Voici venu le temps des récompenses hollywoodiennes : après le triomphe du Social Network de David Fincher aux Golden Globes le mois dernier, la grand-messe du cinéma américain se prépare, alimentant pronostics et spéculations. Si la cérémonie amuse gentiment, ses nominations se révèlent, chaque année, désespérément conventionnelles.
La question n’est pas bêtement provocatrice, ou simplement rhétorique : depuis quelques années, les Oscars peinent à se renouveler, tandis que le battage médiatique vante le rendez-vous incontournable du cinéma américain (…allô ?), l’événement à ne pas manquer. Alors oui, on en prend plein les yeux : la remise des trophées réunit les plus grandes stars du grand écran, tous sur leur 31. Entre discours suffocants et transitions calibrées mais amusantes, on ne s’ennuie pas. Par contre, les nominations sont rarement réjouissantes : loin d’être le reflet du meilleur de la production américaine, les Oscars s’orientent vers des choix consensuels et prévisibles.
Pas question ici de faire de généralités : à plusieurs reprises, l’Académie a nommé et récompensé des films de grande qualité. On applaudit des deux mains lorsqu’elle sacre Titanic, Annie Hall ou Le Silence des agneaux, chacun étant une référence dans son registre. Seulement, depuis plusieurs années, l’institution préfère récompenser un cinéma formaté, lisse, ronronnant. Le cinéma américain vaut pourtant mieux que ça. On comprend mal comment l’Académie a pu passer à côté de Mulholland Drive, l’un des films les plus bouleversants, les plus étourdissants de la dernière décennie. Cette dernière a vu s’épanouir de grands cinéastes, comme M. Night Shyamalan ou James Gray. Mais non : les Oscars préfèrent nommer Le Chocolat, Neverland ou The Reader. Une certaine idée du “grand cinéma” qui semble conditionner les goûts et les attentes du public.
Jamie Foxx dans Ray
A l’ouest, rien de nouveau : tous les ans ou presque, on nous ressert les mêmes choucroutes stupéfiantes de conformisme. Aujourd’hui, l’heureux favori s’appelle Le Discours d’un roi. En lui-même, le film n’a rien de profondément antipathique. Au contraire : le film est gentil, très gentil. L’incarnation de ce cinéma mainstream, archi-classique, dont Hollywood est si friand. Bien sûr, Colin Firth est remarquable, tout comme le reste de la distribution, d’ailleurs. Seulement, le film ne propose rien en termes de cinéma. Il se regarde sans déplaisir, mais ne se détourne jamais de son cahier des charges. Avec en tête cette formule : “rôle fort + reconstitution impeccable = autoroute vers les Oscars”. On est dans le cinématographiquement correct, tout est réglé comme du papier à musique.
Colin Firth dans Le Discours d’un Roi
A la finesse, l’audace, les Oscars préfèrent la performance. Une vision bien limitée et normative de ce que devrait être le cinéma. Charlize Theron dans Monster, Jamie Foxx dans Ray : à Hollywood, la métamorphose paie. Et la généralisation du biopic n’est pas étrangère à cette tendance qui, souvent, ne produit qu’un cinéma de bon élève, appliqué, sans surprise (voir le pachydermique Ray). Et l’irritant “based on a true story” vient légitimer l’existence même du film. On se demande jusqu’à quel point Nicole Kidman, qui incarne Virginia Woolf dans The Hours, ne doit pas sa statuette à sa prothèse nasale. Et quand l’Académie décide de récompenser une Française – Marion Cotillard, en 2008 – c’est pour saluer une performance à l’américaine. On s’extasie devant une transformation, une performance “bluffante”. L’expression “film à Oscars” prend alors tout son sens. Sauf que bien souvent le mimétisme, aussi réussi soit-il, révèle un manque d’originalité assez navrant. Avec l’explosion du biopic, Hollywood s’enfonce dans la promotion d’un cinéma empaillé, propret, standardisé. Et manifeste par-dessus le marché son peu de foi dans le cinéma.
Crédits photos :
Affiche officielle des Oscars 2011, © Academy of Motion Picture Arts and Sciences
Jamie Foxx dans Ray, © UIP
Colin Firth dans Le Discours d’un Roi, © Wild Bunch