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Syrano : un rappeur que les autres rappeurs ignorent

Par Bscnews
Syrano : un rappeur que les autres rappeurs ignorentPar Antoine Fantin - BSCNEWS.FR / Dent arrachée à la mâchoire de la ville qui bouffe ses passants, le terrain vague, bris de silence encastré entre deux immeubles, laisse voir au-delà des tours un ciel de ciment. C’est là que nous avons rendez-vous avec Syrano. Pas qu’il habite le quartier, mais ce soir il chante un peu plus bas, à la Java, où est organisée « une sorte de Téléthon polonais. », « un Téléthon polonais à la Java ? », « Oui, enfin un truc comme ça… »
Crâne lisse, regard franc, voix calme et mains lentes, il a le sourire et il a faim, il a le temps, un sac à l’épaule et l’air détendu. Tellement, qu’on a presque du mal à faire coïncider les deux images. Celle de ce jeune homme calme et tranquille, doux comme un fourreau, et celle de l’artiste de scène : tout en nerfs, intense, musclé, mécanique, tirant de lui une langue acérée qu’il manie sans manière afin de lui donner ce rythme, cette cadence offensive à l’extrémité de laquelle revient sans cesse la rime, comme une estocade. Un rappeur. Un rappeur que les autres rappeurs ignorent. Trop « chanson française » pour ça.
Lentement, nous quittons le terrain vague pour rejoindre les rues grises aux façades criblées de couleurs, de mots, de colères et, un instant, les tags m’apparaissent comme les descendants de l’art pariétal. Une trace de soi laissée sur les parois des jours. Un cri d’espoir. Cela me fait songer à ses textes. Nous évoquons ses influences : Iam, Brel, Brassens, Piaf, Led Zepplin, Portishead, Björk, Ferré. Alors me vient une question toute simple. Stupide sans doute. Pourquoi le rap ?
PREMIERE EPEE : EXCALIBUR
Tout commence à l’ombre séculaire de la Cathédrale de Chartres. C’est là que Sylvain grandit. Quelque part dans une famille un peu perdue, dans un milieu ouvrier sans perspective qui survie à ses rêves en diluant ses illusions dans des verres d’anisette. Condamné à une médiocrité satisfaisante, très vite le jeune Sylvain détoure son ennui de dessins et d’écrits qui, peu à peu, lui donnent vie. Une vie. L‘écriture est là comme un tuteur autour duquel il pousse pour s’extraire du terreau d’une enfance dont il puise toutes les ressources pour mieux s’en délivrer. Dessins et écrits l’inscrivent dans une autre destiné. Il a du talent, la preuve il reçoit même un prix au Festival d’Angoulême qui l’éconduira à s’inscrire à la fac de Tours pour suivre des cours d’Histoire de l’Art dont il se lassera vite, car très vite la musique s’impose. Ou plutôt s’interpose. « Le rap est la suite logique des chansons contestatrices. C’est l’héritage naturel des chanteurs à textes. Lorsque Ferré déclame pendant dix minutes, est-ce encore de la chanson française ? Et puis quand tu veux éclater le moule dans lequel on cherche à te couler, le rap t’en donne l’énergie. »
Premières scènes avec le collectif Excalibur grâce auquel Syrano fera les premières parties de Zebda ou encore d’Alpha Blondy, entre autres. Et c’est l’enregistrement d’un premier disque, Epoque Première, où chaque titre est composé d’un duo. « Ensuite j’ai voulu travailler avec de « véritables » instruments : deux violons, un accordéon, une guitare. Je n’avais pas envie de me restreindre à de la musique balancée exclusivement par des machines. J’avais besoin de m’ouvrir, de me nourrir de toutes sortes d’influences. Et, en tant qu’autodidacte, je n’avais pas de limite, pas de pudeur, pas de principe. Je pouvais prendre toutes les libertés, faire tous les mélanges ». Et le cocktail ne tarde pas à enivrer : Prix Découverte du Printemps de Bourges 2004, Syrano remporte dans la foulée sept autres récompenses en 2005 : le Chantier des Francofolies de La Rochelle, Explo'son, Propul'son, le Prix Décibel 101 et, en 2006, le Prix Découverte de Alors Chante et le 1er Prix du Grand Zebrock. A l’issue de quoi, il sort son premier « vrai » album : Musiques de chambre.
RAP-MUSETTE
Assis l’un en face de l’autre dans l’immense salle quasi déserte d’un restaurant qui paye de mine face au métro Belleville, Syrano revient, avec un certain recul, sur le succès de cet album étrange et fabuleux, sombre et mélodique, qui déplie page après page, morceau par morceau, les êtres métaphorisés qui ne sont pas quelque fois sans rappeler l’imaginaire de Tim Burton : conte d’un Monsieur Neige au cœur ardant, automate romantique, fille-ficelle, épouvantail crucifié ou encore ermite des cimes… Musiques de chambre est un album volontaire et merveilleux, musclé et tendre, à la croisée du « rap musette » et de la chanson à texte : véritable casse-tête pour ceux qui classent par genres.
