Deux voyageurs se trouvent dans un train en Angleterre. L'un dit à l'autre : " Excusez- moi, monsieur, mais qu'est-ce que ce paquet à l'aspect bizarre qui se trouve au-dessus de votre tête ? - Oh, c'est un macgguffin. - A quoi cela sert-il ? - Cela sert à pièger les lions dans les montagnes d'Ecosse. - Mais il n'y a pas de lions dans les montagnes d'Ecosse. - Alors il n'y a pas de macguffin."
Hitchcock aimait à raconter cette histoire pour se moquer des exégètes de ses films qui exigeaient une explication rationnelle de chacun d'eux. Lui, ce qui l'intéressait, était de manipuler le spectateur, de le mener là où il le voulait, et de le soumettre au rythme imprimé à l'histoire. Il souhaitait plus que tout que la peur du héros ou de l'héroïne soit partagée par le public. Aussi faisait-il en sorte que le processus d'identification fonctionne à merveille. Et pour comble d'habileté, il parvenait souvent à ce que le spectateur s'identifie successivement à plusieurs personnages. C'est le cas dans Psychose, où le public est d'abord avec Janet Leigh, puis enclin à soutenir Anthony Perkins, mais comme il n'est pas au bout de ses surprises, il aura vite oublié la raison initiale qui a poussé l'héroïne à dérober de l'argent, ce qui revient à dire, qu'en quelque sorte, il n'y avait pas vraiment de macguffin...
Une employée de banque nommée Marion ( Janet Leigh ), dans un moment d'égarement, s'enfuit en voiture avec quarante mille dollars que son patron lui avait demandé de remettre à la banque. Un soir, elle s'arrête dans un motel dirigé par un certain Norman Bates ( Anthony Perkins ), qui vit seul en compagnie de sa mère, une femme dont il laisse entendre à Marion qu'elle est difficile à vivre et d'ailleurs la jeune femme l'a entendue, à un certain moment, crier sur son fils.
Tandis que Marion prend sa douche avant de se coucher, elle est brutalement agressée par une vieille femme qui la frappe de plusieurs coups de couteau. Norman découvre le corps avec horreur et s'emploie aussitôt à faire disparaître les traces du meurtre, puis il place le corps de Marion, ses vêtements et ses bagages dans le coffre arrière d'une voiture, et se débarrasse de celle-ci en la laissant s'enliser dans la vase noirâtre d'un étang. Peu de temps après, Marion est recherchée par Lila ( Vera Miles ), sa soeur, par Sam ( John Gavin ) son amant, et par un détective d'assurances chargé de récupérer l'argent : Arbogast ( Martin Balsam ). Arbogast, conscient du trouble dans lequel ses questions ont plongé Norman, revient subrepticement dans la maison pour tenter d'interroger la vieille dame. Il monte à l'étage et là est poignardé par une femme visiblement âgée. Norman s'emploie de nouveau à faire disparaître le cadavre dans l'étang voisin. C'est alors que Sam et Lila interviennent. Ayant appris que la mère de Norman était morte depuis huit ans, ils se rendent à leur tour dans la maison et, dans la cave, Lila aperçoit le cadavre momifié de la mère et surprend le fils coiffé et habillé avec les vêtements de celle-ci. Se sachant découvert, le coupable se jette sur Lila, couteau en main, mais Sam réussit à le désarmer. En définitive, Norman est un malade qui accomplit ses abominables crimes en se servant d'une autre personnalité que la sienne, celle de sa mère à laquelle il s'identifie lorsqu'il est en proie à ses pulsions meurtrières.
Hitchcock considérait que Psychose était son film le plus intéressant pour la raison que la construction du scénario permettait de s'engager sur plusieurs pistes à la fois. " Vous savez que le public cherche toujours à anticiper - disait-il - et qu'il aime pouvoir dire : Ah ! moi je sais ce qui va se passer maintenant. Alors il faut non seulement tenir compte de cela mais diriger complètement les pensées du spectateur. Plus je donne de détails sur le voyage en automobile de Marion, plus le spectateur est absorbé par sa fugue et c'est pour cela que je donne autant d'importance au policier motocycliste aux lunettes noires, image de terreur pour la jeune voleuse". En effet un policier se penche vers elle - alors que celle-ci dort dans sa voiture rangée sur le bas-côté - et quand le policier l'interpelle, à la place des yeux, elle voit deux ronds noirs formés par ses lunettes miroirs. C'est le même regard mort que celui de la mère de Norman, momie aux yeux desséchés. Même chose encore, quand Norman observe Marion en train de se déshabiller dans sa chambre, par le trou de la serrure. L'oeil devient énorme au point d'envahir l'écran. Ce thème du regard mort, opaque, creux, vide est omniprésent dans le film et trouve son explication dans l'une des phrases que prononce Norman, ancien hôte d'un asile de fous : " Il y a des yeux cruels qui vous étudient". Il y a également le symbole des oiseaux empaillés qu'il collectionne - lui-même n'a-t-il pas empaillé sa mère ? - Ainsi sa propre culpabilité se reflète-t-elle en permanence dans le regard de ces oiseaux. D'autant qu'il y a parmi eux des hiboux, oiseaux qui appartiennent au domaine de la nuit, inquiétants guetteurs qui participent du masochisme de ce héros pitoyable.
"Ma principale satisfaction, disait encore Sir Alfred, est que le film a agi sur le public et c'est la chose à laquelle je tenais beaucoup. Dans Psychose, le sujet m'importait peu, les personnages m'importaient peu, ce qui m'importait, c'est l'assemblage des morceaux du film, la photographie, la bande-sonore et que tout ce qui est purement technique pouvait faire hurler le public. Je crois que c'est une grande satisfaction d'utiliser l'art cinématographique pour créer une émotion de masse. Et avec Psychose, j'ai accompli cela. Ce n'est pas un message qui a intrigué le public. Ce n'est pas une grande interprétation qui a bouleversé le public. Ce n'était pas un roman très apprécié qui a captivé le public. Ce qui l'a ému, c'est le film pur. Car la façon de construire cette histoire et de la raconter a amené le public à réagir d'une façon émotionnelle. Avec Psychose, j'ai fait de la direction de spectateurs, exactement comme si je jouais de l'orgue".
Ce film fut à l'évidence l'un des plus grands succès du metteur en scène. Alors qu'il avait été peu onéreux - il était quasi muet et facile à doubler, il se déroulait en grande partie dans une maison gothique de la Californie du Nord et les trucages étaient relativement simples - il en a rapporté beaucoup, ce qui eut un effet salutaire sur son réalisateur que l'échec commercial n'avait pas épargné. Il est vrai aussi qu'il a bénéficié d'une campagne promotionnelle particulièrement réussie. Le cinéaste avait enregistré un message qui interdisait aux spectateurs de révéler le contenu des dernières séquences. Et les directeurs de salles avaient ordre de refuser l'entrée aux retardataires.
Tourné en noir et blanc, ce film, oppressant comme il en est peu, est une suite d'images épurées qui sont autant de chocs pour le spectateur. Comme d'habitude, les acteurs, bien dirigés, donnent le meilleur d'eux-mêmes. Son interprétation de Norman Bates valut à Anthony Perkins de remporter un triomphe personnel. Il est idéalement ce héros qui porte en lui une effroyable double personnalité qui, tour à tour, en fait un homme soumis et un tueur abominable, comme si, à l'intérieur de lui-même, le bien et le mal se livraient un combat sans merci. Perkins donnera une suite à ce film qu'il réalisera lui-même.
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