Un certain nombre de travaux récents relatifs à l’histoire du livre et des médias ont démontré que le schéma classique de la théorie de la communication n’était plus opératoire. Encore repris en tête de laSociologie de la littératurede Robert Escarpit, ce schéma se développe de manière linéaire, et articule l’émetteur, le message et le récepteur – ou, s’agissant du livre, l’auteur, l’œuvre (et le système de production et de diffusion du livre,aliasla «librairie») et le lecteur. Mais cette hypothèse est beaucoup trop sommaire, en ce qu’elle ne prend en compte ni les interactions entre les acteurs, ni le déroulement du temps. Donnons trois exemples qui illustreront cette problématique.1) Le premier exemple concerne la remise en question de la catégorie (pourtant admise de longue date) de l’auteur en tant qu’une évidence. L’auteur peut rédiger un certain texte, mais ce texte une fois imprimé a pris une forme matérielle plus ou moins différente de l’original, et dont nous savons qu’elle conditionne en partie sa lecture et son appropriation. Le livre imprimé contient en définitive bien plus que le seul texte, qu’il s’agisse de la page de titre et des différents éléments du paratexte, mais aussi de la « mise en livre » elle-même, à savoir le choix d’un format, d’une typographie, d’une mise en page, sans parler des illustrations, etc.En somme, à la source du texte, nous trouvons certes celui «qui écrit» (pour reprendre l’intitulé du séminaire de Villeurbanne régulièrement annoncé sur ce blog), mais aussi un certain nombre d’autres intervenants au niveau notamment de l’éditeur et de l’atelier typographique (le prote, le metteur en pages, le compositeur).La situation se complique encore dans le cas par exemple d’une traduction: l’exemple, souvent convoqué, duNarrenschiffde Sébastien Brant montre que la traduction de l’original allemand en latin aboutit de fait à un texte très largement nouveau, dont le traducteur, Jakob Locher, est pratiquement devenu l’auteur.