Une chronique de Vance
Si Dead Zone était mon premier souvenir d’un film de Cronenberg, celui-ci est le premier Cronenberg « classique » que je n’avais pas visionné, malgré de chaudes recommandations des fans.
Film n°8 : Faux-Semblants
Titre original : Dead Ringers (1988) avec Jeremy Irons & Geneviève Bujold, adapté du roman Twins de Wood & Geasland
DVD zone 2, TF1 Vidéo (2000)
1.85 : 1 – 16/9
VOST 2.0 ; 110 min
Un support plus que correct, avec des images satisfaisantes et une piste son aux dialogues parfaitement intelligible, sachant mettre en valeur la partition de l’inamovible Howard Shore. A noter que les sous-titres, bien que lisibles, souffrent d’une approximation dans la traduction (heureusement, Irons et Bujold sont des comédiens au phrasé particulier qui rend leur anglais parfaitement compréhensible, même aux réfractaires à la langue de Shakespeare).
Résumé : Beverly & Elliott Mantle sont deux vrais jumeaux que leur intelligence et leur passion ont poussé à fonder un institut de gynécologie réputé. Physiquement identiques, ils n’ont pourtant pas la même psychologie : l’un est taciturne, timide et maladroit en public, et préfère se consacrer à la recherche (sur les brevets desquels repose la firme) ; l’autre est l’opposé, hâbleur, charmeur et brillant en société : c’est lui qui est en quelque sorte le VRP de la Clinique Mantle. Ils partagent le même appartement, et, parfois, les mêmes femmes, l’un les séduisant pour l’autre. Jusqu’à ce qu’une actrice, venue consulter pour un problème de fertilité, vienne perturber le fragile équilibre entre les deux frères…
Ah.
Oui, la déception est de mise, et d’autant plus forte que, jusqu’à présent, et malgré l’inévitable approximation des premiers longs-métrage, la filmographie de Cronenberg ne m’avait pas semblée ratée, bien au contraire, ni même entachée d’une œuvre médiocre, ratée ou simplement ennuyeuse. Le Défi, en effet, pris dans sa continuité chronologique, me permet à présent de me rendre compte de la persistance des thématiques chères au metteur en scène canadien et de l’évolution de ses prises de position vis-à-vis d’elles. Et, s’il demeure incontestablement dans la même optique avec ce script, le résultat à l’écran est beaucoup moins enthousiasmant que ses deux grandes réussites jusque lors (la Mouche et surtout Videodrome) ou même que Dead Zone ou Scanners, pourtant moins ambitieux dans leur démarche.
Le film n’est pourtant guère plus long que les autres, même s’il est doté de la durée la plus conséquente (on approche les deux heures, ce qui est rare chez Cronenberg). Certes, il n’est pas entièrement issu de l’imagination enfiévrée du cinéaste (qui avait écrit tous ses films jusqu’à Dead Zone), mais il en est l’auteur de l’adaptation, à partir d’un livre que je ne connais pas du tout ; après tout, la Mouche était le remake d’un vieux film, et on en a vu le résultat jubilatoire.
Dans son casting, Cronenberg a procédé de la même manière : un acteur charismatique, capable de porter le script sur ses épaules. Sur le papier, nul doute que Jeremy Irons avait l’étoffe pour succéder aux formidables James Woods, Jeff Goldblum et Chris Walken. On lui demandait en outre de jouer deux rôles antinomiques, une forme de challenge aussi risqué que séduisant.
Pourtant, la sauce ne prend pas. Ca commence cependant très fort, avec une jolie ouverture sur le passé de nos protagonistes, encore enfants, que la caméra va suivre sur un trottoir tandis qu’ils évoquent, froidement (trop pour d’aussi jeunes cerveaux) l’acte sexuel, juste avant qu’ils aillent proposer à une camarade de passer à la casserole « juste à des fins scientifiques ». La suite les voit s’amuser à une variante de Docteur Maboul avant qu’ils ne décrochent la reconnaissance de leurs pairs pour l’invention d’un instrument d’obstétrique.
Mais voilà : l’opposition des caractères entre un Bev’ névrosé et un Elly extraverti ne passionne pas et plombe le film dans des propos parfois agréablement mélancoliques, mais souvent maladivement geignards. On s’empêtre dans le malaise existentiel de l’un et les ambitions inavouées de l’autre et on se doute déjà de la fin avant même que l’élément perturbateur survienne. Beverly accueille une patiente à qui il avoue son admiration pour sa difformité mutante (un utérus triffide…) qui entraîne son infertilité, mais c’est Elliott qui sort et couche avec elle (lui n’est sensible qu’à l’aura de popularité émanant de la comédienne), avant de la refiler à son frère, estimant qu’elle est parfaite pour lui – ne serait-ce que pour « l’hygiène sexuelle ». Problème : Beverly s’éprend d’elle, et leur relation va inévitablement entraîner un souci majeur, car Beverly vit avec/chez son frère, un frère que l’actrice ne connaît pas (encore). Quand elle découvrira le pot aux roses, elle créera le scandale qui engendrera la rupture dans la psyché du plus fragile des deux. Se gavant de drogues pour tenir le rythme au travail tandis que le jumeau hérite d’une chaire à l’université, il s’enferme dans un délire paranoïde qui va le conduire à des actes aberrants (il ira jusqu’à concevoir et faire réaliser par un artiste des outils de torture dignes des procès en sorcellerie de l’Inquisition). Elliott comprend alors qu’il lui faudra aider son baby brother (ils n’ont que deux secondes d’écart) sous peine de succomber également ; toutefois, en l’aidant, il accepte aussi de partager sa douleur et sa dépendance aux substances qui le rongent. L’un deviendra incapable d’exercer tandis que l’autre tentera de sauver ce qui peut l’être encore dans une entreprise minée par les rumeurs. Une spirale qui les conduira tous deux au drame attendu.
Le film, malgré une ambiance glauque et morbide permanente (la joie, l’allégresse semblent totalement absentes du métrage), évite pourtant les scènes gore, malgré un sujet qui s’y prête aisément – seule une séquence de cauchemar particulièrement malsaine nous montre la compagne de Bev’ dévorer le cordon reliant les deux frères. De même, si le sexe est très présent dans les discussions du début, il ne transparaît que très peu à l’écran. Certes, la suggestion est une meilleure garante de la réussite d’un bon thriller psychologique que la monstration et l’évidence, mais ici, l’omniprésence de Jeremy Irons (pourtant très convaincant) cadré serré, sans relâche, finit par lasser et le finale, malgré une sobriété bienvenue, n’apporte pas le soulagement ou l’apothéose attendus.
J’avoue également avoir été gêné par le choix de l’orchestration pour les thèmes musicaux, plus proche d’un film romantique (avec ses lignes de violons en harmonie) que d’un Cronenberg : hors contexte, c’est joli, mais le contrepoint blesse plus qu’il ne révèle. En outre, j’ai toujours eu du mal avec Geneviève Bujold dont l’artificialité du jeu, qui convient assez bien ici, m’horripile souvent.
Une déception donc, mais un film qui reste logique dans la filmographie de David Cronenberg. Que ses afficionados (ils sont nombreux, je le sais) viennent commenter cette chronique en disant leur amour ou leur admiration pour cette œuvre qui s’est refusée à moi.
Ma note : 2,8/5
> A lire également : la chronique parallèle de Cachou.