appropriés, terrains privés expropriés, menaces verbales et physiques contre les autres familles aisées et autres acteurs économiques de la ville, police bien aux ordres et clémente …).

Ben Ali a laissé son pays se faire piller par les siens. Plus grave et plus humiliant encore, c’était devenu quelque chose de flagrant, au su et au vu de tout le monde, on volait sans même se cacher !!!
La dignité et l’honneur des tunisiens en prenait un coup, à chaque rumeur d’expropriation et à chaque annonce de création de nouvelle holding dépouillant une ancienne structure étatique, spoliant un peu plus notre peuple.

Le président Ben Ali, au chevet du jeune Tarek Mohamed Bouazizi qui s'est immolé par le feu. Bouazizi mourra quelques jours aprés.

Le président Ben Ali, au chevet du jeune Tarek Mohamed Bouazizi qui s'est immolé par le feu. Bouazizi mourra quelques jours aprés.

Même si avant Ben Ali, le Tunisien avait bien supporté Bourguiba, un autre despote bien plus sévère, le Tunisien se rappelle que Bourguiba lui agissait comme un père, et non pas comme un pilleur, que Bourguiba n’hésitait pas à parler au peuple chaque soir à la télé en dialecte tunisien avec des discours touchants, discours qui faisaient resurgir une idée, une identité, un projet pour la Tunisie … très loin de la froideur de Ben Ali, mauvais orateur, qui ne faisait que lire des prompteurs en Arabe littéraire …
Le tunisien ne se sent plus fier de son pays, de son état, de ses institutions, de son administration prise en main par « la famille ». Il se sent vaguement honteux de tout cela. En Tunisie, contrairement à la France, c’est le peuple qui traite ses dirigeants de « Racaille ».
Les salons diplomatiques via Wikileaks en faisaient de même, décrivant la kleptocratie en « quasi-mafia ».
Il fallait que cela cesse.
Le chômage qui sévit de plus en plus surtout à l’intérieur du pays, loin des côtes n’arrangeaient pas les choses
Les tunisiens, peut être sans s’en rendre compte, attendaient l’étincelle, pour finalement se rebeller et être DIGNES !!!

—Dr Elyes Slim Ghedira

Suite des chroniques à découvrir sur le SJBM: chronique N°2, chronique N°3


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