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La carte et le territoire de la beauté - László Krasznahorkai - Au nord par une montagne. Au sud par un lac. À l'ouest par des chemins. À l'est par un cours d'eau. (Cambourakis, 2010 - trad. Joëlle Dufeuilly) par Antonio Werli

Par Fric Frac Club
La carte et le territoire de la beauté - László Krasznahorkai - Au nord par une montagne. Au sud par un lac. À l'ouest par des chemins. À l'est par un cours d'eau. (Cambourakis, 2010 - trad. Joëlle Dufeuilly)  par Antonio Werli
Personne ne l'a vu deux fois.
Au nord par une montagne. Au sud par un lac. À l'ouest par des chemins. À l'est par un cours d'eau. Le titre est en même temps une invitation et un avertissement, une énigme poétique et une image réelle. Il est surtout une boussole qui dessine la carte que le lecteur va traverser, ou plutôt où le lecteur se trouve : en son centre perpétuel. C'est à la page 69, à un tiers de l'arpentage du livre, qu'on le saisi pleinement, indication géographique d'une précision aussi elliptique que poétique. Le petit fils du prince Genji ainsi que le lecteur sont en recherche du plus beau des Cent beaux jardins décrit minutieusement dans le recueil, à en devenir une obsession intarissable. Et le parcours se fait alors, minutieusement et parcimonieusement distribué par l'auteur, sous forme d'allers/retours spiralés en vue d'atteindre l'alpha et oméga de cette obsessive beauté. On remarquera alors les motifs (images, personnages et procédés) à répétition, la structure narrative tout en élan et douces interruptions, la construction du monastère où se trouve le jardin (décrite par le menu) aussi géométriquement parfaite que le livre lui-même, et un art d'orfèvre pour ce qui ressemble à des énigmes sur le point de naître apparaissant par l'évocation de leur résolution consommée : la première énigme posée n'attend pas, c'est la vacuité au seuil de la lecture, entre l'exergue et le chapitre II qui semble déjà tout dire du projet mais n'est réellement saisissable une fois l'objet refermé. On remarquera aussi les distorsions temporels et spatiales qui ne cesseront de brouiller et d'éclairer en même temps le lecteur : du séculaire temple zen qui emplit l'espace intégral du livre, l'on sautera par une ouverture spéculaire qui renversera ce qui est en haut et fera croître ce qui est en bas vers les arcanes les plus vertigineuses de la physique occidentale. On l'aura compris (ou pas, j'admets le peu d'éclairage que peut proposer ce qui précède de cette chronique), il y a dans Au nord par une montagne... quelque chose d'éminemment japonais. Par le lieu et le temps, par les thèmes, par les personnages, par le style aussi (courts chapitres jouant de l'ellipse, où le souffle est ce qui se trouve de plus essentiel), on l'admet immédiatement, c'est un roman japonais. Roman contemplatif, roman poétique, roman énigmatique et spirituel, roman empli de tradition, il cumule tout ce que le lecteur occidental peut s'imaginer trouver dans un roman japonais classique. L'évidence se pose alors en énigme qui recèle en fait un piège, car l'auteur est hongrois, certainement l'un des plus talentueux de sa génération (selon ce qu'on a pu entendre par-ci, par-là) et réalise, dans un registre similaire au Jardin de la dame Murakami du mexicain Bellatin et dans l'inspiration des deux ouvrages du français pseudonymé Ito Naga, une espèce de pirouette littéraire aussi belle qu'une calligraphie de maître. J'ai tout simplement adoré ce texte magnifique dont la clef - qui n'est pas sans ouvrir vers de nouvelles portes, et j'attends de pied ferme l'annoncé Guerre et guerre chez le même éditeur - pourrait se trouver dans ce passage en page 151 :
...l'art de la dissimulation avait ici été poussé à une telle extrémité que si malgré tout on avançait de quelques pas à l'intérieur de la cour, au bout de laquelle se trouvait le sanctuaire et la cabane, on ignorait toujours qu'un véritable jardin se cachait ici...
--- image : Monet, Nimphéas et saule.

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