Recueilli par ÉLISA MIGNOT - http://www.liberation.fr/
Ishmael Beah, enrolé à 13 ans et aujourd’hui ambassadeur de l’Unicef .
L’enfant soldat de Sierra Leone n’est plus un enfant mais il est toujours un combattant. Ishmael Beah, 27 ans, se bat désormais pour mettre fin au recrutement d’enfants soldats. Lui-même a été recueilli, en 1996, dans un centre de réhabilitation de l’Unicef alors qu’il n’avait que 16 ans et trois années de guerre derrière lui. Aujourd’hui, il vit à New York où il étudie les sciences politiques. Mais tous les anciens enfants soldats n’ont pas eu cette chance. Muni de son titre d’ambassadeur de l’Unicef et de son autobiographie, Le chemin parcouru, Mémoires d’un enfant soldat (1), Ishmael Beah anime des conférences à travers le monde. Durant son séjour en France, il a notamment rencontré Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme.
Quel bilan dressez-vous de la situation des enfants soldats dans le monde ?
Ils sont aujourd’hui 250 000. Mais c’est une simple estimation, je pense qu’il y en a plus, au moins 300 000. Cette réalité touche l’Afrique mais aussi l’Asie et l’Amérique latine, ce qui est moins connu. Il faut dire que les enfants sont nombreux, «gratuits» et très manipulables, leur enrôlement est très avantageux. Ce phénomène bénéficie à beaucoup de monde : des groupes rebelles, des gouvernements, des marchands d’armes. Parmi eux, personne - en tout cas à court terme - n’a intérêt à ce que ce drame prenne fin. Certains gouvernements seraient même contraints dans ce cas-là de prendre des mesures difficiles : interrompre les ventes d’armes et lutter contre la corruption, par exemple. C’est avant tout une question de volonté politique.
Quel rôle peut avoir la France pour que cesse le recrutement des enfants soldats ?
C’est un problème global, et il est primordial que même les pays qui ne sont pas directement affectés par ce phénomène, comme la France, s’engagent. Tous les gouvernements peuvent assumer un rôle dans cette lutte. La France, qui siège dans les grandes instances internationales, au Conseil de sécurité de l’ONU notamment, doit se servir de son pouvoir d’influence. Mais elle peut aussi, par exemple, débloquer des fonds pour des actions sur le terrain. Rama Yade m’a paru très intéressée quand je l’ai rencontrée. Je suis plein d’espoir. Mais la France n’est pas seule. Je pense aussi à la Slovénie, qui vient de prendre la présidence de l’Union européenne et qui a décidé d’en faire une priorité. C’est très bon signe que cette question soit inscrite dans l’agenda européen.
Quelles conséquences peut avoir le procès à La Haye de l’ex-président du Liberia, Charles Taylor, accusé d’avoir enrôlé des enfants durant la guerre civile en Sierra Leone voisine ?
C’est le premier ancien chef d’Etat à être jugé pour ces faits, ce procès pourrait être déterminant. Tout comme le procès de l’ex-chef milicien congolais Thomas Lubanga qui doit s’ouvrir en mars. Ce qui me semble très important, c’est qu’une législation soit élaborée à partir de ce type de procès, une législation efficace, c’est-à-dire appliquée. Il faut aussi que ces lois soient retranscrites au niveau national. En tout état de cause, les condamnations de Taylor et de Lubanga seraient un vrai tournant. Tout le monde saurait que mettre des armes dans les mains d’un enfant pour l’envoyer à la guerre ne restera pas impuni.
(1) publié aux Presses de la Cité, 268 pages, 18,70 euros.