Samedi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, après vous avoir quelque peu expliqué la raison pour laquelle la recension la plus complète que nous possédions de l'Enseignement de Pathhotep portait symboliquement le nom de Papyrus Prisse ; après vous avoir donné quelques indications sur cet égyptologue français en définitive peu connu du grand public que fut Emile Prisse d'Avennes ; après avoir également attiré votre attention sur, hasards du calendrier, une grande exposition à deux facettes qui lui est indirectement dédiée et qui, pour les amateurs dont je suis, constituera certes un des événements majeurs du prochain printemps parisien, je voudrais lors de notre rendez-vous de ce matin, en ultime approche introductive avant de vous donner à lire des extraits de cet important ouvrage de philosophie égyptien dès la semaine prochaine, vous expliquer ce qu'est exactement ce fameux Papyrus Prisse.

Au XXème siècle, certains égyptologues ont avancé que notre Avesnois l'aurait exhumé de la sépulture d'un des rois Antef de la XIème dynastie, voire même de l'intérieur du cercueil d'Antef V exposé dans la vitrine 2 de la salle 13 (Crypte d'Osiris) du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, sous le numéro d'inventaire E 3019 ; d'autres, qu'il l'aurait.acheté à Thèbes, à un habitant de Gournah en 1845.
Des recherches essentiellement menées par l'égyptologue français Michel Dewachter qui, avec la minutie qu'on lui connaît, a patiemment démêlé l'écheveau de cette affaire, il ressort qu'il est maintenant aisé de réfuter les assertions des premiers savants qui se sont penchés sur ce papyrus hiératique : il est impossible qu'Emile Prisse d'Avennes l'ait acquis en 1845 dans la mesure où, après 17 années passées sur les rives du Nil, comme nous l'avons vu la semaine dernière, il rentre à Paris en mai 1844 avec l'imposant rouleau déjà en sa possession.
En fait, dans une lettre du 20 mars 1843 adressée d'Egypte à Jacques-Joseph Champollion-Figeac, le propre frère de Jean-François Champollion le Jeune décédé un an plus tôt, Prisse d'Avennes fait allusion, vraisemblablement pour la toute première fois au document en question, stipulant l'avoir acheté au Kaire (sic). Or, en 1843, l'emplacement des tombes des rois Antef n'avait pas encore été déterminé avec exactitude : il ne peut donc l'avoir sorti de l'une d'elles !
D'après certains papiers de correspondance, Michel Dewachter pense bien pouvoir affirmer, sans plus de précision, que l'achat du papyrus pourrait avoir été effectué au plus tôt en 1841, au plus tard en 1842.
Dans une lettre du 25 février 1858 adressée à l'égyptologue français François
Chabas (1817-1882), Prisse note que c'est un des fellahs qu'il avait rémunéré pour fouiller à Drah Aboul Neggah qui vint lui
proposer à l'achat, arguant avec force difficultés et embarras qu'il appartenait à une veuve qui, dans le besoin, désirait s'en départir.
L'Avesnois soupçonna, mais ne parvint jamais à le prouver, que l'indélicat l'avait soustrait au lot des objets trouvés lors des fouilles réalisées sous ses ordres, espérant ainsi en retirer un certain profit en le lui revendant. Ce document qui, selon les "règles" en vigueur à l'époque, aurait dû lui revenir de droit, Prisse fut certain de l'avoir de fait payé deux fois ! Après quelques tentatives de marchandage, il versa néanmoins 1000 piastres (250 anciens francs français, soit quelque 40 €.) pour l'acquérir.
Quoi qu'il peut en être de toutes ces pérégrinations, c'est incontestablement dans les derniers mois de l'année de son retour en France que l'égyptologue en fit don à la Bibliothèque royale. De sorte qu'avant le 31 décembre 1844, le papyrus fut, comme le souhaitait le généreux légateur, découpé en 12 sections de différentes longueurs correspondant aux divisions naturelles du texte que le conservateur adjoint au Musée Royal d'alors, un certain Dubois, colla sur un support de carton, - ce qui, par parenthèse, prouve qu'aucune inscription ne se trouvait en son verso !
Actuellement, chacune de ces divisions est encadrée sous verre.
La longueur totale de ce document parfaitement conservé atteint 7, 05 m ; sa largeur, quelque 15 cm.
Les mensurations des feuillets brun clair varient fortement entre elles : cela peut aller de 12 ou 14 cm à 37, 38, 39, voire 41 cm, en passant par des pages moyennes fluctuant entre 20 et 30 cm. Au départ, elles avaient été collées bout à bout par le fabricant antique en se chevauchant sur 1 cm environ et les raccords "écrasés" de telle façon qu'ils ne perturbent en rien le scribe qui y rédigea ses textes.
Textes, vous l'aurez remarqué, au pluriel. Le long document se divise en effet en trois parties bien distinctes : l'Enseignement de Ptahhotep bien sûr, qui termine le rouleau, précédé qu'il est à la fois par un espace à première vue non inscrit, d'un mètre trente-sept de long, et par un premier texte, l'Enseignement pour Kagemni, le tout indiscutablement rédigé par une même main.
A première vue, ai-je précisé car, à y regarder de très près, il subsiste quelques traces d'un texte - qui aurait donc été le deuxième - visible entre les deux Sagesses. Pour quelle(s) raison(s) le scribe décida-t-il de l'effacer ? Et comment s'y prit-il pour ne point abîmer la surface du papyrus ? Nul n'a toujours pu le déterminer ...
L'Enseignement pour Kagemni, je l'ai mentionné à l'instant, entame le manuscrit mais seulement sur un espace de deux feuilles : il s'agit en fait de la seule occurrence que nous ayons d'un ensemble de préceptes moraux qui, comme le titre qui lui fut attribué dans la littérature égyptologique l'indique clairement, est censé s'adresser à un vizir du nom de Kagemni ayant vécu à la fin de l'Ancien Empire, à la VIème dynastie.
J'insiste bien : censé s'adresser. Car en réalité, comme je vous l'ai expliqué
lors de mon intervention de samedi dernier à propos des Maximes faussement attribuées à Ptahhotep, le véritable auteur n'est ici pas plus nommé que là, et le vizir Kagemni qui en serait
le destinataire n'en est qu'une caution fictive (dixit l'égyptologue français Pascal Vernus) dans la mesure où le texte le fait vivre à l'époque de Snéfrou, soit à la
IVème dynastie !
Quant à celui qui suit la partie anépigraphe de ce support antique, l'Enseignement
de Ptahhotep donc, il est de coutume de le considérer comme un écrit se subdivisant en trois portions distinctes : un titre et un préambule, celui-ci précisant les raisons - que nous
savons maintenant inventées de toute pièce - pour lesquelles l'oeuvre aurait été rédigée ; le corps même des 37 maximes et, enfin, un long épilogue littéraire qui met en lumière le
bien-fondé d'être à l'écoute de l'Autre : ici, en l'occurrence, les bienfaits dont peut profiter un fils en étant attentif à l'énoncé des préceptes éthiques qu'énonce son père à l'heure de se
retirer de la vie professionnelle ...
Puis-je vous confier, amis lecteurs, qu'au terme de ces quatre articles introductifs qui vont tout naturellement, comme je vous l'ai promis, maintenant déboucher sur la découverte du texte lui-même - à tout le moins, certaines maximes de sa traduction française -, je n'ai qu'une envie, une impatience ? Celle, au printemps prochain, d'aller passer une petite semaine à Paris comme je le fais volontiers depuis plus de 20 ans, - officiellement pour me ressourcer au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre pendant que mon épouse et les Enfants dévalent les pentes enneigées des Arcs ; en réalité, pour compléter mes notes permettant d'affiner mes futurs articles et, aussi, pour y prendre bon nombre de clichés qui devraient les accompagner ou, espère très probablement une fidèle lectrice, la dégager des commandes dont souvent je la sollicite - mais surtout cette année, d'admirer de visu, à l'exposition de la BnF ce Papyrus Prisse et les Sagesses égyptiennes rédigées en cursive hiératique dont il est porteur ...
Mais avant Paris, retrouvons-nous, si cela vous agrée, samedi prochain 19 février pour entamer leur lecture ...
(Dewachter : 1985, 59-66 ; ID. 1988 :
209-10 ; Jéquier : 1911, 5-10 ; Vernus : 2001,
55-6)