Thibaut Desio est le nom de l'illustrateur qui avait remporté le concours d'illustrations Le Souffle d'Aoles. Voici son blog. Il a accepté que je retrace ici quelques détails de notre travail en commun, dans un billet illustré de ses images. Connaissant son talent, j'avais hâte de refaire appel à lui pour le deuxième volume, Eau Turquoise (à paraître en avril 2011 en autoédition). J'ai cependant attendu pour cela que l'écriture en soit suffisamment avancée. Allait-il s'adapter suffisamment à ce travail si radicalement différent du premier ? Mon intuition le concernant (pour moi, c'est l'un des illustrateurs s'étant le mieux approprié l'univers d'Ardalia) était-elle juste ? Les angoisses n'ont pas manqué. Comme vous le savez, je suis ravi du résultat final pour Eau Turquoise. J'ai appris au cours de nos échanges par mail qu'il avait été graphiste chez Ubi Soft. Cela m'a fait sourire, puisque j'ai moi-même testé des logiciels d'Ubi dans une vie antérieure, en tant que journaliste de presse magazine. En tout cas, cette collaboration m'a appris que l'on pouvait obtenir, du moins dans le cadre d'une illustration de couverture, des résultats probants en communiquant uniquement par e-mail. Et ce, même si l'un des deux communicants s'avère être un auteur aussi chieur... euh, pardon... perfectionniste, que moi...
Première étape : s'accorder sur les histoires de contrat et de paiement. C'est ce qui a pris le moins de temps, puisque je possédais un modèle de contrat d'illustrateur aimablement laissé par les Editions Voy'el et qui me convenait très bien. Avec ce contrat, l'illustrateur ne cède ses droits que dans le cadre de l'illustration du roman (à savoir que si je voulais vendre des cartes postales Eau Turquoise, il me faudrait renégocier avec Thibaut Desio), et pour une période de deux ans renouvelable tacitement : si le roman devait connaître le succès, l'illustrateur pourrait renégocier. En règlement de cette illustration, il a touché 400 euros. Bouh que c'est laid, j'ai parlé argent et j'ai dévoilé le contenu d'un contrat. Je viens de briser un tabou. Normal, vous me direz, je suis autoéditeur. Allez, ma minute d'impertinence : puisque les éditeurs organisent parfois des concours littéraires pour désigner les meilleurs textes, les auteurs pourraient à leur tour organiser des concours pour désigner les meilleurs contrats d'édition. On pourrait aussi élire les razzies des pires de la profession. Non ? Pas une bonne idée, ça ? Bon, bon...
Deuxième étape : j'avais plusieurs options pour la couverture :
- demander à l'illustrateur de lire le livre entier et de dessiner la couverture selon son inspiration
- demander à l'illustrateur de lire le livre entier, mais de se concentrer sur une scène impliquant les malians et l'Eau turquoise
- choisir un passage représentatif de ce que je voulais et demander à Thibaut de l'illustrer
- imaginer moi-même différents éléments représentatifs du livre, que Thibaut aurait à illustrer
J'ai finalement opté pour un mélange entre la troisième et la quatrième solution, sauf que pour les éléments représentatifs, ils ont été proposés par Thibaut et choisis en commun. Ainsi, la couverture finale n'est pas fidèle à 100% à la scène choisie dans le livre, elle représente un compromis offrant la meilleure lisibilité et visant à symboliser au mieux l'ouvrage dans son ensemble. A noter que les images en couleur visibles sur ce blog ne sont pas totalement fidèles à celle de la couverture, plus éclaircie dans la réalité.
