Isolé à l’extérieur, Gbagbo tient bien son pays, persuadé que chaque jour qui passe est un jour de gagné.
C’est un partisan de Gbagbo. Sous couvert d’anonymat, il est pourtant bien féroce vis-à-vis de son champion. Il lui en veut d’avoir si mal négocié le virage électoral. Ne gagner que de quelques petits points malgré l’annulation d’un demi-million de voix ! Gbagbo devait-il seulement se présenter ? Dans l’esprit, il a fait les deux mandats que la Constitution lui permet.
« Il a découvert et goûté aux plaisirs du pouvoir. Il ne le quittera jamais. Même s’il lui faut régner sur des cimetières, il le préfère au statut d’ancien président. »
Pour lui, pas de doute. Le président déchu ne partira jamais de lui-même. Opposant au long cours, « il a découvert et goûté aux plaisirs du pouvoir. Il ne le quittera jamais. Même s’il lui faut régner sur des cimetières, il le préfère au statut d’ancien président. Il n’a plus qu’une ambition, rester le président le plus longtemps possible, jouir du pouvoir, pouvoir dire et redire, “je suis le président” ».
Gourous évangélistes
Sonné par l’issue de l’élection, Laurent Gbagbo ne desserrait plus ses lèvres, lui si habituellement souriant. Depuis, il s’est bien repris. En particulier avec ses pairs de la CEDEAO, pourtant censés être venus lui intimer l’ordre de céder son fauteuil, il a retrouvé sa jovialité habituelle. C’est qu’il revient de loin. Convaincu désormais que, de même qu’il avait réussi à se sortir du piège de Marcoussis et du Groupe de travail international, des accords d’Accra, de Pretoria, il trouvera la parade pour conserver le pouvoir sur une partie quelconque de la Côte d’Ivoire. Conforté, avec son épouse Simone, par leurs gourous évangélistes.
Les ultimatums de l’ONU, de la CEDEAO, de l’Union africaine, d’Obama, de Sarkozy, ne pèsent guère face aux certitudes du couple qui règne en maître sur la Côte d’Ivoire, hormis les deux enclaves hôtelières à Abidjan et la zone sous contrôle déjà de la rébellion. L’allégeance de toutes les forces armées gouvernementales, les Jeunes patriotes, mais aussi la présence d’une forte communauté étrangère, le tiers de la population, lui assurent un règne incontesté. Un assaut par l’ECOMOG, contingent armé de la CEDEAO, paraît invraisemblable. Il aboutirait à un réel carnage. La CEDEAO est certes déjà intervenue lourdement, mais c’était dans des pays déjà en guerre, le Liberia, la Sierra Leone.
Recettes d’exportation
Son rival Ouattara a, du reste, reconnu le fait, en suggérant une action commando ciblée. Mais les Israéliens qui assurent sa sécurité ont montré leur savoir-faire en 2004 à l’occasion des heurts avec les forces françaises. L’ECOMOG et les forces africaines n’ont pas encore du reste démontré un savoir-faire en la matière, contrairement aux forces françaises, américaines ou anglaises. Mais la France, peut-être pour ne pas exposer sa vingtaine de milliers de ressortissants expatriés en Côte d’Ivoire, a déjà averti qu’elle n’en ferait rien.
L’intervention militaire semble ainsi s’éloigner. Il ne resterait alors que l’asphyxie financière pour venir à bout de Gbagbo.
Les mesures du FMI, de la Banque mondiale, de l’UEMOA sont de nature à gêner Gbagbo, mais dans la durée. S’agissant de l’UEMOA, par exemple, la décision n’affecte que les recettes d’exportation qui sont placées dans le compte d’opération logé au Trésor français. Un haut cadre de la BCEAO explique du reste que la sanction financière prendra beaucoup de temps avant d’affecter effectivement le pouvoir de Gbagbo. Le temps, premier allié de Gbagbo.
A l’expiration de son mandat, il a résisté pendant cinq ans à l’ONU et fini par imposer son agenda. Malgré le renfort, aujourd’hui, des institutions et des pays africains, le front est moins uni qu’il n’y paraît, avec le Ghana qui a fait entendre sa différence, rejoignant ainsi le Cap-Vert, la Gambie, l’Angola.
Gbagbo, réaliste, s’est accommodé de son pays divisé, occupé en partie par une rébellion. Il semble bien prêt à continuer ainsi, malgré un isolement international sans précédent, des pressions politiques, diplomatiques et financières grandissantes ainsi que les menaces à peine voilées de traduction devant la Cour pénale internationale.
Pour l’heure, tout cela ne pèse pas pour Gbagbo, persuadé que le temps finira par avoir raison de tout cela. L’essentiel, pour lui, est de régner.