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Pas fini : les Gouttes de Dieu

Publié le 17 février 2011 par Mackie

gouttesdieu.JPG Les Gouttes de Dieu (Kami no Shizuku)

de Tadashi Agi et Shu Okomito

Glénat, 18 volumes parus (25 au Japon, en cours)

S'il y a bien un manga dont les médias français (Monde, Obs, etc...) nous ont rebattu les oreilles ces derniers mois, culture franchouille du vin oblige, c'est bien Les Gouttes de Dieu. Mais je n'ai lu dans les articles que des analyses plus ou moins pertinentes sur l'aspect  commercial, notamment sur l'impact du manga sur les ventes de pif au Japon. Quant à savoir si c'est intéressant à lire, ben euh, circulez.

N'écoutant que mon courage, ma déontologie en carton (de 6) et en fait surtout mon penchant pour la dive bouteille, désormais associé à celui du manga, je décidai de surmonter mon angoisse des séries à 25 volumes et de commencer une nouvelle lecture. Je vous livre mes premières impressions.

Ce que ça raconte : 

(Précision : ce qui suit a été écrit à jeun, même si ça ne se voit pas).

Oui parce que quand même, vu le nombre de tomes parus, doit y avoir une histoire, forcément. Donc, c'est un jeune héritier, beau intelligent et audacieux, qui doit accomplir des épreuves vachement dures pour toucher son héritage.  Et pas de bol, il a un rival : un autre jeune héritier, beau intelligent et audacieux lui aussi, mais antipathique (et qui porte des lunettes, ouf, parce qu'ils se ressemblent beaucoup quand même). Heureusement, le gentil va rencontrer plein de gens super qui vont l'aider dans son parcours. Entre autres : une jolie mignonne, un sdf expert en vins, un caviste à la fine moustache et au sourire émail diamant, etc.

J'allais oublier : tout cela se passe dans le milieu du vin. Ce qui rend l'affaire originale, parce que sinon, vous ne trouvez pas que l'histoire fait un peu déjà vu? Donc, l'héritier est fils d'oenologue, le rival est oenologue, l'héritage,  c'est du vin (des bouteilles de valeur), les épreuves c'est retrouver des vins mystérieux, etc. Et les Gouttes de Dieu, c'est le graal du vin, le vin ultime, que seul celui qui aura identifié les Douze Apôtres (encore du vin) pourra atteindre.

Ce que j'en pense :

Ceux qui maintenant me connaissent auront décelé comme un arrière-goût de parti pris dans ma manière de présenter les choses, et ce n'est généralement pas bon signe...

Pas fini : les Gouttes de Dieu
 

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Je commencerai par les points qui m'ont séduit. Ce qui sera assez rapide. Les auteurs ont eu l'idée intéressante de situer une histoire archi-classique (héritage du père, parcours initiatique, épreuves, rapport maître-élève, rivalité...) dans un contexte inhabituel pour un manga, celui du vin. Ou plutôt, devrais-je dire, celui de la dégustation des grands crus. Bourgogne, Bordeaux, essentiellement. La documentation des auteurs semble solide, et se base sur des crus réels. Des appendices concluent les volumes, donnant des clés de compréhension aux novices : classification des vins, millésimes, notions élémentaires de terroir, de méthodes de vinification, etc... Le résultat est assez didactique pour apprendre réellement des choses.

Le manga lui-même n'apporte pas de réelles surprises. J'ai trouvé de fortes ressemblances avec le style de Death Note, dans le dessin, la finesse du trait, et le soin apporté aux décors. Et dans le manque d'épaisseur des personnages : tous sont mignons, stylés, bien sapés (même le sdf!) et semblent tous droit sortis d'un magazine de mode. Pour ma part , je trouve qu'ils manquent de charisme, mais je n'ai lu que les premiers tomes.

Bref, rien de particulièrement palpitant, mais rien de rédhibitoire non plus : ça se laisse lire. L'ennui, c'est qu'amateur de vin moi-même, j'ai relevé non seulement des erreurs, mais surtout une différence d'approche fondamentale dans la présentation de l'univers du vin. Une différence telle qu'elle en devient gênante.

Pour moi, et pour la plupart des amateurs que je connais, le vin est avant tout affaire de convivialité, indissolublement liée à la gastronomie et à la notion de plaisir. Il y a là-dedans de la culture, certes, mais de la culture intuitive et épicurienne. Dans les Gouttes de Dieu, rien de tout cela. Le vin devient ici un plaisir élitiste, dont il convient de maîtriser le langage et les arcanes avant de s'y lancer. Un sport luxueux, de haut niveau, qui demande une initiation préalable, par cooptation. Un privilège de classe, en somme. Le plaisir du vin ne serait accessible qu'à la caste fermée de ceux qui savent. Et qui peuvent se payer des bouteilles de prix.

