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Annie Vigier/Franck Apertet, X-Event 0 : la confusion des sentiments

Publié le 24 janvier 2008 par Jérôme Delatour
X-Event-0.jpg Annie Vigier-Franck Apertet, X-Event 0 (cl. Jérôme Delatour/Images de danse)

Je dois dire que je le pressentais un peu.

X-Event 0, créé ce soir même à Micadanses dans le cadre du festival Faits d'hiver, est la dernière pièce d'une longue série commencée en 2005, au même festival, avec X-Event 1. 0, ce chiffre évoque un commencement ou rien ; mais comme tout avait commencé avec 1, et qu'ici on se situait à la fin de la série, on était plutôt du côté du rien.

Tout a pourtant commencé comme d'habitude, l'attente avant le début du spectacle. Sauf que, ce soir, le spectacle a du retard. Beaucoup de retard. Et qu'est-ce qu'il y a comme gens. Beaucoup de gens. Beaucoup trop pour un spectacle à Micadanses... Tout ce monde ne pourra jamais rentrer. Et dans quelle salle a lieu le spectacle, au fait ? Une porte s'entrouvre, aussitôt on tend l'oeil et l'oreille, des bruits circulent. Toujours rien. Aucun message d'excuse. Ils sont gonflés à Faits d'hiver ! On lit le programme. Il n'aide pas :
"La création de X-Event 0 dans le cadre de Faits d'hiver correspond à l'exécution d'un trajet perçu comme un cycle mais répond aussi à une des positions qu'organise le projet X-Event, celle de produire un commentaire depuis l'une des postures traversées, spectacle vivant-arts plastiques-spectacle vivant..."

Mince ! Ca n'a ni queue ni tête !

Enfin, une petite heure plus tard, la salle s'ouvre. Après un moment d'hésitation, tout le monde s'engoufre et là, stupeur : il semble qu'il n'y ait rien. Pas de danseur, pas d'éclairages, pas de musique, rien. Au bout de quelques minutes, tout le monde l'a compris. C'est ça, le concept ! Il n'y a pas de spectacle ! Rien ! On nous refait le coup de Cage !
Quoique.
Et puis, après tout, il y a aussi beaucoup de spectacles avec muscles, sueur, costumes, spectateurs et capitaux, qui ne sont rien.

Et l'on ne peut s'empêcher d'être troublé. Car qui sait s'il n'y aura pas quelque chose dans cinq minutes ? Mais jusqu'à quand attendre ?

Les langues, qui s'étaient déjà un peu déliées dans le hall, se libèrent tout à fait maintenant. Part-part pas ? Il y en a même qui paraissent trop extravertis pour être vrais. En voilà un qui s'élance au centre de la salle pieds nus et mime quelques mouvements. Bizarre ! Et cet autre qui jette trois galettes de siège rouges au même endroit. Pas gêné ! D'ailleurs, à bien y réfléchir, c'est étrange comme, tout à l'heure, dans le hall, certains s'ingéniaient à créer des mouvements de foule. Et comment se fait-il, aussi, que des gens continuent d'arriver à toute heure, alors que tout le monde avait rendez-vous à 20.30 ? Tiens, j'y repense, et celui-là qui avait une tête bizarre, qui m'a demandé mon avis sur la pièce sans me connaître ni d'Eve ni d'Adam... Les gens ne sont pas si curieux, d'habitude. Cette fois c'est entendu : il y a des traîtres parmi nous ! D'ailleurs, les spectateurs qui s'étaient informés avant de venir savaient que les chorégraphes, Anne Vigier et Franck Apertet, avaient passé des petites annonces pour recruter des "danseurs et non danseurs". Tiens, en voilà le texte, tel que paru sur  Théâtre contemporain.net le 13 décembre 2007:

