Magazine Asie

Barista

Par Wax
Je voulais saisir l'occasion du concours Livraddict mais je n'avais pas envoyé mon texte au final - trop de signes - cependant j'étais déjà contente d'avoir écrit en respectant les délais. Monter une intrigue policière, essayer de garder le suspense jusqu'à la fin, c'était un essai sympa.
Il y a encore sûrement des fautes cachées ici et là mais bon, je me suis rendue à quel point, la relecture était difficile ! Pour le fun, j'ai décidé de le poster sur le blog. Maintenant je ne pense pas que je me lancerais à écrire une nouvelle pour tout un tas de raison - déjà que je me demande même si je vais garder le goût de l'écriture ^^' - , mais ce fut un défi personnel très amusant :).
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Vendredi soir. Ses doigts pianotaient sur le comptoir alors qu'elle fixait d'un air pensif la salle. La plupart des fauteuils était inoccupée. Quelques irréductibles attendaient l'heure de la fermeture. Il s'agissait des gens du coin, les touristes avaient commencé à fuir Rostock. Deux regards observaient la pluie s'abattre sur les vitres. La chaleur feutrée et le confort du Pavillon Blanc n'incitaient en rien à braver un début de soirée humide. Les yeux noisettes glissèrent sur l'entrée. Personne. Et surtout pas sa silhouette. De la propriétaire aux autres employés, tout le monde avait remarqué son absence inattendue. Leslawa, la capitaine du café, avait tenté de le joindre plusieurs fois sans succès. Ils avaient tous conclu à un cas de force majeure comme ceux que la Vie savait si bien placer. Demain serait un autre jour. Devyn se redressa au moment où Ute s'approcha, un plateau dans les mains. En voyant la jeune femme, son premier jour lui revint en mémoire. Au café, tous avaient cru qu'un nouveau allait rejoindre leur rang. Ils avaient réalisé leur erreur quand la métisse était arrivée. Habituée, Devyn ne s'était pas formalisée mais Kjell n'avait cessé de la taquiner sur l'ambiguïté de son prénom. Où était-il maintenant ? Que s'était-il passé de si important pour que son ''professeur'' n'appelle pas ?
 Un claquement sec à côté de son oreille droite l'arracha à ses interrogations. — Je sais à quoi tu penses mais ce serait sympa que tu m'aides à ranger...La voix de Tom, un géant blond mal rasé, reflétait sa lassitude. La journée n'avait pas été particulièrement passionnante et comme les autres, il souhaitait rentrer chez lui au plus vite. Quittant sa place stratégique, Devyn suivit le jeune homme. Ute se joignit à eux alors que la patronne incitait gentiment les clients à quitter le navire. Bientôt le bruit des chaises mises sur les tables fut accompagné des grognements du blond.— Kjell ne vient pas, Markus nous laisse en plan... C'était vraiment une sale journée... — Tu dis ça parce que tu t'es retrouvé le seul homme exploité aujourd'hui, souffla la serveuseUn haussement d'épaules lui répondit. Les femmes échangèrent un sourire amusé. Leslawa s'approcha d'une radio, en tourna le bouton. La voix d'une chanteuse s'éleva. Lascive sur fond de jazz. Les effluves de café reprenaient leur droit faisant disparaître les parfums des clients. Au moment où un sifflotement accompagnait la contrebasse, quelqu'un entra, annoncé par le tintement de la clochette. Imperméable trempé, air fatigué, il jeta un coup d'oeil à la salle. Un autre homme apparut à sa suite, saluant poliment le personnel du Pavillon Blanc. Le premier arrivé avança rapidement vers la propriétaire des lieux, facilement identifiable par sa tenue. — Commissaire Krüger, l'homme ne lui laissa pas le temps de répondre et brandit son insigne de police, je viens vous poser des questions au sujet de Kjell Jokinen.Les sourcils de la femme se froncèrent. De l'incompréhension passa dans les prunelles des employés. Qu'est-ce qu'il avait bien pu faire pour que la police se déplace jusqu'ici ? Markus était davantage celui qui posait des problèmes même s'il s'était rangé. Devyn regarda le commissaire mais son assistant se planta devant leur trio, un sourire affable aux lèvres. — Que se passe-t-il ? Cette question était dans tous les esprits. Leslawa éteignit la radio réduisant au silence un solo de trompette. Dehors, le vent se levait. La mer devait être déchainée. Les vagues s'écrasaient probablement sur la plage avec les étoiles comme témoins. — Kjell Jokinen a été retrouvé mort ce matin. Suicide ou meurtre, on enquête là-dessus... Les visages se figèrent. Emportée par un rire nerveux, Ute leur demanda s'ils plaisantaient. Les prunelles glacées du commissaire lui répondirent. La pluie redoubla d'intensité. Devyn fixa le comptoir. L'image de Kjell en train de préparer un expresso se dessinait dans son esprit. Un souvenir qui lui paraissait d'un coup bien loin...
