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Hell

Par Ledinobleu

Couverture de l'édition de poche du roman HellElle s’appelle Ella. Mais Hell lui convient mieux : elle a dix-huit ans, prend de la coke comme vous fumez des clopes, passe ses nuits dans les boîtes les plus chères de Paris, est griffée de la tête aux pieds, ne fréquente que des filles et des fils de, dépense chaque semaine l’équivalent de votre revenu mensuel, fait l’amour comme vous faites vos courses. Sans oublier l’essentiel : elle vous méprise profondément… étant revenue de tout sans avoir été nulle part. Jusqu’au soir où elle tombe folle amoureuse d’Andréa, son double masculin… (1)

Ce qui frappe dans Hell, c’est le portrait pour le moins corrosif que fait Lolita Pille de la « jeunesse dorée » parisienne : non ce tableau assez attendu de ces « fils et filles de » qui ne respectent rien car ils sont déjà blasés de tout posséder sans avoir jamais travaillé pour le mériter – thème convenu de la littérature contemporaine (2) – mais plutôt cette psychanalyse sous-jacente qui s’en dégage. Car il n’y a pas que les enfants des classes moyennes et en dessous qui voient l’actuel monde du travail les séparer de leurs parents, il y a aussi les autres : pourtant nantis et donc a priori à l’abri de tous besoins réels, il leur manque néanmoins la première nécessité – l’amour.

Alors, puisque Papa est absent pour affaires, et que Maman noie son ennui dans l’alcool et les soirées mondaines quand elle ne se contente pas d’habiter son luxueux appart’ de 60 plaques rue de Grenelle comme un fantôme erre dans un château désert à une époque où on ne croit plus à eux, les enfants vont chercher cet amour ailleurs. Et de préférence avec des gens de leur âge et de leur milieu social, comme tous les êtres humains de la création… Ainsi entourés de gens souffrant des mêmes problèmes qu’eux, ils se consolent comme ils peuvent – toute la difficulté tenant dans le fait qu’il est difficile de donner de l’amour quand on en a reçu si peu…

De soirées à tout casser, et de préférence sa propre tête, à grand coups de cocktails incendiaires et de rails de coke, jusqu’aux lendemains qui déchantent, puisqu’en dépit des partouzes de dix heures du mat’ on se retrouve toujours aussi seul au bout du compte, Lolita Pille nous décrit surtout une autre facette de notre monde tout entier tourné vers la productivité et le chiffre. Non qu’il y a une révélation à nous montrer que les riches aussi en souffrent, mais plutôt que ce mal se transmet par simple effet domino à leur nouvelle génération (3) – laquelle se trouvera ainsi bien en mal de corriger le tir quand son tour sera venu de diriger : simple question de carences affectives.

En fait, ce qu’il y a de dérangeant dans Hell, ce n’est pas tant son portrait d’une jeunesse riche et paumée que ce que celle-ci nous réserve pour quand elle aura pris les manettes du système. Si on s’accorde à dire que le plus grand mal de notre époque est un cruel et singulier manque d’humanité, celui qui pousse les gens à un communautarisme et à un nombrilisme dont les fondations de notre civilisation sont les premières victimes (4), alors attendez un peu que les « fils et filles de » actuels aient remplacé leurs aînés à leurs postes, puisqu’il en va ainsi dans notre féodalité moderne, et vous verrez que la crise des subprimes était un simple avant-goût de ce qui nous attend…

À moins que Lolita Pille ait grossi son trait, comme c’est le privilège de tous les écrivains. Après tout, elle n’avait pas 20 ans quand elle écrivit ce premier roman, aussi ne peut-on exclure un certain manque de recul de sa part, voire un simple et bien compréhensible goût de la provocation…

On préfèrerait de loin une telle maladresse d’auteur débutant.

(1) quatrième de couverture tiré de l’édition broché, et non de l’édition de poche chroniquée dans ce billet.

(2) parmi d’autres ouvrages, le roman 99 francs, de Frédéric Beigbeder, vient immédiatement à l’esprit ; de l’aveu même de Lolita Pille, ce livre fut le principal déclencheur qui la poussa à écrire.

(3) mérite d’être précisé que l’économiste Frédéric Teulon utilisa ce roman de Lolita Pille, et d’autres ouvrages, pour illustrer ses propos dans son essai Les FFD : la France aux mains des fils et des filles de (Bourin Éditeur, collection Documents, mars 2005, ISBN : 978-2-849-41018-9).

(4) sur l’importance, dans les rapports sociaux, de la solidarité et de la bonne compréhension des besoins d’autrui, quelle que soit leur place sur l’échelle de la hiérarchie sociale, le lecteur soucieux de se pencher sur un ouvrage récent s’intéressera à L’Âge de l’empathie (Les Liens qui libèrent, 2010, ISBN : 2-918-59707-4) du chercheur et comportementaliste Frans de Waal.

Adaptation :

Au cinéma, sous le même titre, par Bruno Chiche, en 2006, sur un scénario de Lolita Pille. Cette adaptation couvre pour l’essentiel un segment du récit absent du roman original et peut donc être considérée comme une sorte de complément à celui-ci. Très critiqué, ce film connut un succès mitigé…

Hell, Lolita Pille, 2002
Le Livre de Poche, collection Littérature, janvier 2004
155 pages, env. 5 €, ISBN : 978-2-253-06693-4

- le site officiel de Lolita Pille
- le premier chapitre du roman sur le site de l’éditeur Grasset
- d’autres avis : Phil, Clé et Fil, Stupidocratie, MaBibliothèque, Écrits Vains


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