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Solaire : cesser de tenter de faire passer le chameau par le trou de l'aiguille

Publié le 13 février 2011 par Arnaudgossement

Soleil.jpgL’avenir de l’énergie solaire en France se joue en ce moment. Le processus de concertation piloté par MM Charpin s’achève et le projet de texte qui doit être publié avant le 8 mars est d’ores et déjà en cours de rédaction. Le Gouvernement s’emploie pour l’instant à tenter de faire passer un chameau par le trou d’une aiguille. Le moment de changer de logique et de cesser de prendre le problème à l’envers.


Le propos des développements qui suivent n’est pas d’établir le contenu du cadre juridique idéal. Pour une bonne raison : ce cadre doit être défini de manière concertée, avec les organisations professionnelles représentatives, et non à l’initiative de tel ou tel expert qui proposerait une approche de la problématique. Je préfère identifier les questions peu ou pas traitées par le rapport de MM Charpin et Trink et dont le règlement constitue pourtant un préalable indispensable à toute réflexion sérieuse sur le solaire photovoltaïque. En résumé : ce qui me frappe en tant que juriste est l’absence de réflexion juridique dans le débat actuel.
Définir un nouvel objectif de développement.
Le rapport de MM Charpin et Trink, qui sera présenté à l’Assemblée nationale cette semaine prend le problème à l’envers : il tente d’organiser la coexistence d’acteurs nombreux et divers sur un marché très réduit : ce qui reste de l'objectif - réduit -de développement de 5400MW d'énergie solaire d'ici à 2020.