Troisième étape : premières esquisses
Après avoir lu le résumé de la scène, Thibaut a réalisé une première esquisse. Déjà à ce moment, je lui avais demandé de dessiner Elisan-Finella, une fusionnée malanite en train d'invoquer le pouvoir de sa déesse, Malia, et d'emprisonner un shaman pourpre. L'image risquant d'être trop difficilement lisible, Thibaut a préféré se concentrer dans un premier temps sur Elisan-Finella et la Bulle de Contention :
J'ai énormément apprécié l'aspect aquatique, fluide et longiligne de la créature. Les hanches étaient suffisamment larges pour suggérer une femelle. On voit bien l'aspect palmé des pieds. Néanmoins, plusieurs interprétations de l'image étant possibles, on ne pouvait être sûr qu'il s'agissait d'une malian fusionnée. Or, de la même manière que je tenais à ce que les trois narines des hevelens apparaissent nettement dans la première couverture, celle du Souffle d'Aoles, il était indispensable pour moi que l'aspect "fusionné" d'Elisan et Finella soit évident au premier coup d'oeil. Pourquoi ? Pour Le Souffle d'Aoles, les trois narines représentent l'unique caractéristique visuelle qui relie les hevelens à l'élément aérien. Cette caractéristique a beau rendre les personnages disgracieux par rapport à des humains, j'y tenais car à elle seule, elle suffit à différencier la série du cycle d'Ardalia d'autres séries de fantasy, et à entrer dans "mon" univers. Le "mien", et non un univers transposable tel quel ailleurs. (Le mien dans le sens : celui que j'ai découvert à l'aide de mon imagination. Je ne crois pas à la création ex nihilo, d'autant que pour l'idée de fusionnés, je me suis inspiré de L'Incal, de Moebius et Jodorowsky).
J'ai donc demandé à Thibaut de dessiner Elisan-Finella de profil ou de trois quart, en grossissant les cuisses, car les jambes de l'ascendante ont à supporter son propre poids plus celui de la répondante, elles doivent donc en toute logique être renforcées. Je voulais qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur l'aspect original et propre à cet univers de cette créature :
A ma surprise, et alors que je lui avais proposé une solution différente, il a représenté le shaman emprisonné dans la Bulle. Très bonne nouvelle pour moi, puisque cela devenait possible. Les moustaches d'Elisan-Finella sont une initiative de Thibaut. Cela permet au mieux de caractériser l'élément aquatique. Si j'avais voulu une couverture de type expérimental, mettant avant tout en scène des aliens, je me serais contenté de demander à Thibaut d'éloigner la Bulle (pour gagner en lisibilité), de diminuer les proportions du shaman (les hevelens ne font que quatre à cinq pieds de haut contre six à sept pour les malians, et celui-ci en fait quatre) et d'affiner de nouveau Elisan-Finella. Mais le cycle d'Ardalia n'est pas une série expérimentale. Elle s'adresse au grand public. J'ai donc fait un compromis. Comme je ne voyais pas comment lui suggérer d'imaginer une alien séduisante, je lui ai demandé d'enlever les moustaches et de dessiner ascendante et répondante en s'inspirant de femmes qu'il trouvait séduisantes. Cela demeurait ardu pour Thibaut, car les malians devaient conserver leurs caractéristiques (pas de pilosité, donc pas de cheveux ni de sourcils, remplacés par des arcades). Dont bien sûr, l'aspect fusionné.
Avec cet image, on a un bond qualitatif. La position des bras d'Elisan-Finella ne changera plus. Son expression d'effort, et notamment celle d'Elisan, est évidente, mais cela nuit à son aspect gracieux. Pour contrebalancer, je demande à Thibaut d'affiner, notamment au niveau du nez. Le shaman me semble à ce moment très bien.
Quatrième étape : versions en couleur (et en lumières !)
Au niveau de l'expression et des traits de visage, cela s'est affiné. De même, la jonction entre le bas et le haut du corps de la malian est beaucoup plus naturelle. Concession de ma part sur les sourcils, sans doute un peu trop humains ici. La lumière tombe de manière idéale sur Elisan-Finella. Les éléments du décor sont très estompés, mais peu importe pour le moment. L'image doit de toute façon être la plus claire et lisible possible. Le collier d'Elisan-Finalla a disparu provisoirement. Reste à se concentrer sur le shaman, dont les proportions me conviennent à présent.
