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Deux ou trois choses sur la Révolution française

Par Copeau @Contrepoints

Deux ou trois choses sur la Révolution françaiseAprès les décrets des 4 et 11-août sur la suppression des droits féodaux, et la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août, le camp révolutionnaire essuie une première déchirure. Mounier, Malouet, Clermont-Tonnerre, Lally-Tollendal, souhaitaient instituer un bicamérisme à l’anglaise, et offrir au roi un droit de veto. On les appelait les Monarchiens. Mais ces modérés furent dépassés par l’élan révolutionnaire : rapidement réduits au statut de minorité, une partie d’entre eux se retirèrent, dont Mounier lui-même, qui regagna son Dauphiné natal avant d’émigrer. La Révolution avait perdu un de ses plus grands défenseurs.

C’est que la révolution n’aime pas les modérés ; elle leur préfère les fanatiques. Mirabeau n’aimait pas l’idée d’une assemblée toute-puissante. Voilà qui le plaçait dans la droite ligne de la pensée libérale. Mais sa sagesse n’était pas le bien le plus partagé sous la révolution, pourtant encore à ses débuts : c’est sa méfiance à l’égard de cette assemblée toute-puissante qui explique son rapprochement d’avec la Cour. Et rien d’autre. La Fayette subit le même sort, sous les attaques de Lameth, Duport et surtout Barnave, tous trois à l’origine du jacobinisme. Mais on trouve toujours plus exagéré que soi-même. Duport, au printemps 1791, expose : « La Révolution est finie. Il faut la fixer et la préserver en combattant les excès. Il faut restreindre l’égalité, réduire la liberté et fixer l’opinion. » Barnave lui-même, que l’on ne saurait suspecter de collusion avec l’Ancien régime, dit après la fuite de Varennes :  » Allons-nous terminer la révolution ? Allons-nous la recommencer ? Vous avez rendu tous les hommes égaux devant la loi ; vous avez consacré la liberté civile et politique, vous avez pris pour l’Etat tout ce qui avait été enlevé à la souveraineté du peuple. Un pas de plus serait funeste et redoutable ; un pas de plus dans la ligne de l’égalité et c’est la destruction de la propriété. »

La révolution était-elle encore libérale ? Sans doute mais ces professions de foi marquent une crainte manifeste de la part de ces premiers héros de la révolution : la crainte d’être débordés par une presse et des clubs poussant à toujours plus de révolution. Dès le 16 juillet 1791, les députés — en leur quasi-totalité — abandonnèrent le club des Jacobins et fondèrent le club des Feuillants.

La nouvelle assemblée — la Législative — est rapidement devenue suspecte de modérantisme aux sections parisiennes et aux Fédérés de province ; alors est survenue l’insurrection du 10-août. La roi était désormais rayé de la carte politique. Pour le remplacer, la Législative confia le pouvoir éxécutif à un conseil de six membres, dont un seul, Danton, semblait capable de faire le pont entre l’Assemblée et la Commune de Paris. L’Assemblée était condamnée à la disparition, car elle avait elle-même, sous la pression de la foule le 10-août, décidé l’élection au suffrage universel d’une Convention nationale. Les Feuillants n’avaient plus de force réelle, après une tentative avortée de mobiliser les départements. La Fayette, réfugié chez les Autrichiens, restera enfermé pendant plusieurs années dans une forteresse. L’espoir d’un grand parti libéral s’évanouissait.

La rue avait désormais le pouvoir, ou plutôt la Commune de Paris, issue du Comité insurrectionnel du 10-août. Et ce fut pendant six semaines la « première Terreur » : invasion du territoire, massacres de septembre, et Valmy.

Le libéralisme de la révolution était déjà bien mal en point. La nouvelle assemblée, la Convention, se chargera de l’éradiquer. Certes les Girondins, au début, dominaient l’assemblée. La Plaine (Barère, Cambon, Sieyès), soutenait les Girondins dans la défense de la propriété et de la liberté, mais s’écartaient d’eux dès que la révolution était en danger et que s’imposaient, pour la défendre, des mesures d’exception. Jusqu’au 2 juin 1793, la convention resta girondine. Alors les Montagnards usèrent de la force brute pour parvenir à leurs fins, qui était la conquète du pouvoir : le 2-juin, 29 députés girondins sont décrétés d’accusation ; 75 autres signent une protestation et sont exclus de l’assemblée ; d’autres quittent leur banc pour fomenter en province l’éphémère mouvement « fédéraliste ». Lorsqu’on veut conquérir le pouvoir, quel meilleur moyen que de supprimer ses adversaires ? Bien plus tard, dans ses Mémoires, le député montagnard Levasseur pourra écrire : « Oui, la Gironde était républicaine [...] Oui, sa proscription a été un malheur. » Après la phase montagnarde, la dictature d’exception menée par le Comité de salut public, animé par Robespierre, Couthon et Saint-Just, la période thermidorienne ne marque en rien un renouveau du libéralisme. C’est la souveraineté de la Plaine. Puis le Directoire, régime d’assemblée, se situe bien loin de ce que recherchaient les véritables libéraux de la Révolution, les Mounier, les La Fayette, et autres Girondins, un libéralisme à l’anglaise, modéré, équilibré, et profondément moderne, comme pouvait l’être le nouveau régime américain.

Le libéralisme du 19e accepte et approuve la Révolution. Mais c’est d’un libéralisme bien différent dont il s’agit. L’expérience révolutionnaire, en établissant que le principe représentatif pouvait se retourner en despotisme, que la souveraineté du peuple pouvait être confisquée par une poignée d’hommes, montre que la conception libérale de l’ordre politique était lourde de dangers mortels pour les libertés. Les hommes du XIXe ont le sentiment de vivre dans un élément « métapolitique », qui n’est ni l’Etat ni la société civile : ils ne tarderont pas à interpréter cette nouvelle « société » en termes religieux. Mais ils font aussi instantanément du christianisme une « religion séculière », ils la courbent immédiatement vers le siècle. En termes de politique partique, cela signifie que les libéraux seront adeptes de la Révolution contre les « réactionnaires », contre ceux qui prétendent reveir à l’ancien régime, et qu’ils seront critiques de la révolution contre ceux qui l’invoquent pour la « continuer » ou l’ »approfondir », et rendent ainsi impossible la stabilisation des institutions libérales impliquées par ses principes.


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