Roulant dans son lit, Devyn songea à la soirée d'hier. Il s'agissait d'un cauchemar, c'était la seule explication possible. Ses paupières se fermèrent. Comme ils étaient arrivés tard, les policiers leur avaient expliqué la situation avant de leur dire qu'ils repasseraient le lendemain pour les interroger. Markus serait sûrement là. Ouvrant les yeux, elle se tourna pour attraper son portable mais s'arrêta dans son geste. Non, elle appellerait son compagnon une fois l'affaire terminée. Sur cette décision, la jeune femme se leva. Même si sa location se trouvait à Warnemünde, tout comme le café, il fallait qu'elle se dépêche. Au Pavillon blanc, les réjouissances avaient déjà commencé. Leslawa avait choisi tout de même d'accueillir les clients. Son bureau était réquisitionné. Elle avait besoin de s'occuper. Certains clients avaient déjà eu l'occasion de lire la nouvelle dans le journal local. Une silhouette observait le mouvement à l'intérieur du Pavillon blanc. Un instant, elle parut hésiter mais fila lorsque Devyn arriva en courant. La jeune femme plissa les yeux mais ne s'attarda pas, Tom l'appelait. L'annonce de la mort de Kjell allait probablement attirer tout un tas de curieux. Ute était interrogée. Les commandes tombaient. Les clients attendaient. La vie continuait, pourtant la jeune femme avait la tête ailleurs. Avec la découverte du corps de l'ancien barista dans un strandkorb sur la plage sur toutes les lèvres, il était bien difficile de rester concentrée. Ses oreilles trainaient et l'envie de savoir grandissait même si elle se disait qu'il fallait laisser la police faire son travail. De brèves salutations échangées, Devyn s'installa en face de l'inspecteur. Ce dernier entra rapidement dans le vif du sujet.— Monsieur Jokinen était-il dans son état normal lorsque vous l'avez vu pour la dernière fois ?— Oui.. Il était juste un peu fatigué à cause de la journée mais de bonne humeur, répondit-elle — J'ai remarqué que vous ne travailliez pas ici depuis longtemps. Peut-être pourriez-vous me donner plus librement votre impression sur le personnel...La métisse hésita. La question était délicate et elle ne se sentait pas à même de juger des personnes qu'elle connaissait à peine. Cependant sous le regard insistant de l'homme, Devyn finit par répondre.— Kjell était très estimé et il réglait tout le temps les conflits entre Markus et Tom. Leslawa lui faisait entièrement confiance. Je pense qu'il plaisait bien à Ute... Après... Tout le monde s'entend plutôt bien...Son interlocuteur la fixa, un sourcil arqué. Plutôt bien ? Devyn réalisa que sa réponse était assez vague mais il lui paraissait impossible que quelqu'un du Pavillon Blanc veuille tuer Kjell. En plus leur dernière soirée, tous ensemble, s'était bien passée. Ils avaient plaisanté et dessiné sur les expresso après l'heure de la fermeture. Son 'professeur' et elle avaient été les derniers à partir du café. La voix de l'homme l'arracha à ses souvenirs alors qu'une photo était brandie sous son nez.— Avez-vous déjà vu cette femme ici ? Ses yeux s'écarquillèrent. Que venait-elle faire dans cette histoire ? Cette femme... C'était celle qui se trouvait devant le café ce matin. Le commissaire plissa les yeux sous la réaction de Devyn. Elle lui expliqua juste l'avoir aperçue en arrivant et un silence songeur s'installa. La future épouse du barista, Heike Schuster, n'avait jamais mis les pieds au Pavillon Blanc jusqu'à ce jour. Kjell mourrait et là voilà qui apparaissait. Si personne ne savait quoi penser, les employés avouèrent ne rien connaître de la vie privée de leur