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Le goût de l'invisible - Au-delà, de Clint Eastwood

Par Timotheegerardin
Le goût de l'invisible - Au-delà, de Clint Eastwood
Après un décevant Invictus, où l’on a vu le classicisme flirter avec un certain consensualisme mollasson, il est très agréable de voir Clint Eastwood renouer avec cette persévérante audace qui fait le charme de sa filmographie.
Dans les films catastrophe, le tsunami arrive en général à la fin, après le crescendo des signes annonciateurs. Dans Au-delà – comme dans la réalité – c’est l’inverse qui se produit. Tout commence par le tsunami, venu prendre les hommes dans leur vie quotidienne, un peu à la manière des habitants de Pompéi. Marie, la journaliste française jouée par Cécile de France, est elle-même emportée et voit littéralement la mort. De la silhouette de cette femme se débattant dans l’eau aux ombres dans la lumière qu’elle voit au moment de mourir, il y a comme une continuité esthétique qui déteint sur l’ensemble du film. Les héros de cet Au-delà seront des êtres frôlés par la mort et figés par elle dans un état spectral.
Mis à part les quelques intrusions du paranormal, sous forme de visions plutôt sobres, l’au-delà se déploie dans le film comme un impératif de mise en scène. Eastwood semble avoir fait ce constat de phénoménologue que la mort peut aider à éclairer la vie. L’imminence ou le souvenir d’événements tragiques est un excellent prétexte pour nous montrer d’un œil neuf les choses les plus simples : la solitude d’un homme, l’amour de deux jeunes garçons pour leur mère, le déclin d’une relation amoureuse....
Tout se passe comme si, dans Au-delà, la mort altérait le regard pour mieux révéler en retour. C’est paradoxalement en baissant la lumière qu’Eastwood parvient à mieux donner forme et relief aux visages. C’est en se masquant les yeux que le personnage de Matt Damon voit naître ses sentiments pour sa binôme de cours de cuisine. Cette scène très réussie où les deux personnages se font goûter des ingrédients à l’aveugle ressemble assez à la gageure du film – faire sentir dans la pénombre ce qui n’était pas visible en plein jour.
Mais c’est, particulièrement aujourd’hui, un miroir obscur que nous présente la mort. Il y a une dimension obsessionnelle dans ces portraits de personnages fascinés, presque aveuglés par la question de l’au-delà. Dieu est radicalement absent, il a cédé sa place à une assemblée de charlatans, qu’on voit se succéder, face au petit Marcus. Avec Internet pour répondre aux questions, s’impose aux vivants un écran de virtualité qui donne un aspect irréel, presque toc, à certaines scènes. Ainsi Cécile de France allant visiter dans son institution des Alpes un médecin spécialisé en expérience de mort imminente – les panoramas sur cette maison de repos semblent sortis d’une pub pour thalasso en Suisse. Dans leur manque de vraisemblance, les scènes se passant en France sont indéniablement les points faibles du film. Mais cette faiblesse même se marie plutôt bien à l’état second dans lequel la journaliste nage et se débat depuis le début du film.
La mort a dans Au-delà une ambivalence qui fait penser à la photographie du drapeau américain planté sur le mont Suribachi, dans Mémoire de nos pères. C’est à la fois une occasion de mettre en scène une humanité intemporelle, poignante ou héroïque, et d’en montrer le revers morbide, avec ces personnages qui vivent leur passé comme une maladie. Clint Eastwood a fait de cette présence de l’au-delà une lumière autant qu’une malédiction, avec un réalisme saisissant qui en dit finalement plus sur la vie que sur la mort.

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