La tournée de Musiques de chambre révèle que si Syrano est un fin poète, il est aussi un duelliste méticuleux aux prestations scéniques millimétrées, comme pour toucher là exactement où il le souhaite. « Cette précision me vient peut-être des arts martiaux mais aussi, à la différence de beaucoup de rappeurs, je n’aime pas improviser. J’aime que tout soit précis, que chaque chose est un sens, une nécessité. Si bien que les morceaux encore non enregistrés que nous donnions sur scène faisaient exactement le même temps lorsque nous étions en studio. » En 2009, la sortie de l’album Le goût du sans confirme la singularité de Syrano qui, cette fois, s’exile un peu des terres de l’enfance pour aborder plus brutalement ou plus spontanément des sujets polémiques, engagés. Sans doute parce que depuis le premier album Syrano s’est pris quelques coups sur le nez… « Entre Musiques de chambre et Le goût du sans, je me suis marié et j’ai divorcé puis j’ai dû subir deux interventions au cœur. Le Goût du sans est un album hémorragique. » En témoigne le titre « Bleu » : fresque retraçant l’existence d’un homme sur laquelle on retrouve les voix de ses compagnons de voyage, de ses voisins de cœur : Mourad (La Rue Kétanou), François Hadji-Lazaro (Pigalle) mais aussi Imbert Imbert, Frédo des Ogres de Barback, Mell et Batlik.
Vient donc le moment d’aborder le troisième album : A la fin de l’envoi… Mais là, soudain, ses yeux s’obscurcissent, sa voix blanchie. Il repose sa cuillère à dessert. Prend sa respiration. Puis se lance.
GARCON DE JOIE mais HOMME DE PAROLES
En parallèle de l’écriture et de l’enregistrement de l’album Le goût du sans, Syrano met en place un autre projet : Le Grand Zappeur. Un « pestacle » destiné aux enfants dont l’idée lui est venue alors qu’il animait des ateliers d’écritures avec pour thème la télévision. Le spectacle fonctionne bien. Il tourne régulièrement. Un festival assez prestigieux décide même de le programmer puis, à la dernière minute, le refuse si « on » n’en retire pas un passage. « Celui où j’ai doublé avec la voix du Président de la République celle du souverain dans un extrait parodique du dessin animé Le Roi et l’oiseau. » Prévert n’aurait sans doute pas dit non. Mais Prévert n’est plus. Pas plus que le débat d’idées. De nos jours la censure n’existe plus. C’est un temps révolu. Elle a un autre nom, une autre forme. Comme les virus les idées muent. Il est interdit d’interdire. Pas de s’interdire. Tu comprends. Ton métier c’est une profession. Si tu veux être promu, alors range-toi. Ronge-toi. Tu es n’importe qui. N’importe quoi. Si c’est pas toi, ça sera un autre. C’est pas ce qui manque, des artistes. Si tu refuses un autre dira oui et la morale sera sauve. Le show aura lieu car personne n’est irremplaçable. Il faut te le tenir pour dit. Si tu es là ce soir, ça n’est qu’un hasard de calendrier ou de bon vouloir. Toi, un autre, qu’importe. Qui tu es n’a aucune importance. Tu n’es qu’une tendance. Il en faut pour tout le monde, c’est d’accord, alors on y va. Mais tranquille. On ne veut pas faire de politique. Alors tu touches pas au Président. Tu trouves pas que la situation est assez difficile ? On te dit où sont les limites, et tu dépasses pas. Et tout ira bien. Un festival a besoin d’artistes en marge, c’est comme ça que l’on conçoit les choses. Il faut des râleurs pour que personne ne râle. Alors tu râles où on te dit de râler. Y’a pas à se plaindre. C’est comme ça depuis longtemps. Même Molière s’en est très bien sortie.
Seulement Syrano ne plie pas. Il casse. « Je préfère aller droit dans le mur tout seul plutôt que de poursuivre en devant me formater à une morale qui ne correspond pas à ce que je chante ». Ok. Tant pis. « Ca vaut bien une petite censure ». Césure. Tout vole en éclats. « J’en connais qui s’arrangent très bien avec ce contrat. J’en ai vu faire des kilomètres dans le même car sans s’adresser la parole durant tout le voyage et, le soir, sur scène, ils sont là à donner des leçons de fraternité, de chaleur et de dialogue. Ce sont les premiers à s’insurger contre telle ou telle guerre, à dire qu’il faut réconcilier les peuples ! Franchement, c’est ça être artiste ? » Coup de sang qui éclate avec rage. Il se débarrasse d’une partie de son équipe, se recentre sur une structure « légère et agile » puis digère en écrivant A la fin de l’envoi…, troisième album écrit et composé en un mois et demi. Cette fois, il utilise le rap pur et dur, le rap des années 80, sans compromis, sans populisme et fustige le conformisme intellectuel, le consensus culturel et l’autocensure. Ca n’est pas un hasard si cet album s’intitule A la fin de l’envoi… car il fait clairement écho au personnage réfractaire d’Edmond Rostand. Le langage comme une épée capable de sentir à l’extrémité du verbe le cœur qu’elle touche, cela s’appelle « sentiment du fer » : qualité particulière à l'escrimeur qui permet de prolonger la sensibilité tactile jusqu'au bout de l'arme (définition de l’Académie Royale d'Armes de Belgique).
Mais déjà, il est l’heure. On nous débarrasse, on se lève. A peine le temps d’évoquer la préparation d’un nouvel album pour lequel il enregistre avec son studio portatif des musiciens de tous les pays et prévoit de faire un voyage en Europe de l’Est. Ou alors la parution d’un livre pour enfants, Monsieur Neige chez Acte Sud, dont il signe le texte et les illustrations. Pas le temps, il est l’heure. Nous quittons le restaurant pour nous perdre dans la foule bancale de la rue Faubourg du Temple.
Syrano est en concert le 18 mars à la Bellevilloise – 19/21, rue Boyer 75020 Paris ( Photo Patrick Ochs)

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