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De brins et de bribes, de Werner Lambersy (par Amandine Marembert)

Par Florence Trocmé

 
 
Lambersy Aigremoine, aristoloche, benoîte, bétoine, bleuet, condamine, chélidoine, chiendent, cigüe, colchique, consoude, dauphinelle, digitale, euphorbe, fenouil, ficaire, fumeterre, germandrée, guimauve, lamier, liseron, mélilot, mercuriale, millepertuis, 
achillée, absinthe, angélique, arum sauvage, aspérule, berce, bourrache, bryonne navet, capucine, carvi, chicorée, datura, trigonelle, jusquiame, laitue, marguerite, menthe, moutarde, orties, pensée, romarin, roquette, rue, safran, sarriette, sauge, 
trique madame, verveine, aneth, armoise, bardane, belladone, cerfeuil, coquelicot, joubarbe, jonquille, lavande, lierre, mauve, myosotis, marjolaine, persil, pervenche, sorcière, molène, morelle, narcisse, orchidée, origan, centaurée, pissenlit, 
pulmonaire, salicaire, saponaire, scabieuse, séneçon, souci, tanaisie, tussilage, valériane, véronique, violette, vipérine, pimprenelle, rhubarbe, raifort, thym, gaillet, mélisse, pariétaire, cassa, ail, genêt, éricale, solanée, primevère, balsamine, herbes Saint-Jean… 
 
Ainsi s’ouvre ce magnifique petit livre en noir et blanc, au format carré, très soigné. Hommage-liste aux « fleurs du bord de la (longue) route », aux brisants immobiles d’herbes folles, aux pagodes d’herbes folles (Tomas Tranströmer).  
Les haïkus sont bribes et traits qui prolongent les brins et pointillés des encres qui leur font face à chaque double page. Il s’y dit une couture d’herbes qui trace des routes en discontinu.  
 
L’herbe folle dit 
si tu sais où tu vas, 
c’est que tu ne sais pas où tu es 

Un seul brin 
d’herbe fait le printemps, 
il ne voyage jamais en solitaire 

Remettons  
le temps à sa place, 
que le chemin suive aussi la saison 

La tempête 
se charge des bagages, 
elles feront route par étapes 

Le vent, 
d’accord, mais pour 
aller où quand il ne le sait pas 
 
Ces fleurs sauvages, ces herbes folles offrent à chacun des chemins de traverse, les marges des routes comme lieux principaux. Les dernières qui seront les premières. 
 
Toujours 
premières à revenir, 
où personne n’attend rien 

Le sens 
de la formule leur 
est venu de nos raccourcis 

Le sentier  
s’occupe du trait, 
elles de ce qui est à colorier 

Elles font 
tout pour cacher 
le petit chemin, c’est un secret 

Elles  
ne veulent pas voir plus loin 
que le bout de la fleur 
 
Ces fleurs des fossés sont bien vivantes : elles dorment, mangent, se lavent, s’habillent, font l’amour, partagent l’amitié. 
 
Vieux sommier 
de cailloux, où elles 
ont mis leurs oreillers frais 

La nuit 
elles ne dorment pas, 
elles épongent le lait de lune 

Elles broutent 
le vent avec plus de 
retenue que le troupeau au pré 

Si l’aube 
crève un pneu, elles 
prêtent leur cric pour dépanner 

Pénélope 
ou filles en vitrine, 
elles continuent le même tricot 

Entre étoiles 
et herbes sauvages, 
comment n’avoir pas le vertige 

On dit 
mauvaise herbe 
pour les filles qui font le trottoir 

Pluies, 
vents, neige, 
canicule, soleil : quelle garde-robe 
 
Ce sont ces brins de tiges, ces bribes de mots offerts au vent qui, en réalité, font respirer la voix du poète « à qui suffit l’herbe entre les dents » pour siffler un air pas connu, qui se penche en passant pour qu’elles « parlent à voix basse à l’oreille ». 
 
Elles sont  
la ponctuation 
arbitraire d’un phrasé végétal 
 
Les brins d’herbe livrés aux aléas du vent sont très bien saisis comme symboles de la fragilité humaine. Et les herbes folles comme autant d’images du désir de liberté qui nous habite. 
 
 
Amandine Marembert.  
  
Werner Lambersy 
De brins et de bribes  
Jean-Louis Millet, encres 
éditions du Cygne, 8 euros 
site de l’éditeur 
 


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