collègue. Il restait très discret dessus. Méfiance ? Protection ? Devyn n'aurait su dire. Elle avait juste remarqué qu'il ne parlait pas des mêmes choses aux mêmes personnes. L'équipe de police s'en alla après une dernière salve de questions laissant derrière elle, une foule d'interrogations. — Tu crois que c'est elle ? La jeune femme sursauta au chuchotement de sa collègue. Ute était vraiment très intéressée par cette affaire. N'avait-elle pas cherché à gagner l'attention du brun ? Avec interrogation, la métisse fixa la serveuse avant de bredouiller, prise au dépourvue.— J'en sais rien... Je suis pas dans la police... — Si, c'est elle, ils feront leur boulot, lança Tom— Oui, faut bien qu'ils nous montrent qu'ils sont capable de le faire hein... souffla Markus.Les deux hommes échangèrent un regard, exceptionnellement, complice avant de se concentrer à nouveau sur leur tâche. Leur patronne ne disait rien. Vêtue entièrement de noir, elle paraissait perdue dans ses souvenirs. Quittant sa place, elle alluma la radio. Le reste de la journée se déroula dans le calme. Devyn avait cessé d'observer les autres employés. Que savaient-ils de Kjell ? Que ressentaient-ils ? Etaient-ils innocents ? Coupables ? Elle avait décidé de repousser ses pensées mais à la fermeture du Pavillon Blanc, elles ressurgirent. Soupirant, elle rejoignit le vestiaire des employés. Il n'y avait plus que Markus et elle dans la pièce, Leslawa se trouvait dans son bureau. Quant à Tom et Ute, ils étaient déjà partis.— Hey, Markus, tu peux me dire où se trouve la plage où le corps de Kjell a été... retrouvé...Elle sentit une pointe d'incompréhension puis de tristesse dans son regard mais ne dit rien. Presque suppliante, la jeune femme le fixa. Les yeux de l'homme se baissèrent. — C'est pas un endroit pour une fille, tu sais... Je veux dire, tu n'as pas peut-être pas besoin d'aller jusque-là...Toutefois, Markus finit par lui expliquer la route. À la fin, il lui proposa même de l'accompagner mais Devyn déclina poliment. Elle souhaitait y aller seule. Passant son manteau, elle jeta un coup d'oeil dehors puis prit son sac.
À 22 heures, l'animation des rues rassurait la jeune femme. Au fur et à mesure, qu'elle approchait de la plage, l'angoisse l'étreignait. Ses yeux lançaient des regards furtifs à droite et à gauche comme si l'assassin s'apprêtait à la rejoindre. Comme si la personne risquait de revenir une seconde fois sur le lieu de son crime. Elle soupira en se hâtant. Pas la peine de trainer dans les parages tout de même. Les grains de sable roulèrent sous ses chaussures alors qu'elle se dirigeait vers les strandkorbe. Ils n'avaient pas été rangés sur demande de la police. Les vagues léchaient le bout de la plage. La lune éclairait la scène. Presque maladroitement, elle marcha jusqu'à celui entouré de bandes jaunes de la police. Un périmètre avait été délimité. Interdiction de le franchir. Arrivée à sa hauteur, elle détailla la scène. Du sang avait tâché le tissu. Des traces de pas montraient de nombreuses allées et venues. À l'affût du moindre détail, l'apprentie barista sursauta en entendant une voix.— Un brave gars, il méritait pas de mourir.Elle se tourna le coeur cognant contre sa poitrine. Un homme se tenait à côté d'elle, une bouteille à la main. Sa tête bougeait lentement de droite à gauche, dans un mélange de désolation et tristesse. Devyn hésita mais l'inconnu la devança.