En 1998, le Brésilien Amon Tobin en est déjà à son troisième travail, après Adventures In Foam (sous le pseudo de Cujo) et son premier album sous son véritable nom, Bricolage. Une jeune carrière discographique, certes, mais déjà beaucoup de personnalité dans son univers sonore.
Ainsi, Permutation est le tout premier disque que j’écouterai de lui, en 2003, découvrant ainsi un artiste qui deviendra et demeure l’une de mes références, malgré une évolution qui aujourd’hui et surtout depuis Out From Out Where en déroute plus d’un.
« Like regular chickens » est un titre très amontobinien, avec des teintes de films années 30, de la chaleur, et de la drum’n’bass ou, plus précisément, du beat’n’drum propre à ce qui caractérise alors la musique de Tobin. Ce n’est pas « Bridge » qui vous reposera les pieds sur terre, puisque les rythmes sont fougueux, ininterrompus de bout en bout, une contrebasse permettant d’avoir une impression de repos : en effet, Amon Tobin joue des contrastes, en les alternant mais aussi et la plupart du temps en les superposant ou en les entremêlant.
Avec Adventures In Foam et Bricolage, il semble évident que nous possédons un triptyque musical : toutes les influences de l’artiste si retrouvent, de la musique brésilienne (je devrais parler pour être plus juste de musiques brésiliennes), de jazz, de musiques de films, de musique électronique (dont la drum’n’bass qui à l’époque vit un essor grâce à Goldie, Roni Size/Reprazent ou encore Photek, entre autres, et qui explique en partie pourquoi il partit s’installer à Londres à ses dix-huit ans). « Reanimator » est un titre plus acerbe, plus glacé car très électronisé. Pour ceux qui ne suivraient pas, ou ne connaissent encore pas sa musique, sachez qu’elle est entièrement instrumentale : les rares voix que vous entendrez seront des extraits (le terme « sample » me paraît inapproprié même si cela revient au même) filmiques, qu’évidemment je ne saurai reconnaître !
« Sordid » porte mal son titre, même si on finit vite par comprendre pourquoi il est en fin de compte assez pertinent : un leitmotiv stressant recouvre une bonne partie du morceau, qui en devient d’une certaine façon glauque. Enfin, l’ensemble des effets sonores empêche justement que ce titre le soit, glauque, et il en est même carrément jouissif. Tiens, au fait, si je ne saurai vous aider quant aux samples utilisés, ne les cherchez pas non plus sur les crédits du disque : Amon Tobin a beau en utiliser un paquet, étrangement aucun n’est jamais cité ?!
« Nightlife » est à l’inverse parfaitement intitulé, tellement ce titre semble tout droit sorti d’un film fantastique. « Escape » n’est pas ce qu’on croit, bien au contraire, c’est un morceau duquel on a envie de s’échapper, tant son ambiance est étrange, d’une fausse légèreté qui lui inculque une certaine frayeur collective, des apparences de portes grinçantes, et avec ses voix plutôt inintelligibles ajoutant à ce malaise quasi profond chez l’auditeur. Tout cela, forcément volontairement de la part de Tobin.
« Switch » tourne la page pour nous permettre d’entrer dans la seconde partie de Permutation. Très jovial, avec un petit air de piano fort envoûtant et une batterie très jazzy, l’on se sent dans l’ambiance d’un petit café à l’heure de l’apéritif alors qu’un petit concert donne le tempo de la soirée. Décidément, au moins à l’époque dirais-je pour ne pas mécontenter ceux qui ont depuis commencé à délaisser Amon Tobin, cette musique reste sans égal, de part les univers traversés d’un titre à l’autre, voire parfois dans un seul et même titre.
De « People like Frank » à « Toys », en passant par « Sultan drops » et « Fast Eddie », Permutation ne dépareille pas une seule seconde par rapport à la première moitié de l’album.
Le douzième et ultime morceau est sans conteste l’œuvre phare du disque : « Nova » est le titre entièrement d’inspiration brésilienne, je ne vous en dis pas davantage si ce n’est que c’est une frustration de terminer par un tel joyau. D’ailleurs, une certaine Bebel Gilberto ne s’y trompera pas en reprenant cet instrumental sur son premier album Tanto Tempo en 2000, bien que la version originale (c’est-à-dire dépourvue de la voix de la chanteuse brésilienne) est mille fois plus émouvante de sincérité et capte la quintessence même du genre auquel elle rend l’un des plus beaux hommages qui soient.
En somme, le départ d’Amon Tobin avec Bricolage puis Permutation, aidé par la désormais célébrissime maison de disques indépendante Ninja Tune, demeure à ce jour l’un des plus intéressants de la scène électronique de ces vingt dernières années.
En un mot, cet album est magique.
(in heepro.wordpress.com, le 07/03/2011)
_______
Voir aussi : Bricolage – Foley Room Recorded Live In Brussels – Who The Hell is Amon Tobin ? –
Monthly Joints Series – Adventures In Foam - Instrumentals
Tagged: Amon Tobin, Ninja Tune, Permutation