Le cinéma adore les justiciers solitaires qui appliquent la loi du Talion en s’affranchissant des barrières telles que la loi et la morale.
Bien souvent le 7ème art a montré, expliqué sans pour autant condamner de tels actes. La fiction permet aux créateurs bien des libertés éthiques.
Les exemples sont nombreux mais les prestations de Charles Bronson dans les deux premiers volets de la saga "Un Justicier dans la ville" (les autres épisodes sont pour le moins gratuits et répétitifs voire grotesques) ont marquées les esprits à plus d’un titre.
L’acteur américain a établi les canons du genre (un type ordinaire confronté à une cruelle injustice qui décide de se comporter en vengeur, palliant ainsi les carences d’une justice laxiste).
"Harry Brown" mis en scène par Daniel Barber est un long métrage qui nous plonge dans l’existence d’un homme (Michael Caine) brisé par le chagrin et la perte de la femme aimée. Un anti-héros par essence dont la vie touche une profondeur abyssale quand son meilleur ami est massacré par des dealers sans foi ni loi.
"Harry Brown" est un thriller sombre dont la lourdeur s’insinue par chaque pore de notre peau. Le climat est déprimant à souhait. C’est un vrai film d’ambiance car nous côtoyons l’Angleterre des banlieues, du chômage et le dénuement total. Les habitations sont tristes, le gris domine. La misère sociale teinte l’œuvre d’un bout à l’autre.
Ces espaces confinés, inquiétants sont le terrain d’exercice des bandes et de leurs trafics en tout genre. La peur règne en maîtresse. La police semble avoir baissé les bras.
En plein cœur de ces zones de marasme la violence gratuite touche les plus faibles.
Daniel Barber brosse avec brio un tableau sans concession. Sa réussite est de créer un panorama crédible.
Le film collectionne les séquences chocs où les hommes agissent sans fioriture. La mise en scène joue la carte du réalisme. Point de discussions parasites. Quand Harry Brown prend le taureau par les cornes, la violence devient exponentielle. Les tabous et les inhibitions deviennent obsolètes.
Le réalisateur met en images le sentiment qui nous anime tous et toutes un jour ou l’autre dans notre existence : la soif de vengeance.
"Harry Brown" est le portrait d’un homme que rien ne prédispose à tant de férocité dans les actes. Ancien militaire ayant servi en Irlande du Nord, le citoyen Brown est devenu un paisible retraité. La perte de sa femme le fragilise. Les moments d’émotion à fleur de peau sont très émouvants. Ils nous touchent car les larmes, les regards vident de la moindre étincelle de vie sont plus évocateurs que tous les plus longs discours du monde.
L’intérêt du film est de ne pas transformer les actes du principal protagoniste en une croisade fondée sur des principes idéologiques. Harry Brown n’obéit pas à des préceptes politiques, religieux ou moraux. Il agît simplement pour se défendre et faire payer la note à de petites frappes qui terrorisent un quartier. Son implication dans la violence est directe, primale diraient certains.
Daniel Barber ne juge pas Harry Brown. Sans concession il montre la violence de manière presque basique. Son film prend parfois l’apparence d’un reportage. La teinte sociale semble évidente.
Sur le plan technique la photographie, où les tonalités sont résolument ternes, traduit admirablement ce climat social de désolation et de misère.
Le film glace le sang car il laisse peu de lueurs d’espoir. Oeuvre de fiction certes mais extrêmement réaliste et efficace. L’Angleterre de la City, des mariages princiers et des milliardaires propriétaires de clubs sportifs semble à des années lumière. Dans "Harry Brown" nous avons l’impression de nous retrouver il y a trente dans la Grande-Bretagne en crise (les mineurs, les dockers) des années Thatcher.
Un cadre où Michael Caine fait preuve une fois de plus de ses dons exceptionnels de comédien. Il porte le film sur ses épaules et c’est lui qui insuffle de la vie à son personnage avec brio. Son implication est totale. Un coup de maître.
Difficile de soutenir la comparaison ?
Et pourtant Emily Mortimer, l’une des comédiennes britanniques les plus douées de sa génération, donne la réplique avec une très grande classe. C’est une actrice que j’admire depuis des années. Elle n’a pas une beauté qui va faire lever les foules (merci aux standards érigés par les magazines !!!) mais possède du charme à en revendre et une présence à l’écran d’une intensité phénoménale. Emily Mortimer appartient la catégorie de ces artistes qui remplissent l’espace qui leur est alloué le temps d’une séquence ou d’un film en entier. Son jeu est sûr et sans fausse note. Un vrai plaisir de cinéphile.
"Harry Brown" est l’une des très bonnes surprises de ce début d’année 2011. Un long métrage qui nous touche par la dureté de son propos et l’impression faite aux spectateurs.
A voir sans hésiter.