— Il venait tous les jeudi soir ici. Il restait une heure pas plus à fixer la mer puis repartait. Me demandez pas pourquoi je l'ai dit à la police, j'en sais rien.Un soupir ponctua sa phrase. La jeune femme détailla l'homme. Elle se mordit les lèvres. Ce n'était pas son boulot mais tant pis. — Toujours seul ? Elle ajouta rapidement pensant ne pas être claire. Il venait toujours seul ? Son interlocuteur redressa la tête. Son bras se leva et il se gratta le front en réfléchissant. Ses souvenirs remontaient déjà à quelques jours. — Oui... Sauf la dernière fois.... Ils étaient deux, il me semble... J'ai pas entendu le bruit de sa moto. Mais vous savez, j'avais un petit coup dans le nez alors... Sa voix se perdit dans le flot des vagues. Une parole d'ivrogne n'était pas forcément fiable. Toutefois Devyn songea que la personne devait savoir que Kjell venait régulièrement ici. Elle lui avait peut-être même proposé de l'accompagner. Remerciant l'homme, elle quitta l'endroit sans savoir quoi penser. Que s'était-il passé ce fameux soir ? Il y avait une petite incartade au Pavillon blanc et les garçons étaient partis tous les trois en même temps, Kjell menaçant les plus jeunes. Avec Ute, elles avaient entendu sa moto. L'avait-on suivi alors ? La jeune femme songea qu'elle devait mettre la main sur son emploi du temps. Il devait bien y avoir quelque chose qui permette de savoir ce qu'il avait fait ce fameux jeudi soir et d'un pas décidé, elle retourna au café. L'idée de rentrer par effraction sur son lieu de travail n'avait rien de très glorieux mais elle se voyait mal faire ce qu'elle voulait avec les autres autour d'elle. Les lumières du café étaient éteintes. Devyn inspira un grand coup. Elle savait où passer et savait que Leslawa n'allumait jamais l'alarme le dimanche soir étant donné qu'elle dormait sur place. Les arrivages étaient souvent livrés très tôt le lundi matin et leur patronne n'habitait pas à côté. Sans attendre, elle grimpa sur les poubelles et ouvrit le vasistas des vestiaires. Ce procédé ne lui était pas étranger, l'occasion de l'appliquer durant ses années de pensionnat s'était présentée plusieurs fois. Jaugeant rapidement, la hauteur et la largeur, elle se hissa et se laissa glisser dans la pièce en soupirant. Dès que ses pieds touchèrent la chaise, le soulagement l'envahit. Bon, il fallait se mettre au travail. La jeune femme s'approcha du vestiaire du défunt et l'ouvrit. La police n'ayant rien trouvé toutes les affaires étaient restées telles quelles. Ses yeux observèrent le contenu. Un sweat bien plié se trouvait sur une étagère intermédiaire, tout en bas il y avait un sac avec une paire de mocassins et sur l'étagère la plus haute, deux livres soigneusement rangés. Des affiches de concert de jazz plus ou moins récents tapissaient la porte. Minutieusement, elle inspecta tous les coins. Son regard s'arrêta sur un bout de papier coincé. Fouillant dans son sac, Devyn en extirpa sa pince à épiler. Au bout de trois tentatives, le papier concéda à quitter sa cachette. Cela ressemblait à un bout de photographie arraché. Le morceau du puzzle se trouvant entre les bouts de sa pince représentait un bout de peau. Cela devait être un portrait ou en tout cas un plan rapproché. Derrière, une date avait été griffonnée. Seul, le début en était lisible. Le reste devait se trouver sur l'autre bout. À voix basse, elle murmura.— 10 jui... juillet ?Il s'agissait sans doute d'un jour important mais cela ne lui disait rien. Kjell n'avait jamais évoqué cette date en sa présence. Décidant d'y réfléchir plus tard, elle rangea le papier dans son porte-feuille,referma avec soin la porte puis repartit comme elle était venue. Il n'y avait plus qu'à espérer que sa petite visite passerait inaperçue.