"Annie Vigier et Franck Apertet (Les Gens d’Uterpan) recherchent des figurants bénévoles (danseurs et non danseurs) pour participer à une expérience/performance unique : X-Event 0. Qu’est-ce que X-Event 0 ?
X-Event 0 est une performance présentée le 24 janvier 2008 dans le cadre du festival Faits d’hiver (Micadanses Paris). Elle sera la dernière née d’une série de performances dansées intitulée X-Event 2. Les sept performances X-Event 2 sont actuellement présentées à la Biennale d’art contemporain de Lyon sur une durée de quatre mois.
Participer à X-Event 0 c’est :
- Découvrir un projet expérimental à la frontière de la danse et des arts plastiques.
- Explorer un univers chorégraphique singulier inscrit dans le paysage de la scène contemporaine.
- C’est rencontrer d’autres personnes comme vous, des figurants d’horizons divers parachutés dans un projet hors norme.
Contactez-nous au 01 40 18 41 46/06 70 31 22 24 ou par mail [email protected]
Les Gens d’Uterpan, 52 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris [email protected] / [email protected] - www.lesgensduterpan.com"

Des figurants ! Voilà ce que les chorégraphes ont recruté. D'ailleurs, Rosita Boisseau a déjà à moitié vendu la mèche sur Le Monde hier. Seulement, nous voilà bien avancés : qui est spectateur piégé comme moi, et qui joue la comédie ? Le dispositif engendre la suspicion. Si ça se trouve, cette personne qui engage si facilement la conversation est dans le coup et se paie ma tête. A cet instant, certains s'en vont furieux (pas trop) et entendent se faire rembourser - A moins qu'ils ne soient eux aussi des figurants ? Pour ce qui me concerne, pas de problème, je suis un vrai spectateur, je peux le prouver ! - Ah non, à la réflexion, ça m'est impossible. D'ailleurs, comme j'ai décidé de rester, et que je parle avec des gens dont je ne sais pas s'ils sont des spectateurs ou des figurants, et que je ne veux pas qu'on se paye ma tête, je rentre dans le jeu et je joue la comédie. De spectateur passif, je deviens acteur du spectacle. Et pendant que j'y suis, spectateurs ou figurants, ou je laisse mes coordonnées à tout le monde à l'entrée de Micadanses : si vous voulez laisser des commentaires sur le spectacle, allez-y, c'est ici ! Pour une fois que le public est ouvert et cause volontiers, je fais ma publicité sans vergogne. Auprès, peut-être, de faux spectateurs... mais après tout qu'importe, auprès de vrais gens de toute façon, et de gens qui s'intéressent à la danse contemporaine. Quelle différence, de ce point de vue, entre les performers et le public ?

On regrette que le spectacle ne soit pas encore donné demain. Une deuxième représentation serait possible. Elle serait même plus singulière et plus complexe que la première. Un certain nombre de spectateurs de la deuxième représentation, avertis par mon article ou par le bouche à oreille, auraient été mis au parfum. Certains trouvant la plaisanterie pas drôle ou jugeant l'effet de surprise rompu, auraient sans doute décidé de demander purement et simplement le remboursement de leur billet. Mais d'autres seraient venus quand même, en parfaite connaissance de cause : ils seraient devenus de réels spectateurs du spectacle, et auraient observé les spectateurs piégés comme des comédiens malgré eux. Par fraternité humaine, certains auraient vendu la mèche aux spectateurs innocents, amenuisant l'effet d'incertitude. Mais d'autres auraient choisi de ne rien dire, se rangeant tacitement du côté des chorégraphes.

X-Event-0.1.jpg
Il y a deux manières d'apprécier X-Event 0 : les grincheux et les impatients s'estimeront floués, crieront à l'escroquerie ou à la paresse ; les autres apprécieront cette mise en situation troublante et, en ce sens, incontestablement spectaculaire, qui les amène à s'interroger sur leur rôle de spectateur et sur les techniques de manipulation des foules, et par conséquent du public en général. - Curieusement, la petite table ronde organisée par le festival juste avant X-Event 0 abordait ce thème... Quelle coïncidence !

X-Event 0, d'Annie Vigier et de Franck Apertet, a été créé le 24 janvier 2008 à Micadanses dans le cadre du festival Faits d'hiver.

Retrouvez ici X-Event 0 en images.

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