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JM Coetzee : En attendant les barbares

Par Gangoueus @lareus
JM Coetzee : En attendant les barbaresNous sommes sur un poste avancé d’un empire. Une petite ville, Les Marches, d’une province éloignée au-delà de laquelle règnent les barbares. Il n’est pas aisé de situé dans le temps cette narration. Mais on peut s’autoriser à penser aux grands empires qui ont dominé la planète, l’Egypte, l’empire romain, l’empire colonial britannique. Peu importe, les questions que met en scène John Maxwell Coetzee dépassent très largement les questions de temps et d’espace (ici une ville aux portes d’un désert). C’est principalement la force de ce roman dense, fort, déroutant, angoissant parfois.
Le magistrat voit arriver dans sa ville un militaire (ou un officier de police) qui a une mission à mener contre les populations barbares qui entourent cette limite de l’empire. Dès le départ, tout oppose ces deux hommes. L’un est un homme de droit, rondouillard, gérant cette cité depuis un grand nombre d’années avec une certaine harmonie avec les barbares. L’autre représente cette force légale devant assurer la sécurité d’un territoire par tous les moyens, même les plus vils pour ne pas dire barbares. Mandaté par le pouvoir central, le colonel Joll capture à l’aveuglette des habitants des zones environnantes et des barbares. La torture la plus efficace n’a pas de secret pour cet homme sans scrupule. Le magistrat va se prendre de sympathie pour des victimes du tortionnaire de l’empire, une femme barbare dont les pieds ont été brisés…
John Maxwell Coetzee centre son intrigue sur ces trois personnages pour conduire une réflexion très large sur l’empathie, l’arbitraire, l’antagonisme entre les valeurs d’une civilisation et les moyens inhumains pour la défendre, le rapport à l’autre, cet inconnu. Notez ceci, si j’use du terme civilisation, il est important de retenir que le mot n’est jamais mentionné dans ce roman remarquable. Au nom des principes qu’il croit défendre mais surtout d’une empathie qu’il ne sait lui-même définir à l’égard de cette femme, ce magistrat va connaître toutes les étapes de la déchéance. Je ne vous dirai pas comment. C’est dans cette chute, que la densité du propos du romancier sud-africain se révèle. Sachez que Coetzee, lauréat du Prix Nobel de littérature n’est vraiment pas petit, comme on dit en Côte d’Ivoire ou au Cameroun.
Avec une puissance de narration impressionnante, il nous fait vivre de l’intérieur cette descente aux enfers, il nous soumet aux affres de la torture, à la déstructuration que celle-ci engendre chez l’individu le plus structuré. Alors que le magistrat parle, la question lancinante qui taraude le lecteur est « finalement, qui sont les barbares ? Ceux qui sont attendus ? Ceux qui sont mandatés pour détruire, torturer, laisser libre cours à leur nature sociopathe ? »
On pense à Rome sur le déclin. Et la barbarie des méthodes utilisées par Joll sonne comme un signe de la fin. Je suis conscient que ce texte peut livrer plusieurs niveaux de lecture. Il appartient à chaque lecteur de définir le sien. Mais le caractère universel du choix de sombrer, de prendre part ou se démarquer, à ses risques et périls, de l’injustice, de la violence, de l’haine, de l’ignorance, la dimension universelle que devrait susciter en nous l’indignation nivelle cette lecture. Je pense beaucoup à la Côte d’Ivoire en écrivant ces notes.JM Coetzee : En attendant les barbares
Soyons honnêtes, après la lecture de Disgrâce, j’avais l’impression d’avoir été berné par la presse internationale qui faisait de ce texte, un chef-d’œuvre. J’ai plus eu le sentiment d’une volonté de porter le texte d’un grand écrivain sur l’échec de la politique post-raciale sud-africaine du gouvernement de l’ANC.
En terminant En attendant les barbares, je mesure la dimension de ce romancier sud-africain. Un très grand auteur. Je n’avais pas commencé par le bon texte.
Morceau choisi :
Personne ne me frappe, personne ne m'affame, personne ne me crache dessus. Comment puis-je me considérer comme la victime de persécutions quand mes souffrances sont insignifiantes? Mais cette insignifiance même les rend d'autant plus dégradantes. Je me rappelle que j'ai souri quand la porte s'est fermée derrière moi la première fois, et que la clé  a tourné  dans la serrure. Cela ne me paraissait pas un châtiment bien lourd de passer  d'une existence quotidiennement solitaire à la solitude d'une cellule où j'apportais avec moi un monde de pensées et de souvenirs. Mais je commence à percevoir à quel point la liberté est rudimentaire. Quelle liberté m'a-t-on laissée? La liberté de manger à sa faim; de garder le silence ou de jacasser pour moi-même, de cogner sur la porte, de hurler. Si j'étais , quand ils m'ont enfermé ici, victime d'une injustice, d'importance d'ailleurs secondaire, je ne suis plus maintenant qu'un tas  de sang, d'os et de chair qui est malheureux.
Page 140, Edition du Seuil, coll. Points
Bonne lecture,
J.M. Coetzee, En attendant les barbaresTitre original : Waiting the barbarians, 1ère parution en 1980Edition du Seuil, collection Points, traduit de l'anglais par Sophie Mayoux, 249 pagesPrix Nobel de littérature
Commenté par Impasse Sud, Stalker
photo Singfried Woldhek

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