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Retour de la stagflation ?

Publié le 02 février 2011 par Copeau @Contrepoints

Retour de la stagflation ?Nous avions attiré l’attention début décembre sur les risques de retour de l’inflation. Ce n’était pas la première fois. Mais la plupart des « experts » insistaient depuis des mois sur le risque de déflation ; les voici qui commencent à craindre qu’ici ou là, l’inflation redémarre.

Mais peut-être y a-t-il plus grave que l’inflation : la « stagflation » : inflation sans croissance. Elle semble se profiler essentiellement en Europe. L’ex Tiers-monde connaît une croissance sans précédent, l’Amérique finit toujours par s’en sortir ; mais l’Europe risque de cumuler récession et inflation, comme dans les années ’70. Comme il y a quarante ans, le keynésianisme en serait à l’origine.  

Comment les politiques keynésiennes créent la stagflation

Le monde de Keynes est merveilleux : il fascine les hommes politiques, qui aiment bien les explications simples et les solutions qui leur permettent d’apparaître aux yeux des électeurs, comme des salvateurs.

Dans la théorie de Keynes, il n’existe que deux conjonctures possibles : l’équilibre de sous-emploi et l’équilibre de suremploi. Dans le premier, il y a chômage et dépression sans inflation ; cela s’explique par l’insuffisance de la demande globale. Relançons celle-ci et chômage et dépression disparaîtront. Dans le second, il y a inflation sans chômage : l’emploi et la croissance sont là, mais l’inflation aussi ; il suffit de faire une politique de rigueur et de réduire la demande. C’est simple, et à la portée de l’énarque moyen. De plus, l’observation statistique donnait quelque crédibilité à la thèse : la célèbre courbe de Phillips (ou du moins une certaine lecture de la courbe) associait les années d’inflation aux années de plein emploi.

Cette illusion a pu tromper les dirigeants pendant vingt ans, et a inspiré les politiques dites de « stop and go » : quand la machine économique s’emballe et l’inflation menace on refroidit en diminuant les dépenses publiques, quand la machine est grippée ou la relance en dopant la dépense.

Le tournant des années ’70

Le problème c’est qu’à partir des années ’60 chaque relance de la demande a exigé plus d’inflation, et à chaque freinage de la demande on a eu plus de récession et de chômage, sans réduire l’inflation. On a ainsi cumulé les deux inconvénients.

Le résultat était tellement imprévu, et la conjoncture tellement différente de celle que recherchait la politique qu’il a fallu inventer un mot nouveau : la « stagflation » : stagnation (récession, chômage) plus inflation. Les années ’70 nous ont souvent mené à 10% de chômage ou plus, à des récessions et à 10% ou plus d’inflation. La courbe de Phillips se déformait, et les pays les plus atteints par le chômage ont été ceux qui avaient aussi le plus d’inflation : quand Margaret Thatcher succède à Callaghan, l’Angleterre a 25% d’inflation et 25% de chômage ! Viennent alors les années Thatcher, les années Reagan, le monétarisme de Friedman et l’économie de l’offre proche de l’analyse autrichienne de Hayek. Il faut de la rigueur monétaire et de la libération des marchés pour avoir une croissance sans inflation.

Retour à Keynes

Les keynésiens ont cru prendre leur revanche avec la crise de 2009. Alors que cette crise était le fruit des manipulations monétaires, notamment américaines et des interventions étatiques ; il fallait désigner un bouc émissaire : la dérégulation, les marchés fous, le libéralisme. Keynes était redevenu « l’homme de l’année » en 2009 : seules la relance des dépenses publiques et des déficits, assorties d’injections massives de monnaie allaient nous sauver. En effet, les déficits et les dettes ont explosé, on a eu la crise de la dette publique et on a fait fonctionner encore plus la planche à billets. Puis, après la relance, la rigueur, après le go, le stop : nous revoici dans le piège keynésien !

Les pays émergents ne connaissent pas la stagflation

Mais entre temps le monde a beaucoup changé. Le Tiers-monde n’est plus le Tiers-monde. La mondialisation est passée par là et les échanges internationaux ont fait des miracles. Or tout en chantant la romance de la relance au G 20 les pays émergents ont été prudents, car ils savent que la croissance ne vient pas de la demande, mais du capital humain et de l’offre, des entrepreneurs et pas des hommes politiques. Voilà pourquoi les pays émergents connaissent aujourd’hui une croissance encore si soutenue.

