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Occupe-toi du bébé

Publié le 07 février 2011 par Belette

Une jeune femme, Donna, accusée d’infanticide, emprisonnée puis relaxée faute de preuves suffisantes, accepte de confier son histoire à un documentariste – metteur en scène : Olivier Werner. La pièce de Dennis Kelly se déroule au fin fond de l’Angleterre, entre une mère qui fait campagne pour les élections locales, un psychologue qui a découvert le syndrome de Leeman-Ketley, qui expliquerait certains infanticides et permettrait d’apaiser la souffrance des mères, et la caméra. Un grand écran reproduit son image durant tout le spectacle, en alternance avec les séquences pré-enregistrées de la campagne de la candidate indépendante Lynn Barrie, au délicieux accent british. Les figures du père et du mari sont absentes : le premier complètement, le second au début seulement : il finit par céder aux demandes d’entrevue du journaliste. Ce dernier pose des questions et un regard neutres et crus. « Aimiez-vous vos enfants ? » « Voudriez-vous revoir votre femme ? » « Pensez-vous qu’elle a tué Jake et Morgan ? » Au fur et à mesure de la pièce, ce regard met en lumière les contradictions infinies des personnages, par le truchement de la caméra.

Occupe-toi du bébé

Occupe-toi du bébé ne parle que de ça : du regard. Celui qu’on pose sur l’autre et sur soi-même, celui qui dit vrai et celui qui ment, celui qu’on voudrait avoir et celui qu’on a, celui qu’on voudrait que les autres aient et celui qu’ils ont. L’écran reflète ces multiplicités de l’œil jusqu’à en dévoiler les motivations et les errances. Lynn défend (« ça va créer des emplois, drainer les villages voisins ») ou attaque (« ça va défigurer le paysage, c’est anti-écologique, ça va détruire les petits commerces ») un projet de construction de complexe industriel à la lisière de son village de la campagne anglaise de 2000 et quelques habitants. Le psychologue, qui a observé le syndrome de Leeman-Ketley chez Donna, provoque quelques soupçons : « avez-vous inventé le syndrome de Leeman-Ketley pour votre carrière ? » Seule Donna paraît rester en marge de cette recherche effrénée de vérité : ses enfants sont morts, voilà sa seule vérité. Les a-t-elle tués ? « Non ». Même question à l’ex-mari : « Oui ». La brochure parle d’une réflexion sur les médias et la manipulation de la parole, j’y verrais aussi simplement le démonstration de nos contradictions. Chaque personnage construit son échafaudage pour se sauver du désespoir : ni bons ni mauvais, les échafaudages se contentent d’être utiles, pour un moment.

Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, à cause du sujet de la pièce, l’atmosphère n’est pas noire. De temps en temps on rit, souvent on sourit, parfois on pleure. Les jeux d’acteur deviennent leurs propres commentaires tout au long du spectacle, qui prône finalement le détour par la fiction pour atteindre la vérité. Si les scènes sont la plupart du temps figées (interviews), la mise en scène dans son ensemble n’en est pas alourdie, au contraire. Olivier Werner réussit à installer sur le plateau une esthétique de l’épure qui n’est pas ennuyeuse, mais captivante. Bravo.



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