The Streets, un des fers de lance du renouveau du rap dans les années 2000, passe la main. Mike Skinner avait su proposer une approche humaine et inventive du hip-hop à l'heure où le gangsta-rap régnait en maître. Une contre-révolution menée depuis la Grande-Bretagne. The Streets vient ce mois-ci de sortir un cinquième et dernier album (Computers and Blues), suivi d'une mixtape (Cyberspace and Reds) et d'un ultime titre postérieur à cet interview donné au Guardian intitulé Close the Books. Rencontre avec un jeune père, qui tourne une page de sa vie.
Sur ton premier album, une chanson s’appelait Let’s Push Things Forward. As-tu l’impression d’avoir réussi ?
J’ai toujours essayé en tout cas. C’est même ce qui m’a toujours motivé avec ma musique. Mais l’important, ce n’est pas l’effort, mais le résultat. Et j’ai probablement réussi à faire avancer les choses d’une certaine manière au tout début de ma carrière. Ma musique a influencé le travail d’autres artistes. Mais depuis, ça n’a pas toujours aussi bien marché.
Tu as toujours fait l’effort de rendre compte de choses très contemporaines. Sur Computers and Blues, il y a ainsi une chanson sur Facebook...
C’est aussi pour cela que je compte arrêter. A un certain âge, on n’a plus très envie de faire avancer les choses et je ne veux pas qu’on dise de moi que je n’ai pas essayé.
Tu penses avoir atteint la limite de ce que tu peux proposer ?
Quasiment personne ne fait de musique vraiment novatrice passé trente ans. On essaie de faire un film en ce moment. Pour moi, c’est un rythme de travail qui correspond mieux à mon âge que les tournées.
Et le cinéma est une vraie continuation de votre écriture…
Chacune de mes chansons est comme un petit script. Ca me prend beaucoup de temps d’écrire un album pour The Streets. Les beats et la mélodie me viennent assez vite, mais après raconter l’histoire de la manière la plus parfaite possible demande beaucoup de travail. Enfin, la plupart du temps.
Avec beaucoup de réécritures ?
Enormement. Mais le résultat doit paraître naturel. Il ne faut pas que ça fasse trop écrit, que les gens se disent que j’y ai passé des heures. Il faut que l’écoute soit facile, comme si c’était vos propres pensées. J’ai essayé de me laisser aller à prendre en note un flux de conscience, mais le résultat était vite ennuyeux.
Vous aviez le titre de l’album, Computers and Blues dès le début ?
C’est la seule chose qui m’a vraiment guidé pendant toute la création du disque. Au départ, je souhaitais quelque chose de très futuriste et dansant. J’ai écrit beaucoup de chansons autour de robots, mais elles n’étaient pas assez humaines. Elles n’avaient aucun sens alors je les ai laissé de côté. Ensuite, j’ai développé tout notre rapport à la technologie. Les deux chansons dont je suis le plus fier sont sans doute OMG sur Facebook et Blip on a screen, l’histoire d’un père à une échographie. Les deux parlent au final de l’humain.
La technologie est aussi très présente dans la musique par le biais de l’électronique, d’effets sur les voix…
Je ne réfléchis pas trop à la musique. C’est assez automatique pour moi. J’essaie juste de garder ce qui pour moi sonne le mieux sans trop théoriser. Je pense qu’on trouve sur Computer and Blues, un peu tout ce que j’avais expérimenté sur mes albums précédents.
Le disque dresse un tableau assez large de l’expérience humaine, développant aussi bien une vision positive que négative de l’intégration de la technologie à nos vies…
On ne change pas génétiquement. Le futur de l’espèce humaine risque donc bien de ressembler à notre passé et à notre présent. On a toujours les mêmes forces et les mêmes faiblesses.
Et vous essayez toujours de garder une note d’humour...
Aujourd’hui, on manque un peu de confiance en nous pour aborder la vie et les choses de manière sérieuse. Si je me prends trop au sérieux, je sens qu’il y a quelque chose qui coince. L’ironie a quelque chose de très philosophique quand on y pense. On y arrive parce que c’est la posture qui nous semble la plus adaptée. Le bien et le mal sont de pures inventions. Scientifiquement, il est très facile de prouver que la moralité n’existe pas. Donc, il vaut mieux prendre le parti de rire des choses. La vie est si pleine de paradoxes.
Est-ce que vous lisez beaucoup pour composer vos albums ?
Je ne fais pas de recherches proprement dites, mais oui je suis toujours entrain de lire. Certaines de mes chansons sont directement inspirées de lectures. Mais au final, mon point de vue sur les choses ne change pas du tout au tout. C’est pourquoi les artistes risquent rapidement de devenir ennuyeux. Une fois que ce qui fait notre personnalité unique a été révélé, il devient très difficile de se renouveler en utilisant le même médium.