La Banque mondiale annonce pour l’année 2010 une croissance de 3,9% en moyenne dans le monde. Seulement, elle n’est que de 2,8% dans les « pays avancés » et de 7,0% dans les pays en développement : il n’y a pas photo. Une croissance deux fois et demie plus rapide. Et il y a encore des gens pour soutenir que les écarts s’accroissent entre pays ! En 2010, cette croissance a été de 9,3% en Asie du sud-est et Pacifique et de 10% en Chine ; de 9,5% en Inde, de 4,7% en Asie centrale, de 5,7% en Amérique latine.

Cependant, des dérapages monétaires menacent encore. Les Chinois s’inquiètent d’une accélération de l’inflation. Ils sont sans doute victimes de leur succès commercial, car ils accumulent des excédents, qui normalement auraient dû conduire à la réévaluation du yuan ; ils ne l’ont pas accepté et leur marché intérieur est sous la pression de tout cet argent disponible. Toutefois le dynamisme de la mondialisation, de l’ouverture, de la formation du capital humain, sont tels que pour l’instant cette inflation, mauvaise en soi et qu’il faut maîtriser, n’a pas remis en cause la croissance.

Les pays « avancés » ont-ils redémarré ?

Et les pays développés, « avancés » comme dit la Banque mondiale ? Ils sont tous en récession, paraît-il ? Regardons les chiffres issus de la même source toujours pour 2010 : le PIB a augmenté en moyenne dans ces pays de 2,8%. Mais la hausse a été de 4,4% au Japon et de 2,8% aux États-Unis, contre 1,7% dans la zone euro.

Le résultat peut surprendre, doublement. D’une part, on disait le Japon menacé par l’horrible déflation : mais les prix sont stables et la croissance rapide ; quant aux États-Unis, ils ne sont pas en perdition ! 2,8% ce n’est pas très glorieux, mais c’est mieux que la zone euro. D’autre part, ces deux pays ont pratiqué des politiques absurdes de relance qui risquent de déboucher sur l’inflation, et le dollar peut être fragilisé, d’autant que les finances publiques américaines, déséquilibrées par les « stimulus » d’Obama, ne sont pas en bon ordre.

En fait, la stagflation se manifesterait aujourd’hui plutôt dans la zone euro : 1,7% de croissance en 2010 et la Banque mondiale annonce 1,4% en 2011. Encore ces chiffres sont-ils gonflés par la performance de l’Allemagne, qui a eu une croissance de 3,6% et fait monter la moyenne. Sans l’Allemagne, on est plus près de 1% de croissance : la récession n’est pas loin. Le seul pays de la zone euro qui s’en sorte est celui qui a le moins relancé, et les protectionnistes devraient nous expliquer pourquoi le pays le plus ouvert sur la mondialisation, qui a tout misé sur le commerce extérieur, est le seul qui s’en sorte.

L’inflation menace la zone euro

L’une des deux composantes de la stagflation, la stagnation est donc bien là dans la zone euro. Et l’autre ? L’inflation reste modérée. Le mois de décembre n’a pas été bon : 0,5% de hausse des prix en France, 1,8% en un an et même 2,0% selon les statistiques européennes harmonisées. Dans plusieurs pays de la zone on est au dessus de 2, voire de 3%. Certes, ces derniers temps, la masse monétaire est stable : 1% de hausse de M3 cette année ; mais la progression a été de 12% fin 2008 et il faut plusieurs mois pour qu’elle se transforme en inflation. De plus, on peut s’inquiéter de l’évolution de la politique de la BCE sous la pression de la France et des pays en mauvaise posture financière : la Banque a accepté de racheter de la dette publique, et l’accroissement de la base monétaire pourrait dégénérer en augmentation de la masse monétaire sur le marché, donc à une hausse du niveau général des prix puisque la production ne suit pas. L’inflation, comme nous l’avons démontré il y a un mois, peut s’aggraver à tout moment. Malheureusement certains pays voient dans l’inflation une façon d’éponger une partie de leur dette publique. Illusion, tout aussi nocive que celle de la relance. Une seule voie de salut : sortir du piège de la stagflation et des politiques monétaires et budgétaires laxistes.


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