Magazine Beaux Arts

X-Event 0

Publié le 26 janvier 2008 par Marc Lenot

Tu les as peut-être vus à la Biennale de Lyon, ou à Brétigny, ou bien tu as entendu parler de leurs ‘protocoles’ à la limite de la danse et des arts plastiques. Tu sais vaguement que les rapports entre danseurs et spectateurs y sont transformés; tu sais aussi que leurs danses ne sont pas dépourvues de sensualité, et, pour être franc, ça ne t’est pas indifférent. Le buzz t’a appris qu’ils sont (dansent ?, performent ?) à Micadanses dans le cadre du Festival Faits d’Hiver. La veille, cet article t’a vraiment donné envie d’y aller, même si tu vas rarement à des spectacles de danse contemporaine.

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Tu y vas donc le 24 Janvier, tu fais la queue, tu achètes ton billet. Il y a du monde, peut-être 200 personnes. Les portes du studio sont fermées, tout le monde s’entasse dans le hall surchauffé. On attend. C’est là que ta gêne commence; tu n’es pas claustrophobe, mais tu ressens un léger malaise. Ne serait-ce pas dû à ces jeunes gens qui vont et viennent sans cesse, et te bousculent négligemment ? Ou est-ce à cause de cette jeune femme qui te dévisage longuement, trop longuement, puis se détourne quand tu veux la questionner (on se connaît ? j’ai une tache de peinture sur la joue ? vous avez un problème oculaire ? vous voulez ma photo ?) ? Ou bien du fait de ce jeune
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inconnu qui pose familièrement sa main sur ton épaule en passant près de toi, l’air angélique et distrait ? Des inconnus se parlent, te parlent, d’attente, de délais, d’impatience; ceux qui ont vu le spectacle, ceux qui ont lu Le Monde. L’attente se prolonge, certains s’impatientent, s’en vont en râlant, des groupes remontent l’escalier, bousculant les autres. Tu te dis qu’au bout de 45 minutes de retard, tu vas partir, tant pis; l’idée t’effleure que c’est peut-être fait exprès, pour faire monter la tension, que ces jeunes gens un peu trop animés sont des figurants. Mais trêve de conjectures soudain, on entend des applaudissements nourris dans le studio, tu présumes qu’il y avait un spectacle avant le nôtre, les portes s’ouvrent, des spectateurs sortent au fond de la salle, tu peux enfin t’installer, t’asseoir. C’est une grande salle, avec des gradins, un miroir, aucune décoration. Pas de scène, pas de point de vue prédéfini, les spectateurs sont tout autour de la salle; tu vas pouvoir bouger, te déplacer, regarder le spectacle sous d’autres angles, mettre ton corps dans le jeu, comme à Lyon. Mais l’attente continue, les spectateurs se mettent au bout d’un moment à trépigner, à claquer dans leurs mains. Rien ne se passe, personne n’arrive; peu à peu des gens se lèvent, s’en vont en protestant, en parlant à leurs voisins, en demandant à être remboursés. Tu te lèves, tu te retrouves dans un groupe au milieu de la salle, énervé, mécontent, frustré, mais tu restes, tu attends encore, tu te demandes ce que c’est que ce spectacle. Il y a 1 heure et quart que tu es là, tu vas partir, tu t’en vas.

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A ce moment, un groupe de personnes arrivent, tu reconnais certains des jeunes gens* bousculeurs, toucheurs, regardeurs du hall, tu repères une des danseuses que tu avais admirée à Lyon, puis les deux chorégraphes de la troupe, Annie Vigier et Franck Apertet (ci-contre). Tout le monde se détend, l’incompréhension, la lassitude cèdent la place au relâchement. Un buffet est ouvert. On ne te dit pas grand chose, tu perçois des bribes d’explication (plus tard, tu liras ceci -programme, puis cliquez sur 24 janvier - ou bien cela [mais pas grand chose à voir, à mon avis, avec les 4′33″ de John Cage] - ou ceci, assez grinçant). Tu comprends peu à peu que c’était là un spectacle sans acteurs, un spectacle où le public se donnait en spectacle, où le spectacle était dans le public (même si certains éléments de ce public n’étaient pas innocents), un état zéro justement, une expérience de détournement, d’approfondissement après l’interaction induite entre danseurs et visiteurs expérimentée à Lyon. Tu n’es pas sûr d’être convaincu, tu veux bien y retrouver certaines références, Dan Graham devant son miroir, le happening et le Living Theatre, mais tu te dis que c’est peut-être un peu trop, trop gonflé, trop pointu, trop dérangeant; et puis tu te dis que tu aimes bien être dérangé, au fond, et qu’il y a peut-être un art d’être spectateur. Tu espères simplement que leurs prochains spectacles que tu irais bien voir, à Bobigny et au Louvre (à défaut d’aller à la Tate Modern), seront moins audacieux.

* En fait, il n’y avait pas que des jeunes gens, puisque l’auteur de ces lignes était au nombre des “figurants bénévoles” qui ont travaillé pendant trois répétitions pour mettre au point tous ces dérangements scrupuleusement minutés, sinon chorégraphiés.  

Photo 1 : X-Event 2.1 © Jonas Unger.
Photo 2 : X-Event 1 © Sabrina Mathoux.  
Photos 3 et 4 prises par l’auteur au cours de l’ultime répétition de X-Event 0.


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