Vous pensez que c’était compliqué de survivre au succès de vos premiers albums ?
Au succès non, mais à leur nouveauté très certainement. Après j’ai su encore innover, mais les changements étaient moins forts. On attend des artistes qu’ils nous amènent à l’étape d’après. Pas qu’ils répétent ce qu’ils savent bien faire. Chaque album a été pour moi une réinvention. Peut-être moins pour l’auditeur.
Vous venez aussi de mettre en ligne une mixtape Cyberspace and reds. Quel rapport ont ces chansons avec l’album ?
J’ai fini l’album cet été et le label ne voulait pas le sortir pour Noël. J’ai donc profité du temps libre que j’avais pour continuer à écrire un peu. Surtout, ça faisant longtemps que j’avais envie de collaborer avec les MC britanniques qui remixent mes morceaux. Ce n’était pas quelque chose dans lequel je me suis très investi. C’était plus une manière de passer le temps. C’est très facile de composer rapidement comme ça, mais il n’y a pas l’effort que je mets habituellement dans mes disques. Les textes sonnent bien, mais n’ont pas beaucoup de sens. Par contre, il y avait beaucoup d’enthousiasme.
Les préoccupations se recoupent avec les textes de l’album. Il y est question de robots, de remise en cause de la vie privée…
Les deux ont été enregistrés l’uns après l’autre. Il est normal qu’il y ait quelques recoupements.
Vous avez aussi mis en ligne des vidéos humoristiques sur YouTube…
C’est un moyen de toucher les gens autrement que par la musique ou les interviews. C’était aussi un petit entraînement pour le film que l’on va tourner.
De quoi êtes-vous le plus fier après dix ans de carrière ?
Ce dont je suis le plus fier, c’est sans doute la chanson Never Went to Church, sur mon troisième album. Il y a cette qualité humaine, que je cherche en composant [le titre rend hommage à son père, récemment décédé]. La mélodie, trouver le bon son, c’est de la mécanique. Une grande chanson, il faut qu’elle touche à quelque chose de plus profond. Du moins, dans ma musique.
Une chanson comme ABC, c’est plus ludique…
Il faut varier les plaisirs, les tons. Faire des choses différentes. Il est dangereux de créer à partir d’une formule. Tous les artistes luttent pour ne pas se répéter. Moi, je compose plusieurs chansons, qui se ressemblent en peu. Après, reste à garder la meilleure. Puis j’essaie une autre direction. Et je refais la même chose. A chaque fois, il faut ensuite s’éloigner le plus possible de chaque formule pour créer quelque chose de surprenant.
Vous faites appel à beaucoup de chœurs et d’autres voix dans vos chansons…
Je le fais depuis le début pour rendre le résultat moins ennuyeux. Sinon, on entendrait que moi entrain de parler pendant quarante-cinq minutes. Mélodiquement, je tiens la route, mais je n’aime pas le timbre de ma voix.
Le début et à la fin de l’album ressemblent à un rêve…
Je n’ai pas fait de rapprochements intentionnels entre les deux, alors que ça m’est arrivé sur d’autres disques. Outside Inside n’avait pas été composée pour être spécifiquement en ouverture. C’est après que je me suis dit que ça collait là. Lock the locks, je savais sans doute en l’écrivant que ce serait la dernière chanson de l’album. Mais ce n’est pas la dernière que j’ai écrite. La vraie dernière, c’est celle qui conclut la mixtape. Là, c’était un peu triste.
Depuis peu, vous êtres père. Est-ce que ça a changé les choses ?
Un petit peu. J’ai plus de recul sur certaines choses qu’auparavant. Le plus important, c’est que son enfant vive. Mais je savais bien avant que j’arrêterai The Streets après cinq albums.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Là, on a la dernière tournée. Pour au moins un an et demi. Puis j’ai ce projet de films. Ca m’amènera vers 35 ans. Après, je me vois bien devenir un simple producteur. J’ai pas mal de demandes.
Comment se passera la tournée ?
Elle a débuté samedi dernier. On avait pas mal de pressions. Tout s’est bien passé. On voit la fin. On sait ce qu’il reste à faire. C’est assez agréable.
Vous vous imaginez écrire ?
J’aime écrire sur le blog, mais je n’ai pas la patience pour un roman. Par contre, je coécrit une autobiographie à l’aide d’un journaliste.
Que pensez-vous de l’émergence de la scène rap britannique ?
J’y ai certainement contribué à mes débuts, mais aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment d’en faire partie. A part Dizzee Rascal, qui a à peu près mon âge, ils sont plus jeunes maintenant. C’est comme ça que les choses doivent se passer. Une nouvelle génération prend le relais.
Recueilli par KidB