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Héros littéraires en rébellion

Publié le 26 février 2011 par Savatier

 Les légendes abondent, qui montrent la révolte d’une créature contre son créateur. On pense naturellement à Frankenstein, mais aussi au Golem de la tradition juive ashkénaze, dont l’histoire fut immortalisée au cinéma dans l’étonnante version expressionniste de Paul Wegener, datée de 1920. Dans Cher auteur… de mes jours infortunés (JBZ et Cie, 156 pages, 12,95 €) Jacques Géraud renoue avec cette tradition, en imaginant la rébellion de vingt-quatre personnages de la littérature contre les auteurs qui les avaient façonnés.

L’idée de cet ouvrage est excellente ; la méthode narrative choisie – les griefs des héros s’exprimant à travers des lettres adressées aux écrivains – l’est tout autant. Ainsi, Julien Sorel écrit-il à Stendhal, Homais à Flaubert, le Petit Poucet à Charles Perrault, Cadichon à la comtesse de Ségur ou Zazie à Raymond Queneau. De quoi ces personnages se plaignent-ils ? Mais du sort peu enviable que leur avaient réservé leurs auteurs pour servir leurs romans, rien de moins. Meursault en veut à Camus de ne pas lui avoir donné de prénom, Jean Valjean tance Hugo, non de l’avoir condamné au bagne, mais à « une misère libidinale ab-so-lue », Marie Arnoux regrette l’amour uniquement platonique que Flaubert lui avait fait vivre dans L’Education sentimentale.

L’auteur, dont la culture littéraire ne fait aucun doute et qui, manifestement, s’en est donné à cœur joie, se livre à un exercice subtil et iconoclaste que le lecteur ne peut toutefois goûter pleinement s’il ne partage pas cette connaissance. Car les lettres fourmillent d’allusions, non seulement aux œuvres dans lesquelles les personnages sont impliqués, mais aussi à d’autres textes littéraires. Maître Corbeau, dans sa lettre à La Fontaine, adresse un clin d’œil baudelairien à L’Albatros, Marie Arnoux fait référence à Emma Bovary et Blanche-Neige emprunte à l’œuvre érotique de Théophile Gautier (Les Lettres à la Présidente) l’image singulière d’une éjaculation « parabolique » des sept nains – dont elle regrette l’absence, comme il se doit.

Le registre plus que leste, présent dans plusieurs lettres, notamment celle de Juliette au marquis de Sade, affiche quelques lourdeurs que l’on pourra regretter. En outre, moins croustillant que « proustillant », le style de Jacques Géraud tient un peu trop souvent le lecteur en haleine par des phrases interminables, étalées parfois sur plusieurs pages, qui font perdre le fil. Il n’empêche ; on sort de ce petit livre à la présentation particulièrement soignée avec l’envie de lire ou de relire les romans dont il est question, et ce n’est pas là son moindre mérite.

Illustration : Le Golem, film de Paul Wegener.


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