Magazine Culture

Salomé et les six sens (Richard Strauss, “Salomé”, 1906)

Par Jazzthierry

Devant cet opéra de Richard Strauss crée en 1906, le spectateur se sent à la fois immédiatement emporter par une sorte de tempête musicale ininterrompue qui dure, puis enivré par la beauté des chants et la sensualité des corps. L’histoire est connue: nous sommes aux environs de 30 après J.-C., Hérode Antipas règne sur la Judée avec son épouse Herodiade. Il a un prisonnier qu’il redoute, enfermé dans les profondeurs d’une citerne: Jochanaan autrement dit Jean-Baptiste. Sa belle-fille, Salomé, fascinée par le prophète qui a l’impudence de repousser ses avances, exige à Hérode la tête de l’insolent sur un plateau d’argent. Celui-ci craignant la colère du Dieu des Juifs, finit tout de même par accepter car il avait promis à Salomé, qu’en échange d’une danse, elle pourrait lui demander n’importe quoi, y compris la moitié de son royaume. C’est justement le moment que j’ai choisi d’illustrer par un extrait-vidéo: la fameuse danse des 7 voiles. En principe, la soprano doit finir entièrement nue ! Pierre-Jean Rémy raconte d’ailleurs qu’initialement Salomé se dédoublait: une danseuse entrait en effet sur scène au moment du strip-tease, au grand désespoir des spectateurs qui rêvaient de voir le corps nu de la chanteuse ! Pour autant malgré les objurgations d’Hérode, la princesse une fois la danse achevée, refuse le pouvoir, la richesse et les pierres précieuses, préférant la tête tranchée de Jean-Baptiste, dont elle pourrait faire ce qu’elle désire (dans une scène de nécrophilie qui aujourd’hui encore horrifie le spectateur…).

beardsley_titre.1297441778.jpg
Strauss pour le livret, a choisi d’adapter et de traduire en Allemand, la pièce d’Oscar Wilde, que celui-ci avait d’ailleurs écrite en français. C’est justement au texte et non à la musique, que je voudrais faire un sort. J’ignore si les spécialistes l’ont remarqué, mais pour ma part, j’ai été frappé par la construction très originale du livret. En effet tout s’organise autour des cinq sens. Dès la première scène, on voit Narraboth, le capitaine syrien, subjugué par la grande beauté de Salomé (la vue). Le page lui répète à l’envi de ne pas la regarder, mais rien n’y fait, il ne peut s’y résoudre. Soudain en entend une voix profonde (l’ouïe) qui semble sortir d’une tombe. C’est la voix de celui qu’on ne peut voir, car il est enfermé dans une citerne; une voix de baryton, d’un courage inouïe car n’hésitant pas à fulminer contre les puissants sommés de se repentir. Salomé est sous le charme: elle exige malgré l’interdit d’Hérode, qu’on lui montre Jean-Baptise. Immédiatement séduite, elle veut toucher son corps, ses cheveux et baiser ses lèvres (le toucher). Mais le prophète refuse même de la regarder et finit par maudire cette fille de Babylone… Frustrée, Salomé s’isole. C’est alors qu’Hérode dont on connaît les penchants incestueux, s’approche d’elle, et lui propose de goûter son vin sur sa propre coupe (le goût et l’odorat). La peinture de Rubens que je publie également, décrit précisément cette atmosphère de déliquescence liée aux plaisirs de la chair, de la table, et des interdits absolus (puisqu’il est même question de nécrophagie dans le tableau…). Mais ni le vin ni les fruits du roi n’intéressent Salomé, s’imaginant en train de goûter les lèvres du prisonnier. A ces sens ordinaires, on pourrait en ajouter un dernier que l’on trouve justement chez Jean-Baptiste: le don qu’a le prophète, d’annoncer les tragédies à venir, le sixième sens…
_____________
Le Festin d’Hérode par Rubens.
ng-2193.1297446098.jpg


Retour à La Une de Logo Paperblog