Si l’objectif de développement de l’énergie solaire reste fixé à 5400MW de puissance installée d’ici à 2020, le rapport Charpin Trink tente de contourner le problème en esquissant une usine à gaz juridique dont le mérite premier sera de multiplier les conflits. Plutôt que de se livrer à de telles contorsions réglementaires, il serait plus utile de ne pas brûler les étapes et de commencer par le commencement : quel est l’objectif de développement ? Cette décision appartient au Politique et, plus spécialement au Parlement. C’est en effet ce dernier qui a inscrit dans la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009 l’objectif d’une part de 23% d’énergies renouvelables dans notre consommation finale d’énergie, et ce de manière à permettre à la France d’honorer un engagement européen. A la suite de cette loi, l’erreur a été de ne pas permettre à nos parlementaires de débattre de la manière de décliner cet objectif, énergie par énergie. L’exercice a été réalisé par l’Administration puis ratifié par le Ministre de l’écologie, signataire d’un arrêté du 15 décembre 2009 de « programmation pluri anuelle des investissements ».
5400MW. Il conviendrait de revoir collégialement cet objectif pour, d’une part en faire un plancher et non plus un plafond, d’autre part le multiplier par 2 ou 3. Il faudrait pour ce faire, découpler, au moins pendant un temps, le débat sur l’objectif de celui sur la CSPE, inscrite sur la facture du consommateur d’électricité. Plutôt que d’avoir une vision strictement comptable de ce sujet, une approche réellement politique serait préférable : quelle place dans la course mondiale aux énergies renouvelables la France veut-elle prendre ? C’est à la représentation nationale d’en décider, pas à quelques technocrates d’inspiration nucléaire. Du choix d’objectif qui sera ainsi fait dépendra le dispositif juridique à mettre en place. Pas le contraire.
Imposer la transparence
Soyons clairs : il est absolument impossible de définir un cadre juridique clair, stable et durable sans avoir procédé à un diagnostic précis de la situation. La transparence s’impose donc. A défaut : aucun doute que les textes qui seront publiés avant le 8 mars prochain seront nécessairement jugés inacceptables. Or, cette transparence n’existe pas. Depuis plus d’un an, le Gouvernement ne cesse de malmener la filière solaire au nom d’une « bulle spéculative ». Or cette bulle ressemble à une arlésienne. Il serait temps que le Gouvernement accepte de faire la lumière sur le contenu exact de la « file d’attente » c'est-à-dire sur la nature et les caractéristiques du stock de dossiers en attente de raccordement et d’un contrat d’achat. Sans cette transparence, aucun dispositif juridique ne sera pleinement accepté et partagé.
Actionner les autres leviers de régulation
Ce qui frappe dans le débat actuel sur l’énergie solaire tient à ce que le Gouvernement et son administration focalisent sur la question des tarifs d’achats. Le débat est essentiellement organisé à partir de cette seule question. Pourtant, il y a un autre moyen de prendre le problème : actionner les autres leviers de régulation. A mon sens, une manière intelligente de réguler la production d’énergie renouvelable revient à s’intéresser non à ce qui sort du tuyau mais à ce qui y entre. S’intéresser à l’amont revient à étudier l’application des droits de l’urbanisme, de l’environnement et de la consommation. Voilà quels sont les vrais leviers de régulation. La définition et l’application de règles précises et stables en matière d’aménagement du territoire, d’identification des sites propices, d’insertion écologique et paysagère des installations de production d’énergie mais aussi pour assurer l’information et la garantie du consommateur – notamment - permettront d’éliminer les projets purement spéculatifs en posant des filtres à l’entrée de la file d’attente.
Eviter les usines à gaz juridiques
Le rapport Charpin et Trink se caractérise par sa complexité. Or, un dispositif juridique complexe est un dispositif qui ne fonctionne pas. L’énergie nucléaire a pour sa part bénéficié de 1963 à 2006 d’un dispositif juridique remarquablement claire et stable pour assurer son développement : les énergies renouvelables devraient bénéficier du même privilège. Pour ce faire, le recours systématique aux procédures d’appel d’offres, l’empilement des contraintes et le changement incessant des règles n’aideront pas rassurer les investisseurs et les consommateurs. Un exemple ? Prenons l’idée d’un quota de 500MW de projets autorisés chaque année. L’idée paraît simple, sa réalisation ne l’est pourtant pas. Quels seront les dossiers admis ou exclus de ce quota ? Qui aura le droit de sélectionner les dossiers dans ou hors quota ? Quel procédure permettra de s’assurer de la transparence de cette sélection et son équité ? Quelles seront les garanties apportées pour assurer le principe d’égalité des candidats ? Comment une petite entreprise pourra-t-elle engager un projet sans assurance que son dossier ne soit pas hors quota ? etc…etc… Le système du quota revient à traiter le problème à l’aval et non à l’amont. L’assurance que le mécanisme casse donc.
Préparer la sortie du moratoire
Le rapport de MM Charpin et Trink ne propose rien de bien concret s’agissant des conditions de sortie du moratoire. Et pour cause : le décret du 9 décembre 2010 organise déjà cette sortie du moratoire ! En effet, ce décret prévoit que les demandes de raccordement dont l’instruction a été suspendue seront en réalité mises à la corbeille de nouvelles demandes de raccordement devront donc être déposées mi mars. Déposées et instruites à l’aune de nouvelles dispositions relatives aux tarifs d’achats. Il n’est donc pas étonnant que le rapport de MM Charpin et Trink soit si discret sur ce sujet. Même l’expression « système de transition » ne convainc pas. En réalité, avant même que le processus de concertation ne commence, le Gouvernement avait déjà privé les acteurs de toute possibilité de négociation à cet endroit.
Réfléchir à l’après tarifs d’achats
Le dispositif du tarif d’achat est sans doute adapté pour lancer le développement d’une filière. Reste que ce dispositif est aujourd’hui fortement remis en cause, pour de bonnes et surtout de mauvaises raisons. Ce dispositif devrait sans doute progressivement à l’initiative du Gouvernement. On peut le déplorer mais l’essentiel est de l’anticiper. Il importe que, demain, les professionnels de la filière insistent et développent les autres arguments qui pourront déclencher l’acte d’achat de panneaux solaires, soit par des particuliers, soit par des professionnels. Le sens de l’histoire est celui des énergies renouvelables, pas celui des énergies nucléaire et fossiles toujours plus chères, plus rares et plus polluantes. Dans l’attente d’une disparition des tarifs d’achat, une régulation de la filière au moyen de plusieurs leviers, prévisible et progressive, serait la bienvenue.
Installer une nouvelle gouvernance de l’énergie.
LA question clé que pose la crise actuelle de l’énergie solaire est la suivante : est-il possible de développer les énergies renouvelables avec la même gouvernance que pour l’énergie nucléaire ? La réponse est non bien entendu. Mais on ne l’entend toujours pas dans la bouche du Gouvernement. Il serait temps, sur le modèle de la gouvernance à 5 de créer un organisme de gestion continue des renouvelables au sein duquel tous les acteurs concernés soient représentés : organismes professionnels, représentants de l’Etat, associations de défense des consommateurs, de l’environnement, élus locaux…. Au lendemain du Grenelle, la création d’une telle institution, démocratique et représentative est une urgence.

Cette nouvelle gouvernance devra être suivie d'une nouvelle organisation du secteur économique de l'énergie. De deux choses l'une : soit la France continue de respecter son modèle gaulliste de l'énergie fondé sur le monopole d'Etat et le recours au nucléaire et au pétrole, soit elle applique le modèle plus libéral de mise en concurrence d'entreprises privées, dans le respect d'un service universel de l'énergie. Cette réflexion, ni la droite ni la gauche n'osent l'affronter directement car le poids du passé est lourd. Espérons que le débat aura lieu au plus tard en 2012. 


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