Le lendemain matin, la fatigue se faisait sentir. À moitié endormie, Devyn évitait les passants rencontrés sur le chemin du Pavillon Blanc. Au lieu de dormir, elle avait essayé de trouver un sens aux maigres informations récoltées sans parvenir à quoique ce soit. Sa main droite se posa devant sa bouche pour cacher un bâillement. Les autres étaient déjà arrivés, du moins les garçons. Pressant le pas, elle longea une voiture mais s'arrêta net. Pivotant sur elle-même, elle revint sur ses pas et observa le tableau de bord. L'image d'une jeune femme blonde accaparait son attention. — Hey Dev', tu fais quoi ? Tom se tenait dans l'entrée, les mains sur les hanches. L'air, légèrement, contrarié.Esquissant une petite moue, la barista quitta sa contemplation pour rentrer dans l'échoppe. Une odeur de café se diffusait déjà dans la salle. Leslawa mordillait un crayon tout en réfléchissant. Devyn fila poser ses affaires et lorsqu'elle revint, un conciliabule entre la patronne et Tom se tenait sur le comptoir. — Tu dois vraiment prendre des vacances à cette période ? Une semaine plus tard m'arrangerait...— Mais je peux pas... Je me rends avec mes parents sur la tombe de ma soeur...— Deux absents en même temps, ça ne va pas du tout... Surtout si je suis en Pologne...Le jeune homme ne se répandit pas en détails, fixant plutôt la femme d'un air suppliant. Les traits de Leslawa passèrent de l'hésitation à la compassion. Elle lui tapota gentiment l'épaule avant de s'éclipser. Au cas où Markus profiterait de l'occasion pour lui demander, lui aussi, des jours de repos. Ce dernier était plutôt plongé dans la lecture du journal local. Commentant au passage.— Vous avez vu la police piétine toujours ! Et si c'était le témoin ? Il aurait pu le tuer pour lui piquer son fric ?— Pourquoi est-ce qu'il aurait pris la peine de l'asseoir ? Lança Tom sur un ton moqueur.— Je sais pas moi... Une mise en scène ? Y a des tordus qui traînent.. Va savoir ce qui a pu lui passer par la tête...— Tu regardes trop de films... On est dans la vie réelle, pas dans la fiction...— Parfois la fiction rejoint la réalité grogna Markus. Sur ce, il relâcha sa feuille de chou pour partir dans la réserve.Devyn et Tom échangèrent un regard perplexe et haussèrent les épaules. Il y avait des jours où il ne valait mieux pas chercher. La mâtinée fut relativement calme et heureusement car Ute arriva sur le coup de midi. Son excuse était un souci de plomberie à son appartement mais visiblement elle mentait. Chose que la jeune barista apprit en écoutant malencontreusement une discussion au téléphone. Apparemment, la serveuse n'avait pas résisté à se renseigner sur la femme dont le commissaire leur avait montré le portrait. Une professeur de musique qui devait se marier au printemps avec leur collègue décédé. Toute l'après-midi, cette information ne l'avait pas quitté mais le soir, elle se sentait presque au point mort. Les clients partis, elle se joignit à ses collègues qui discutaient. On parlait surtout des prochaines vacances et de la famille. Devyn, elle, songeait à son retour à Londres. Son coeur se pinça en prenant conscience qu'elle ne serait plus aussi près de la mer, qu'elle laisserait la chaleur du Pavillon blanc. Pourtant, c'était étrange de soupçonner l'une des personnes présentes. Ce soir, il fallait qu'elle confirme certaines choses. Et elle avait sa petite idée. Décidant de partir la dernière, elle prétexta quelques mélanges à essayer pour le lendemain. Elle s'arrangea pour faire la fermeture et promit d'ouvrir demain. Assurée que son employeur ne viendrait pas la déranger, la jeune femme fouilla dans la réserve pour trouver des gants. Elle récupéra le journal et fit 5 lettres en découpant des mots ici et là. 5 lettres, une différente, pour chaque personne du Pavillon blanc et une supplémentaire pour s'assurer de l'aide. Je sais que c'est toi pour Ute. Je sais pourquoi tu l'as tué pour Markus. Je connais ton secret pour Tom. Ne joue pas l'innocente pour Leslawa. Je sais que tu n'es pas innocente pour elle. La nuit se prolongeait alors que les missives à destination du personnel étaient glissées dans la boite aux lettres et la dernière mise à envoyer.
