Magazine Culture

Mobile de camions couleurs, de James Sacré et Michel Butor (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

Sacre butor C’est un livre d’une soixantaine de pages avec des photos en noir et blanc de Michel Butor. Le texte de Sacré, au-delà du Mobile dans le titre, peut renvoyer occasionnellement à Michel Butor :  « Dans Mobile de Michel Butor, qui est un livre où divers éléments de prosodie et des figurations bougent en lents mouvements de l’ensemble / Il y a un motif particulier qui détaille au fur et à mesure qu’on va dans le livre les surprenantes couleurs de grosses voitures quasi volantes qu’on dirait : / Viennent-elles pas de toucher terre, et continuant  quelque temps de lentement tanguer/ Sur d’immenses pistes routières ? » Mais dans son ensemble, le texte de Sacré me semble plus proche, comme excroissant, de son dernier livre, America solitudes. Aucun camion dans les photos de Butor alors que le motif est central dans le texte de Sacré, et déjà présent dans America solitudes, que l’on songe au long poème Le roulement des camions dans la solitude à Holbrook. 
Donc on pourrait parler d’un livre d’occasion ou de circonstance : Butor a des photos prises durant son séjour américain, Sacré vient de sortir un livre massif et déterminant, né de son expérience des Etats-Unis. La rencontre ne pouvait que se faire. Mais l’un reste en ville (Butor), alors que l’autre travaille sur ces « camions couleurs » qui ne cessent de sillonner le paysage, irriguant économiquement le pays par la route. « Tout ce trafic de convoiement divers / Vigueur aveugle et continue, jetées violentes / D’une ville jusqu’à une autre à l’autre bord du pays : / Traversée d’on sait pas quoi mais comme dans l’urgence, camions / Pour que tiennent ensemble les villes du pays. » 
Pour cette question de la relation photos/poèmes, on est finalement moins frappé par l’écho que par la distance entre ce qui arrête l’œil de Sacré et ce que fixe l’œil de Butor. Est-ce complémentaire ? Peut-être, mais c’est surtout distinct. Face à la réalité américaine, les deux auteurs ne sont pas retenus par les mêmes facettes, même si dans les deux cas, c’est bien du made in USA. Peut-être aussi qu’un rapprochement plus fort des deux travaux n’était guère possible : Butor prend ses photos au début des années soixante, lorsque le rêve américain bat son plein ; Sacré vise l’Amérique d’aujourd’hui, dans son agitation sans mémoire : « L’Amérique des années cinquante ou soixante-dix, c’est pas / Qu’elle n’existe plus / La voilà maintenant qui s’en va dans le souvenir qu’en garde ce livre de Michel Butor / Avec son histoire, un peu grandiloquente et vaguement ridicule : / Pays qui oublie, qui oublie longtemps, souvent. » 
Des pages de listes étaient présentes dans America solitudes pour scander le livre à intervalles longs. Ici, le procédé est systématisé dans une sorte d’alternance entre vers libre/verset où les camions sont vus en mouvement dans le paysage, et puis des listes où ils sont saisis au repos, comme entassés dans un immense parking : « beige à longues oreilles, caisse blanche – beige sans oreille, caisse blanche – rouge vif caisse blanche et rectangle de rouge – rouge caisse blanche, Knight en rouge – museau carré bleu pétrole caisse blanche – blanc caisse blanche avec motifs verts sur le tracteur et la remorque – blanc caisse blanche, jaune en bas – etc. »  
Dans les photos de Butor, on sent comme un étonnement d’enfant devant le monde de la ville américaine ; le regard de Sacré est bien plus ambivalent, ces camions ont quelque chose d’épique et de ridicule, à la fois. On sent que l’auteur est sensible à leur forme de beauté puissante, mais dans la séquence suivante, il accentue le dérisoire d’un mode de développement qui a atteint ses limites et devient absurde : « En voilà un mis serré contre les murs / Pas loin de la place dans la rue : / Grande cabine rouge très vif comme si / La pluie l’avait lavé longtemps, et les chromes qui brillent. // Un camion quand même pas si énorme, sa caisse plutôt courte, l’impression / Qu’il est passé sans que personne s’en aperçoive / Pour être là maintenant dans la ville et presque / Comme un cœur qui bat fort après / Un excès de course qui fait arriver nulle part. » 
 
Antoine Emaz  
 
James Sacré – Mobile de camions couleurs, Edition Virgile – 2011 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines