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Andree chedid ou la fraternite de la parole

Publié le 08 février 2011 par Abarguillet

ANDREE CHEDID OU LA FRATERNITE DE LA PAROLE

Toutes ces brumes issues de nos chagrins,
Tous ces orages qui bataillent entre nos tempes,
Toutes ces ombres qui emmurent l'espérance,
Tous ces cris qui entravent notre chant,
Toutes ces craintes qui retiennent nos pas,
Toutes les clartés qui naissent de ces remous !  

   ( territoires du souffle )


 Née au Caire en 1920, Andrée Chedid a ses racines ancestrales en Egypte et au Liban, mais s' est installée en France dès 1946. Pour y avoir vécu et fait des études, elle connaît aussi intimement le Moyen Orient que la France et l'Occident en général. Son œuvre entière porte les marques de ce multiculturalisme. Le français est sa langue maternelle et sa langue d'écriture. Son  premier livre a cependant été rédigé en anglais, le recueil poétique On the Trails of my Fancy (Le Caire, 1943).
Aujourd'hui elle occupe une place de choix parmi les auteurs français contemporains. Romancière, nouvelliste, dramaturge et surtout poète ( Je reviens toujours à la poésie, comme si c'était une source essentielle ), ses nombreux ouvrages en prose ou en vers lui ont valu d'importants prix littéraires, entre autres le Goncourt de la nouvelle, le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres, le prix Louise Labé, le Prix Mallarmé…pour ne citer que ceux-ci.
Un article du Nouvel Observateur titrait : "Les Chedid. Une famille en or", évoquant à la fois le grand talent de l'écrivain, celui de son fils Louis, auteur-compositeur-interprète de renom, et celui de son petit-fils Matthieu, bien connu pour sa chanson " Je dis aime ". Or, c'est Andrée Chedid elle-même qui a écrit les paroles de ce qui est plus qu'un " tube " à la mode, car il est porteur d'un message émouvant et fort nécessaire dans le monde où nous vivons. Le poème de la grand-mère mis en musique par le petit-fils, quel superbe exemple du " pont " que l'écrivain s'est toujours attachée à établir entre les générations ! Andrée Chedid est une femme bien de notre temps ; ses écrits restent jeunes dans le plein sens du terme. " Avancer, reprendre joie, défier l'obstacle, peut-être le vaincre, puis aller de nouveau : tels sont nos possibles ". Ainsi s'exprime-t-elle dans une sorte d'art poétique qui est aussi art de vivre intitulé " Terre et Poésie " dans le recueil Visage Premier (1972). Toujours active dans le monde des lettres, elle a publié des poèmes réunis sous le titre Territoires du souffle (1999) et un roman, Le Message (2000), tous deux aux éditions Flammarion.
Dans les récits, ses personnages sont pour la plupart (mais non exclusivement) des femmes. L'auteur n'en est pas pour autant féministe dans le sens militant du terme, de même que son écriture ne peut être qualifiée de  féminine, terme trop souvent associé à une certaine mièvrerie de convention. A contrario, les héroïnes chedidiennes s'inscrivent dans le mouvement solidaire du monde contemporain, tout comme d'autres femmes se sont incarnées dans la réalité d'un autre temps. C'est ainsi que même les personnages-femmes du Moyen Orient sont généralement celles qui savent faire " craquer la carapace " des injustices, comme le dit si bien la poétesse dans " La femme des longues patiences " (Fraternité de la parole). Dans le même ordre d'idées, Andrée Chedid ne croit pas qu'il existe une écriture spécifiquement féminine. " J'écris depuis longtemps et je ne pars pas de l'a priori que je suis une femme - affirme-t-elle dans une interview de 1982. La quête d'Andrée Chedid, à la fois chant poétique et assertion d'une identité, se manifeste dans certains grands courants thématiques qui traversent son œuvre globale et que l'on peut définir ainsi : vision cosmique, libération, énergie vitale et pouvoir de la parole. Il va sans dire que ces subdivisions sont établies de cette manière pour les besoins de l'analyse et ne signifient nullement que l'œuvre se scinde en autant d'aspects particuliers. Tous s'interpénètrent et coexistent dans chaque ouvrage, qu'il s'agisse de poésie, de récits ou de théâtre.
Sa vision cosmique s'associe étroitement à l'idée d'une fraternité universelle qui rassemblerait non seulement les êtres humains de tous les pays, mais tout ce qui existe. Soudure aussi entre les générations et même entre les siècles : "L'ancêtre et le futur " est une expression que l'on rencontre à plusieurs reprises dans les textes de Chedid, et c'est aussi le sujet d'un poème. Dans les oxymores des titres Sœurs ennemies ou  Mon ennemi, mon frère, Andrée Chedid met en vedette la solidarité des êtres qui doit prévaloir contre les différences trop souvent imposées de l'extérieur. 
La libération, telle qu'elle la conçoit, doit nous inciter à secouer les chaînes, à franchir les obstacles dont certains d'ailleurs, plus illusoires que réels, sont des obstacles intérieurs. Cette libération permet à chaque être d'accomplir son destin avec tout le potentiel qu'il possède. Dans ce contexte, Andrée Chedid parle admirablement de la Femme qui lui inspire les images d'un  éveil, d'une nouvelle naissance particulièrement évocatrices dans tous ses ouvrages. Le poème  La femme des longues patiences  et la nouvelle La longue patience sont caractéristiques sous ce rapport.
Quant à l'énergie vitale, dans la thématique chedidienne, elle s'associe à la quête, à la progression, au parcours, que les êtres se construisent avec des moyens matériels et spirituels, avec leur corps, leur cœur et leur âme. Andrée Chedid est le chantre de la vie, mais elle sait aussi parler de la mort avec éloquence et sérénité. La mort est partie intégrante du cycle vital, un dénouement qui accomplit " l'ultime échange " et par là rejoint l'idée d'une fusion fraternelle avec l'univers. 
 Pour finir, il y a le pouvoir de la parole. Parole est un mot-clé chez l'auteur. Il représente d'une part la parole créatrice du poète, et d'autre part la communication avec l'autre, nouvelle allusion à une fraternité. La Parole, c'est donc d'abord l'écriture poétique, l'amour des mots, leur richesse et leur pouvoir. Profondément philosophique, les textes ne s'adressent pas, pour autant, à une quelconque élite. Certes, le fin lettré y verra d'autres choses que le lecteur moyen, mais ce dernier ne se sentira jamais exclu et trouvera dans ce foisonnement de récits et de vers, des situations familières, des pensées, des désirs qu'ils reconnaîtra comme siens.
  
Il faut souligner, enfin, que ces grands courants philosophiques et esthétiques qui traversent l'œuvre s'accompagnent d'un réel plaisir de lecture. Les romans et nouvelles d'Andrée Chedid éveillent l'intérêt, nous entraînent dans leurs péripéties et leurs périphéries et nous font partager les joies et les souffrances d'êtres fort divers mais qui ne sont pas moins nos semblables. En effet - et c'est là une qualité rare - l'auteur réussit à nous faire ressentir les émotions de ses personnages, aussi bien ceux-ci vivent en Egypte, au Liban qu'en France, ou, mieux encore, que le lieu puisse être n'importe lequel sur terre. C'est ainsi que l'un de ses romans, Le Message, évoque une situation  universelle qui touche tous les êtres humains à une époque où des drames surgissent un peu partout.
Sensible au tragique de l'existence, Andrée Chedid sait également jeter un regard amusé sur nos tribulations avec un sens inné de l'humour qui n'est nullement corrosif mais tendre et compatissant. Et cet humour se révèle aussi dans la langue elle-même, dont elle explore, en poète, les ressources et les prolongements. Andrée Chedid sait jouer avec les mots et les signes, en faire ressortir les aspects ludiques et secrets. 
Si bien qu'à une époque, où l'on déplore parfois la crise de la littérature, cet écrivain se distingue-t-il par un talent unique qui combine l'art de bien dire et celui de toucher le lecteur en lui parlant de situations, d'émotions de tous les temps et de tous les lieux. Par là, son oeuvre peut être considérée comme classique dans le plein sens du terme, car libre des modes et prétendues innovations passagères et apparait-elle  immunisée contre l'épreuve du temps.

Mes sources : Renée Laurentine

 

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