Comme promis, le lendemain matin, la jeune femme ouvrait le café. Leslawa arriva quelques minutes après. Elles se saluèrent et la patronne releva le courrier en chantonnant. Sa voix s'arrêta et ses yeux clignèrent à la vision des lettres.— Qu'est-ce que... C'est une blague ? Tu as vu Dev ? Elle lui tendit une lettre à son nom et posa le reste sur le comptoir pour ouvrir la sienne. La barista consulta la sienne tout en surveillant discrètement son employeur. De la perplexité se lisait sur son visage et elle n'y prêta plus attention. Il restait les trois autres à tester. Les réactions furent presque identiques. À la perplexité succéda le doute puis l'amusement. Bientôt ils se mirent, tous, à plaisanter. En son for intérieur, Devyn nourrit une certaine frustration. Personne n'avait été touché apparemment par sa manigance. Il ne lui restait plus qu'une seule chose à faire. Toute la journée, elle y songea.Le soir-même, la jeune femme fut la première à partir prétextant des affaires à régler. Son départ approchait et il restait quelques formalités à régler. Toutefois ce n'était pas à son appartement loué qu'elle se rendait. Marchant jusqu'à See Strasse, elle s'installa dans un restaurant. Ses yeux regardaient de temps en temps l'heure. Si cette dernière carte ne fonctionnait pas, il ne lui restait plus qu'une chose à faire. Cependant elle ne souhaitait pas attaquer de front. À 22h, le repas était avalé et payé. D'un pas rapide, ses pieds l'emmenèrent sur la promenade. Un vent froid lui fouettait le visage. La mer se déchaînait laissant les vagues mourir avec fracas sur le sable. Peu de personnes errait près de la plage. Devyn reconnut le vieil homme avec lequel elle avait discuté. Elle lui adressa un signe de main puis se rapprocha des strandkorbe. Personne. Mais il fallait laisser le temps faire. S'installant dans celui où Kjell avait été retrouvé, la jeune femme croisa les jambes. Qu'avait-il vu ce dernier soir ? Ses yeux fixèrent l'écume blanche. Puis lentement se baissèrent. Bercée par le calme de ce soir d'hiver, elle se détendit choisissant de ne pas écouter l'angoisse naissant dans son coeur. Et si le pire arrivait ? Elle n'eut pas le temps d'y songer davantage, une présence la fit sursauter. Son coeur se mit à cogner contre sa poitrine. Tournant la tête, elle fixa le profil un moment avant de murmurer d'une voix incertaine.— Pourquoi... toi... ?Mais sa question ne trouva pas de réponse. À la place, une réplique sèche lui gifla le visage.— Ça ne te regarde pas. Mais il y eut une pause. Un corps se tourna. Presque face à face, ils s'observaient mutuellement. Un silence inconfortable s'était installé entre eux. Cependant la voix le brisa.— Je voulais vérifier... Au cas où... Mais penser que toi...— Je pourrais te dire la même chose, répliqua immédiatement Devyn— Comment as-tu su ? — La photo... Celle qui se trouve sur le tableau de bord de ta voiture... Il lui manque un bout. Celui que j'ai trouvé dans le casier de Kjell...Les yeux clignèrent puis il y eut un rire. Alors cela n'avait tenu qu'à cela. Le bout manquant l'avait bien contrarié. Après tout, la photographie avait été arrachée dans un mouvement de colère. Mais se dire qu'elle l'avait trahi... Pourtant la voix reprit, d'un ton presque plus hargneux. — Et que sais-tu d'autre ? C'est de sa faute. Tout est de sa faute ! La voix s'était muée en cri. Désespoir et haine s'y mélangeaient. Devyn se surprit à répondre.— Je suis sûre que tu mens ! Tu crées une excuse pour ton crime, c'est tout ! C'est toi le coupable.La provocation payait. Tellement bien qu'une main empoigna sa gorge. La voix tentait de se maîtriser. Tout comme la pression de la main. — Il l'a tuée. Il l'a acculée, l'a utilisée et c'est ici qu'elle est venue mourir. Sous ses airs protecteurs et gentils, il savait manipuler. Il l'a laissé tomber... Enceinte et empêtrée dans ses dettes... Ce musicien raté. Plus calme, la voix continua. Elle ne savait plus quoi faire. Elle n'avait pas osé en parler à la famille... Elle a tout gardé pour elle et elle a fini ici... Avalée par l'océan.— C'était... ta...— Soeur.Les yeux brillèrent un instant retenant des larmes douloureuses. Saisissant sa chance, Devyn donna un violent coup de pied dans le ventre de son interlocuteur. Au cri de douleur, elle souffla.— Je suis désolée... Tom... Mais pas le temps de lui prouver sa sincérité. Elle se précipitait déjà en direction de la promenade. Fuir cet endroit macabre était son seul désir.
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Où est Rostock ? En Allemagne du Nord, j'avais choisi cette ville à cause de son appartenance à la ligue Hanséatique, qui fut longtemps un de mes centres d'intérêts -vive les cours d'allemands ♪ - !

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