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Winter's bone, l'Amérique des appauvris

Publié le 02 mars 2011 par Jcgrellety

Daniel Woodrell pour commencer, qui y habite et qui a fait de ce décor éternellement Américana le cadre et le moteur de la plupart de ses polars réalistes. Debra Granik y a écrit un scénario d’une noirceur oppressante, s’accrochant au cruel parcours initiatique d’une jeune fille chassée de son adolescence à coups de godasses, et ça n’a rien d’une métaphore. Elle y a déniché aussi les paysages, les routes poussiéreuses, les bistrots lugubres, les maisons menaçant ruines, traquant le plus infime détail dans les arrière-cours boueuses encombrées de jouets cassés et de carcasses de chariots de supermarché. Elle y a enfin trouvé des gens qui furent bien davantage que des gueules abîmées vouées à la figuration. «Anne Rosellini, avec qui j’ai écrit le script, et moi avons utilisé des comédiens professionnels et des gens du coin. Le personnage du chef de clan, par exemple, est un motard de la Bikers Church. Un type passionnant, ancien du Vietnam qui sillonne tout le pays à moto depuis des années. Son nom, c’est Stray Dog, chien errant. Il l’a inscrit sur son blouson, et c’est un bon résumé de son existence. Il est un témoin, un reporter de ce que la vie peut avoir de plus difficile en Amérique.» Au cours de ses innombrables voyages, Debra Granik a rencontré des centaines de personnes, pris des milliers de photos. «Parce que ce que nous avions besoin de voir à quoi ressemblaient la maison, les forêts, les gens dont Daniel Woodrell parlait en détails dans le roman. C’était essentiel.» Cette porosité entre la fiction et la réalité locale est tout sauf une coquetterie de cinéaste new-yorkaise en mal de folklore. L’histoire de Ree (Jennifer Lawrence, 20 ans, époustouflante dans le film et déjà sur les tapis rouges des oscars la semaine dernière, précisément pour Winter’s Bone) est incrustée dans la peau de cette région oubliée de tous. C’est là que Ree y élève son frère et sa sœur, tous deux plus jeunes, en l’absence d’un père qui vient de disparaître mystérieusement et en présence d’une mère qu’une maladie jamais nommée a rendue aussi inerte qu’un tas de chiffons. La gamine est jolie, mais elle ne le sait pas encore. La seule chose qu’elle ne peut pas ignorer, c’est que la banque va foutre la petite famille à la porte de la vieille ferme si elle ne retrouve pas son géniteur. Même son cadavre fera l’affaire. Ses tentatives désespérées à se sortir du pétrin, plus par instinct de survie que par courage, la conduisent au cœur d’un trafic de meth, petits cristaux empoisonnés et bon marché avec lesquels on ne se défonce pas seulement dans les faubourgs des grandes métropoles. Elle va surtout toucher à l’implacable réalité d’une terre dont elle est issue et dont, jusqu’à présent, elle ne saisissait pas vraiment la brutalité des codes et des tabous. Brochette d’écureuils. En dépit d’une parenté de façade avec, par exemple, un Delivrance,Winter’s Bone n’a rien d’un film où misère et obscurantisme auraient une dimension exotique. «J’ai la conviction que rien à l’écran n’est exotique mais, au contraire, très familier en Amérique. Je suis très sensible sur cette question parce que nous avons impliqué de nombreuses familles et que je ne voulais pas que l’interprétation de leur réalité soit trop éloignée de la vérité. Il fallait faire attention à expurger la moindre notion de jugement moral sur leurs conditions de vie. Ce n’est pas anodin que les gens là-bas puissent garder la même voiture vingt ou trente ans ou que la chasse ne soit pas un sport mais une tâche comme une autre. Au Missouri, comme dans huit ou dix autres Etats aux Etats-Unis, les enfants ne vont à l’école que quatre jours par semaine, de sorte qu’ils puissent aider leur famille. Il fallait que tout cela se perçoive à l’écran.»


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