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Salle 5 - vitrine 3 : les chiens familiers - 4. du sacrifice cultuel des canidés

Publié le 08 février 2011 par Rl1948

   J'avais, souvenez-vous amis lecteurs, abordé au terme de notre rendez-vous du 25 janvier, le problème du massacre des chiens errant dans les rues du Caire, manifestement perpétré au nom de croyances religieuses contemporaines les considérant comme impurs.

     Mardi dernier, toujours au nom de la religion, antique cette fois, j'avais évoqué ici, devant la vitrine 3 consacrée aux animaux familiers que nous propose la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, la vénération dont ils furent l'objet en tant qu'hypostase, c'est-à-dire réceptacle d'une parcelle de divinités telles qu'Inpou (Anubis, pour les Grecs) et Oupouaout.

     Aujourd'hui, en vue d'apposer un point final à ces réflexions et avant de nous pencher sur les singes, autres  bêtes de compagnie des anciens habitants de la Vallée du Nil, je souhaiterais à nouveau attirer votre attention sur une pratique que, par ailleurs, nous avons déjà rencontrée concernant les chats et qui, pour les chiens, semble apparemment moins connue, alors que presque aussi répandue : il s'agit, vous l'aurez compris, de la momification réalisée sur grande échelle à Basse Epoque, c'est-à-dire à l'extrême fin de l'Histoire de la civilisation pharaonique proprement dite, en vue de fournir des ex-voto aux pèlerins qui invoquaient les dieux aux fins d'en obtenir l'un quelconque bénéfice.

     Comme la plupart des musées du monde présentant une collection de pièces égyptiennes, le Louvre propose, en salle 19, la dernière du parcours thématique avant de monter au premier étage pour découvrir  une Histoire déroulée suivant un ordre purement chronologique, une vitrine portant le numéro 8,       

Salle 19 - Vitrine 8 (A. Dequier)

dans laquelle ont été exposées différentes momies animales, dont celles de chiens.

     Permettez-moi de simplement ici rappeler que l'immense ferveur qui s'empara des populations des ultimes dynasties égyptiennes, puis de l'époque gréco-romaine, aboutit à concevoir, dans les enceintes de temples, des enclos d'envergure où les prêtres gardaient, élevaient, nourrissaient puis, en définitive, sacrifiaient un nombre considérable de jeunes animaux : chats, nous l'avons vu, mais aussi crocodiles, béliers, ibis, et bien d'autres encore ... ; et donc également des chiens. Et ce, pour assouvir les desiderata de dévots de plus en plus nombreux.

   Ceci posé, il appert que le personnel des temples affecté à l'entretien des canidés non seulement se révélait relativement peu imposant mais en outre, hiérarchiquement parlant, ressortissait à la strate la moins importante de la classe sacerdotale. Parfois même, ces éleveurs de chiens sacrés étaient de simples civils que le temple recrutait et rémunérait.

     L'honnêteté historique m'oblige aussi à préciser, au-delà de considérations qui, j'espère, n'auront rien de ségrégationnistes à vos yeux, que si, pour l'époque ptolémaïque, la documentation se révèle extrêmement prolixe à propos de ces élevages destinés aux sacrifices, elle reste en revanche bien muette concernant le Nouvel Empire. Ce qui signifie que, sans vouloir exonérer qui que ce soit de conceptions cultuelles ouvrant grand notre porte à bien des jugements négatifs, force m'est de constater que ces pratiques firent de toute évidence essentiellement florès aux derniers temps de la civilisation  des rives du Nil, c'est-à-dire à une époque où l'antique pensée religieuse déjà fortement amenuisée s'est diffractée sous la contamination de pratiques exogènes, métissage culturel inhérent aux différentes invasions des Perses, des Grecs, puis des Romains qui s'étaient succédé sur le sol égyptien ; et ceci, sans ajouter le délétère impact du christianisme, à tout le moins dans ses premiers moments d'existence ...

     A Assiout, je l'ai précédemment expliqué, en 1922, furent mises au jour dans le tombeau de Djefaihapi III non seulement une impressionnante quantité de stèles dédiées à Oupouaout mais, également, des momies de canidés.

     Celles-ci furent, vous l'imaginez sans peine, minutieusement analysées et nous apprirent, sans la moindre ombre d'ambiguïté - parce que les traces aux niveaux du larynx, des vertèbres et des premiers anneaux de la trachée accusaient d'elles-mêmes -, que toutes les victimes avaient été étranglées.

Au nom de la religion ! Au nom du mercantilisme qu'elle génère !