Thibaut a eu l'idée d'entourer la Bulle de Contention d'un halo magique. L'effet est réussi, mais c'est risqué car cela peut nuire à la lisibilité. Le visage du shaman n'est pas totalement terminé. Comme sur les images précédentes, il a cinq doigts au lieu de quatre. Le fait que ses trois narines ne soient pas très visibles n'est pas gênant, mais il faut rectifier les mains. Pour la première fois, avec la couleur, le shaman a pris du corps, de la réalité, et je me rends compte, à ma grande honte, de choses qui me gênent. jJaurais dû demander à Thibaut de les régler auparavant : l'interaction mains d'Elisan/Bulle rend l'image moins lisible, je n'aime pas ces pieds qui sortent de la Bulle, ni les bandes au niveau des cuisses du shaman. Un vrai chieur, je vous dis ! (Bon, plus personne ne voudra travailler avec moi après ça).
Pour la première fois, un essai d'insertion de titres par Thibaut lui-même. Il sera finalement décidé que ce sera à moi de gérer cet aspect. Le shaman a quatre doigts, ouf. Thibaut a rajouté des éléments visuels autour de la Bulle, mais le résultat me fait un peu trop penser à des atomes, et me suggère par analogie un pouvoir sur l'électricité. Or, il ne saurait en être question, c'est bien le pouvoir sur l'eau qui doit être mis en évidence. Mais il y a des progrès dans l'expression du shaman. Il semble réellement souffrir (je sais, l'image est un peu petite pour s'en rendre compte). Je suis content de voir que mes directives précédentes ont été suivies. Il faudrait juste faire brasiller les yeux du shaman et suggérer son pouvoir sur le feu. Un tyran, je vous dis. Un vrai tyran.
Pour la première fois sur ce blog, vous découvrez donc la quatrième de couverture (sans le texte de présentation, bien sûr). La ligne du mileu délimite la tranche du livre (en plus petit). Les couleurs ont été retravaillées et le décor apparaît plus nettement. J'apprécie l'aspect très aquatique et turquoise, mais je trouve que les couleurs font un peu trop monochromes. Finalement, heureusement que les échanges avaient lieu par mail, sinon je crois que j'aurais encore les traces des doigts de Thibaut sur le cou, moi...
Aaaaah ! Ça y est, on y est ! L'un de mes souhaits était que l'image soit dynamique, le mouvement suggéré : il me semble que c'est le cas. Les petites bulles qui relient les mains d'Elisan à la Bulle sont une bonne idée. L'ensemble a un certain niveau de complexité, mais qui ne nuit pas à la lisibilité générale. C'est à la fois une image qu'on peut embrasser d'un seul regard et comprendre aussitôt, et regarder plus attentivement pour découvrir des détails. L'opposition entre les deux êtres comme entre les deux pouvoirs est plus marquée, ce que je souhaitais aussi. L'opposition, dans une image, peut accrocher l'attention et situer l'enjeu. Oserais-je dire qu'il est possible que ce travail en commun ait permis à Thibaut de progresser ? En tout cas, il lui aura appris la patience, puisqu'il s'est écoulé près de deux mois entre la commande et la réalisation (mais Thibaut a évidemment travaillé sur d'autres projets dans cette période. Je lui ai même personnellement indiqué le concours Les dieux ne sont pas Immortels, où il n'aura malheureusement terminé que troisième).
Pour ce qui me concerne, en tout cas, j'ai appris de mes erreurs, et je sais qu'il me faut me décider de manière plus rapide et définitive sur certains éléments pour faciliter le travail d'un illustrateur. J'essaierai de retenir la leçon pour le travail avec Thibaut sur la troisième couverture. S'il veut bien de moi... Au fait, la couverture finale :