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Un homme ne doit pas mourir pour si peu

Par Benard

depassouline

   Un homme vêtu d’un survêtement et d’un tee-shirt jaune et noir entre dans un supermarché. La soif le prend en passant devant le rayon des liquides. Il prend une canette de bière, l’ouvre et la boit. Deux vigiles l’entourent aussitôt. A croire qu’il a dégoupillé une grenade. Le bruit n’est pourtant pas le même, l’effet de souffle non plus. Ils sont bientôt quatre. S’en saisissent sans ménagement et l’emmènent dans un local de sécurité. Ils lui fichent des claques, le traitent de pédé, le houspillent, le cognent. Ils sont assez pervers pour jouir de sa souffrance. Se font plaisir, voilà tout.Ils s’excitent« à cause du droit qu’ils se donnent et de la force qu’ils y trouvent ».Il se débat, se récrie, les engueule, tente de se protéger. Ils le plaquent contre un mur puis sur une table. Le voilà à terre. Les vigiles cognent de plus belle, au ventre, au visage, partout. Il râle et meurt. Six minutes s’écoulent avant qu’ils relâchent leur pression.

Ils diront que son cœur a lâché inopportunément. Ils diront aussi qu’il les avait insultés, qu’il refusait d’obtempérer et qu’il brandissait un couteau. On n’a retrouvé ni les insultes, ni le refus, ni le couteau. L’enregistrement de la vidéosurveillance en témoigne. Le rapport d’autopsie précise : « Asphyxie mécanique par compression de la cage thoracique et une obstruction des voies respiratoires supérieures ».Ce serait obscène de se demander s’il avait voulu voler la bière en la buvant ou s’il était pressé de la boire avant de la payer car même pour le vol d’une canette on ne doit pas mourir, en principe.

 

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   La scène se passe de nos jours en France dansCe que j’appelle l’oubli(62 pages, 7 euros, Editions de Minuit), un récit de Laurent Mauvignier, aussi sec que son précédent livre,Des Hommes(en poche chez Double), roman sur la guerre d’Algérie, ne l’était pas ; dans celui-ci déjà, il avait suffi de presque rien, un cadeau dans une poche un jour d’anniversaire en hiver, pour que resurgisse un passé inquiétant. Celui-là est fait d’une phrase sans la moindre respiration. Une seule de soixante-deux pages. Comme pour provoquer notre propre suffocation. Ce n’est pas une prouesse : Mathias Enard a écritZoned’un trait de 520 pages. La prouesse est ailleurs. Il faut un peu plus que du talent pour nous attraper, nous serrer et nous relâcher d’un coup au dernier mot.

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