   A El-Deir, dans une nécropole d'époque gréco-romaine située à une trentaine de kilomètres au nord-est de l'oasis de Kharga, l'équipe "Alpha-Necropolis" exhuma, entre 1998 et 2005, quelque 500 momies de chiens là aussi sacrifiés en vue d'être vendus comme ex-voto dans un sanctuaire. Leurs radiographies démontrent qu'indiscutablement leur mort constitue le résultat qui d'une fracture du crâne, qui de la dislocation de la charnière crano-cervicale.

Au nom de la religion ! Au nom du mercantilisme qu'elle génère !

   Et même si ces sites paraissent moins nombreux que ceux dévolus aux petits félidés, ils constituèrent à Saqqarah, en Basse-Egypte ; au Spéos Artémidos d'Hatchepsout à Beni Hassan, en Moyenne-Egypte ; à Thèbes ouest, dans des tombes humaines abandonnées à Gournah notamment,  à Denderah, au sud-ouest du temple d'Hathor, à Abydos, à  Assiout, à Coptos, en Haute-Egypte, et  même dans le Delta, de véritables cimetières réservés aux canidés.

  

   Revenons un temps, voulez-vous, à Saqqarah. Nul n'ignore plus, après les  fouilles entreprises au Bubasteion par l'égyptologue français Alain Zivie, qu'une nécropole dédiée à la déesse Bastet fut là découverte. Peu, toutefois, savent qu'en 1897 déjà, Jacques de Morgan, un autre égyptologue français, releva des traces d'apparemment deux catacombes pour chiens.  

     En 2009, Paul Nicholson, directeur d'une mission sous l'égide de la Cardiff University-Egypt Exploration Society, reprenant les plans de J. de Morgan, retrouve l'emplacement de l'une d'entre elles sous le temple d'Anubis - d'où le nom d'Anubeion donné par les égyptologues - et en exhume des milliers de momies canines entreposées dans de nombreux petits tunnels adjacents à chaque côté d'un couloir central. La majorité d'entre elles avaient là aussi constitué des offrandes votives.

Au nom de la religion ! Au nom du mercantilisme qu'elle génère !

   Quelques chiens qui, en fait, auraient été élevés dans l'enceinte du temple, furent à un âge avancé inhumés dans des alcôves spéciales aménagées dans les murs des petits tunnels.

   Certaines de ces momies provenant de Saqqarah eurent l'honneur d'un cercueil ; participant actuellement à la richesse du Musée du Caire, ils en constituent les exemplaires les plus remarquables. D'autres furent déposées dans des vases en terre cuite rouge ; d'autres enfin n'eurent droit qu'à d'élémentaires cartonnages en guise d'ultime protection.

   A Antaeopolis, entre Akhmim et Assiout, en Haute-Egypte, ont même été découverts de petits sarcophages en calcaire : la raison de toutes ces différences d'inhumation n'a toujours pas trouvé, à l'heure actuelle, son explication plausible.

     Avec ces deux interventions de mardi dernier et d'aujourd'hui, vous aurez compris, amis lecteurs, que je voulais mettre en exergue le paradoxe égyptien concernant ces nombreux canidés considérés comme sacrés : ils étaient tout à la fois vénérés parce qu'ils recelaient une part de la divinité qu'ils symbolisaient mais, aussi, mutilés, sacrifiés et offerts en icône  à cette même déité.

   Cela me semble démontrer qu'en tant qu'hypostases divines, les momies avaient manifestement plus de valeur aux yeux des fidèles qui l'achetaient pour l'offrir à leur "idole" que le simple animal vivant.  Finalement, le chien ne devenait sacré qu'après sa mort ! A ce moment-là seulement commençait-il à faire l'objet de rites dont le premier consistait à le momifier de manière qu'il puisse devenir un nouvel Osiris, tout comme les êtres humains.

     Il n'en reste pas moins qu'évalués à l'aune de nos idéaux contemporains, tous ces zélateurs baignaient dans une incontestable hypocrisie qui voulait qu'ils fissent semblant d'ignorer les sacrifices d'animaux à si grande échelle que leur foi exigeait !!!

     Au nom de la religion ! Au nom du mercantilisme qu'elle génère ! 

   Ce sera toutefois sous la bannière d'une autre religion que ces pratiques, apparues à la XXVIème dynastie, cesseront à la fin du IVème siècle de notre ère grâce à l'empereur romain Théodose qui, imposant définitivement le christianisme à tout son Empire, fera fermer les temples égyptiens évidemment dès lors considérés comme païens.

   O tempora, ô mores !

(Charron : 1990, 209-13 ; ID. 2001, 7-22 ; Dunand/Lichtenberg : 2005, 75-87 ; Durisch : 1993, 205-21 ; Nicholson : 2010)


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