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Je déteste cette vision. Le vin n'est pas cela. Le vin est partage, une bouteille n'existe que pour être bue (oui, au passage, je rappelle que c'est une boisson). Même les grands crus. J'ai parfois cassé ma tirelire pour m'offrir (et surtout, offrir à ceux que j'aime) de grands Bordeaux ou Bourgogne, pour ne parler que de ceux-là. C'était toujours pour l'associer à un bon repas, l'accord mets-vins étant un jeu de société dont les convives sont aussi les participants. Quant à la question des arômes, elle est totalement subjective. Les arômes, ce sont ceux de nos souvenirs, de notre vécu, de notre notion personnelle du plaisir. Dans les Gouttes de Dieu, les apprentis-oenologues (ou oenologues confirmés) vous expliquent doctement que tel vin a tel goût, et pas un autre, bande d'ignares. Ah bon... Et il fait de l'oenologie une science indiscutable, dont les dogmes sont à apprendre par coeur et s'imposent aux pauvres béotiens que nous sommes. En définitive, dans les Gouttes de Dieu, le bon goût a ses gardiens, et gare à celui qui ne sera pas à la hauteur. Je trouve cette idée, qu'une connaissance ou qu'un don est nécessaire à l'appréciation du bon vin, particulièrement méprisante.

Je ne suis d'accord que sur un aspect de cette idée : que plus on déguste de vins différents, plus on s'ouvre à la variété des goûts du vin. Mais pour moi, ça reste un parcours subjectif, qui s'enrichit dans l'échange avec d'autres subjectivités. Et que ce parcours n'a d'intérêt que dans le dialogue et le partage. Au fond, pour moi, le vin, c'est comme le manga : il n'y a qu'en restant un newbie (en gardant sa fraîcheur et sa curiosité) qu'on conserve le plaisir...

Au delà de ce point, qui m'a grandement énervé, il y a aussi (et c'est quand même dommage) des invraisemblances. Le sdf qui enterre ses bouteilles de Bourgogne devant sa hutte pour les garder à bonne température, franchement... Mais, bon, la liberté de l'imagination, hein. Ce n'est pas ça le pire.

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Non, le pire, c'est cette obsession de la notation, et du prix, qui font dire aux personnages que tel vin est bon parce qu'il est bien noté par Robert Parker, le gourou américain du vin moderne. Je rappelle que Robert Parker, journaliste américain, existe réellement, et qu'il publie son "guide Parker" dans lequel ses avis personnels font autorité à des milliers de lecteurs de par le monde. Les notes qu'il donne (sur 100), lorsqu'elles atteignent les 90/100, sont suffisantes pour faire exploser le prix d'un vin. Et le gros problème c'est que pour plaire à Parker, certains producteurs "parkerisent" le goût de leur vin rouge, en l'enrichissant artificiellement en tannins (par un vieillissement systématique en cuves de chêne, voire par la tricherie, comme l'ajout de copeaux de bois dans les cuves !) ou en réduisant le rendement à l'excès, pour obtenir des rouges systématiquement puissants, séveux et virils.

La parkerisation, c'est un peu la mondialisation appliquée au vin (voir à ce sujet l'excellent documentaire Mondovino) : on va vers la perte de la notion de terroir pour produire un vin standardisé. Pour atteindre cet objectif, certains grands châteaux de Bordeaux recourent aux services de Michel Rolland, lui aussi cité comme une référence par les Gouttes de Dieu. Je ne suis pas fan de Parker, mais bon, ça reste un journaliste. Il n'intervient qu'indirectement (par ses avis) dans le goût du vin. Michel Rolland, par contre, je ne peux carrément pas l'encadrer. Cet homme a pour métier de "conseiller" les châteaux, et si besoin (pour obtenir ce fameux goût moderne) de changer les méthodes de vinification. De les "améliorer", quoi.

Dernier point qui me hérisse, c'est cette obsession de la dégustation comme test de connaissances. Au risque de me répéter, je rappellerai que la dégustation à l'aveugle, même pour les experts auto-proclamés, est une loterie, et donc une arnaque. J'ai même vu des gens, qui disaient s'y connaître, ne pas être capables de distinguer un rouge d'un blanc ! Alors pardon, être capable d'identifier avec certitude, à l'aveugle, une étiquette d'un producteur donné, c'est une vaste fumisterie. Je n'y crois pas. Et si quand même c'était vrai, le vin perdrait pour moi de son intérêt...

Ce que je vois, au final, dans les Gouttes de Dieu, c'est donc une fascination pour le vin luxueux, le vin clinquant, le vin bling-bling, je dirais même. N'y cherchez pas ce qui fait, pour moi, le vrai plaisir de la dégustation : celui de la découverte, de la variété, du contraste, du voyage et de la gastronomie. Encore moins celui de l'amitié, de la convivialité, du dialogue, du plaisir partagé. Le vin des Gouttes de Dieu, on me le servirait, je le trouverai peut-être bon. Peut-être pas. So what? Serais-je alors jeté du haut de la Roche Tarpéienne? Qu'ils essaient, tiens...

Bon alors, à qui conseiller ce manga? A ceux qui "s'y connaissent" (je mets les guillemets, hein) ? Je ne m'y risquerais pas. Aux novices? Certainement pas, pour qu'ils se fassent des idées fausses ! Comme le disent drôlement les rédacteurs des Cahiers du Football (trouvez le rapport si vous pouvez) : "Recommandez cet article à un proche, un parent, un ennemi ou un mec de droite". Voilà, c'est ça : je vais conseiller les Gouttes de Dieu à un mec de droite. Je ne peux pas faire mieux. 

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